Invité
Anonymous



ꟷ Êtes-vous certain d’être sur la liste ? Je n’ai pas envie d’aller déranger le maître Moselle pour rien. L’autre jour, un Chevalier a tenté de m’en passer une vite, et j’ai eu tellement de problèmes ! Franchement, je comprends la curiosité, mais si vous n’avez pas les autorisations, à quoi bon ? La Bibliothèque, comme dit maître Larisen, n’est pas un moulin sur Berchest où quiconque peut rentrer, et…
ꟷ Padawan.
ꟷ Et… euh, oui ?
ꟷ Tu t’égares.

La jeune humaine rougit – bredouilla. L’intervention la déstabilisa, comme si nul n’avait auparavant osé l’interrompre dans ses monologues.

ꟷ Alors, oui, vous êtes bien sur la liste ?
ꟷ Mmhm.

Elle battit des cils, encore indécise. Première fois qu’elle voyait l’armoire à glace, et elle était de nature suspicieuse, alors…

ꟷ Très bien. Je vais chercher le maître Moselle, maître..?
ꟷ Manteer.

Observant, mi-figue, mi-raisin, la padawan qui s’élançait pour quêter son professeur et superviseur, l’Epicanthix demeura droit dans son fauteuil. Le Dragon n’était jamais bien patient – il exigeait toujours la plus strict des efficacités de son entourage, la plus rapide des diligences. Alors, lorsque sa requête était simple, son but, limpide, et qu’il se savait complètement dans son droit – merci, le vieux croûton en couche –, patienter, passer à travers la bureaucratie exagérée d’une institution qui pourrait gagner en efficience… l’exaspérait. Pas exaspérer dans le sens « je suis fougueux, impatient, mais compréhensif devant l’incompétence de la jeunesse », oh non. Plutôt exaspérer dans le sens « je veux voir ton maître immédiatement, avant ma mort de préférence » - ce qui était tout de même un degré de déplaisir rarement atteint.

Bruit de pas. Détachant son regard du pot de fleur qui avait attiré son attention – quelle horrible décoration, complètement désagencée de son environnement… –, il leva les yeux vers le maître archiviste qui, frappé de stupeur, le fixait la bouche entrouverte.

ꟷ Tu vas avaler des mouches, Léocre.

Muet, le kuati sexagénaire se secoua soudainement la tête, pour se ressaisir.

ꟷ Je suis heureux de vous voir, maître Manteer, quoique… surpris.
ꟷ On est toujours surpris de voir que ses aînés n’ont pas encore clamsé.

La remarque pince-sans-rire de l’ancêtre arracha un rire nerveux à l’humain, comme s’il s’agissait d’un trait d’humour particulièrement frappant. Inutile de préciser qu’intérieurement, Icare était sérieux – il était beaucoup plus facile de rayer les plus-qu’octogénaires de la liste des vivants que de se les imaginer réellement bien-portants.

ꟷ Cera me dit que vous désirez consulter l’holocron Tedryn… Aussi étrange que cela puisse paraître, un maître désirant le consulter a besoin de l’autorisation d’un membre du Conseil… Même vous. Alors..?
ꟷ Saïen, de même que Krava. Consulte ta liste.

Hochant la tête, l’humain parcoure des noms sur un datapad.

ꟷ Fort bien. Les salles de méditation sont…
ꟷ Je sais.
ꟷ Dans ce cas, je vous laisse vous installer. L’holocron y est déjà, le maître Larisen l’ayant consulté plus tôt dans la matinée.
ꟷ Mhm, merci, Léocre.

***


Guerre. Carnage.

Les visions se succédaient, narration rapide de multiples années. Batailles gagnées, batailles perdues – perte, regret, deuil. Erreurs. Quelques secondes de flottes s’entrechoquant; des minutes de combats singuliers – de tourmente, d’horreur. Les chasseurs s’élevant en essaims, moissonnant amère destruction. Des crimes sans noms, des dilemmes sans issus; un récit chaotique, acerbe, d’une époque plus noire que la plus puissante des obscurités.

Prostré au centre de la pièce, les épaules affaissées, le dos bien droit, Icare trônait en indien sur l’un des poufs. Il écoutait la voix lente et aiguisée qui racontait, s’échappant du cube fluorescent lévitant à la hauteur de son poitrail. Projetées sur les murs, animées par hologrammes, les illustrations du discours se reflétaient dans les prunelles de l’ancêtre, tandis que l’obscurité ambiante ajoutait un air glauque, inquiétant, à la scène. Momentanément, le vieillard ferma les yeux; il absorbait, analysait et assemblait l’information, cherchant en vain des réponses, une source apte à assouvir sa soif d’apprentissage inexpliquée. Tel l’artiste inspiré, Icare cherchait à combiner les peintures propres à éclaircir, préciser, sa vision. Ce n’était pas la première fois qu’il consultait l’holocron Tedryn – loin de là. Mais, au fil des ans, ses séances d’exploration s’étaient espacées, écourtées, pour finalement tout bonnement disparaître; il n’avait plus le temps, plus la motivation, plus la curiosité, et avait ainsi négligé sa tâche la plus sacrée : continuer à s’instruire en vieillissant. Du coup, sans la pratique de l’habitude, le maître s’égarait – les astuces qu’il avait développé pour mieux naviguer sur le flot d’informations étaient oubliées. Tel un aveugle, une digue mal entretenue, il se voyait submergé, floué, déconcerté.

Pourtant, à travers la vague, il entrevoyait des pistes.

ꟷ Après la fin des combats, nous purifiâmes les mondes…
ꟷ Mais comment ?

La voix de l’Epicanthix claquait, signe d’exaspération, de patience écourtée. Ses souvenirs étaient flous – il savait comment, l’avait déjà entendu. Pourtant, l’objet de son attention l’éludait, le mystifiait; il se dérobait, comme camouflée par l’holocron, qui cherchait à tester son utilisateur.

ꟷ Si les ténèbres prospéraient dans le vide, toujours nous fûmes à même de les écarter grâce à la lumière purificatrice…

Flash. Lumière purificatrice… L’inspiration soudaine le surprend; une vague silhouette se dessine, ombre floue d’un objectif difficilement atteignable. Un moyen de guérir de la corruption, d’éloigner la flétrissure en accompagnant leur avancée, de sorte que leurs efforts ne puissent être réduits à néant…

Un moyen, comme toujours, d’acheter du temps.

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