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— Qu’est-ce que c’est ? C’’tune sorte de peste, c’est ça, hein ? Les premiers symptômes d’une peste bubonique. Voilà c’qu’on récolte à traîner dans les jungles chelous des planètes d’la Bordure Extérieure. Pourquoi j’ai pas un maître diplomate, moi, hein ? Un vieux Consulaire un peu mou. Pourquoi est-ce que…
— De l’eczéma.
— Pardon ?
— C’est de l’eczéma. Atopique, pour être précis.


La volubile Padawan leva vers le Miraluka un regard anxieux.

— Et c’est grave ? Ça a l’air grave. Moi qui devais passer mes épreuves de Chevalier, Chevalière, ça se dit toujours pas Chevalière ? dans quatre ans et…
— Padawan.


Atalan réprima un sourire.

— Ou-oui ?
— Tu parles beaucoup.


Il est vrai que certains jours, comparé à Maître Pirin, même les butoirs de porte avaient l’air loquaces.

— C’est une allergie. Rien de très grave.

La jeune humaine poussa un soupir de soulagement alors que, déjà, le Maître se détournait. Il avait déjà atteint la porte automatique de la chambre quand la Padawan comprit qu’il comptait l’abandonner à son triste sort.

— Mais vous allez rien faire ?

Atalan s’arrêta mais ne se retourna pas.

— ‘Fin, j’veux dire, sauf vot’ respect, quoi.
— Une pommade devrait faire l’affaire.


Prescrire un médicament, ce n’était pas le genre de Maître Pirin et, soupçonneuse, la Padawan fronça les sourcils.

— Et j’la trouve où ? S’il vous plait. La pommade.
— Les jardins sont pleins de plantes et nos archives pleines d’informations. Je suis sûr que tu parviendras à la confectionner par tes propres moyens.


Et voilà, c’était ça, le piège : une leçon de choses. Atalan ne releva pas le soupir désespéré qui accompagna cette remarque et passa la porte automatique. Comme souvent, il avait passé la matinée à donner quelques consultations auprès des Padawans, des cas élémentaires le plus souvent, que n’importe quel guérisseur, même inexpérimenté, aurait pu traiter sans problème, mais qui étaient toujours l’occasion pour lui de veiller au grain et de cerner comment la nouvelle génération de l’Ordre appréhendait les difficultés de la vie sur le terrain et le problème délicat de la maladie et des blessures. Ce qui comptait, c’était alors moins le diagnostic, qu’il posait généralement dès l’instant où, en pénétrant dans la pièce, la présence du patient se dessinait dans sa Vision, que la conversation qu’il avait avec chaque Padawan et le conseil pratique, ni trop précis, ni trop vague, qu’il dispensait afin de les pousser à réfléchir par eux-mêmes sur les arts de la guérison.

Cependant, la séance toucha prématurément à sa fin. Il avait senti, non loin de là, dans les salles de cours attenantes aux chambres de guérison qui occupaient l’essentiel du Centre Médical, là où les Padawans et les Guérisseurs nouvellement Chevaliers recevaient les compléments de formation indispensables à tout Jedi, une présence familière dont il devait bien lui avouer qu’elle lui avait manqué, ces derniers mois. Alyria était là. Il n’ignorait pas que sa vieille amie était de retour sur Ondéron mais il n’avait pas eu encore l’occasion de la croiser.

L’occasion ?
La volonté, plutôt.

Atalan appréhendait ces retrouvailles autant qu’il les désirait. Alyria avait été souvent la compagne de ses incertitudes, quand il s’était résolu, au fil des années, à renouer avec les arts martiaux jedis, quand les souvenirs de son affrontement sur Corbos, avec Alyan Mohn étaient remontés, quand les doutes l’avaient assailli. La patience pédagogue de son amie l’avait marqué. Et il avait essayé, sans trop de succès, de l’aider à son tour. Mais maintenant ? Maintenant, Alyria avait connu les plus hautes affaires de la République et si lui était devenu Maître, il n’en demeurait pas moins, lui semblait-il, infiniment inférieur aux préoccupations de la Jedi. Que pouvait-il lui dire ? Comment, après tant d’épreuves, pourraient-ils renouer avec les conversations simples de leur jeunesse ?

L’assurance n’était pas le fort d’Atalan.

Dans ces halls où il était considéré pourtant avec un respect déjà profond, le Miraluka avançait non sans appréhension. Cependant les battements de son cœur ralentirent. Comme toujours, son corps répondait le premier aux injonctions de son esprit. L’apaisement de l’âme suivait. C’était une tâche somme toute beaucoup plus simple que celles qu’il avait menées à bien ces derniers mois : discuter avec une amie.

Le cours était fini. Les portes s’ouvrirent et une flopée de Padawans en pleine croissance — pour les plus chanceux — percuta le Maître, se répandit en excuses et poursuivit un chemin quelque peu précipité vers une autre aile du Temple : un comportement d’oiseaux migrateurs qui annonçait immanquablement une heure précise de la journée.

— Le déjeuner est bientôt servi, je suppose.

La voix du Miraluka s’était élevée depuis le fond de la salle de classe désormais déserte.

— Je dois t’appeler votre Sérénissité ou quelque chose comme ça, maintenant ?

La présence d’Alyria se précisait dans sa Vision.
Quelque chose avait changé.

— Parce que tu sais, moi, le protocole, ce n’est pas exactement ma spécialité.

Avoir passé sa formation de Padawan dans les jungles, les déserts et les ruines sith, ça n’aidait pas exactement à mémoriser les règles de la diplomatie républicaine.
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Se retrouver à nouveau dans les salles du Temple jedi après autant de mois avait quelque chose de singulièrement déstabilisant, comme si Alyria était devenue une étrangère en sa propre maison, au sein de sa famille. Son dernier passage en personne remontait en effet à un temps qui lui paraissait terriblement lointain, soit celui d’avant l’assassinat de Valérion Scalia, quand elle revenait d’Umbara, certaine qu’elle ne resterait qu’un temps sur Coruscant, le temps de mettre en place les réformes voulues dans l’armée républicaine. C’était ici même qu’elle avait appris l’arrestation de Darth Deinos, enfin plutôt de celui que l’on nommait encore à l’époque Lord Janos, qu’elle avait annoncé à Leto Vorkosigan son accession au poste de Ministre de la Justice… Qu’elle avait surtout mené deux rudes combats pour vérifier ses capacités, sa guérison. L’un avait été l’occasion de renouer une vieille amitié, l’autre de forger un lien empli de respect. Oui, décidément, ces souvenirs semblaient appartenir à une autre décennie, presque.

Ondéron lui avait manqué, c’était indéniable. Les remugles désagréables de l’ambition et du mépris qui empuantissaient Coruscant n’avaient pas cours dans cette atmosphère baignée par la lumière, capable d’illuminer les pensées des plus tourmentés. Mais même son aspect sauvage, la jungle entourant le Temple, la simplicité d’Iziz… C’était un autre monde. C’était son monde, en vérité et le retrouver avait été un soulagement, bien que mêlée d’une sorte de mélancolie sourde, car tout était comme dans son souvenir, mais tout avait changé.

Désormais, quand elle traversait les couloirs du Temple, la gardienne sentait les regards des uns et des autres dans son dos, les murmures sur son passage. Bons ou plus circonspects, il n’en demeurait pas que cette attention curieuse était usante. Certes, en tant que maître, et surtout maîtresse d’armes, son anonymat avait été relatif ces dernières années, mais tout de même, il n’y avait pas cette impression lancinante d’être jugée en permanence, comme testée pour voir si quelques mois en tant que Chancelière n’avaient pas définitivement altéré sa personnalité, son attachement à l’Ordre jedi et à ses valeurs.

Jamais les mots d’Halussius Arnor n’avaient trouvé un tel écho dans ses oreilles. Plus rien ne serait jamais comme avant, il aurait été naïf et illusoire de l’espérer… Et pourtant, une part d’elle-même avait pensé réintégrer l’Ordre sans faire de vague, comme si elle clôturait une parenthèse. Sans doute qu’il était trop tôt pour ça, et qu’elle resterait pendant longtemps encore la Chancelière jedi. Cette étiquette avait poussé Halussius à chercher une nouvelle affectation au sein de la République, à retrouver en quelque sorte une fonction similaire à celle qui avait été la sienne. Cependant, Alyria savait que la principale différence entre son ami et elle résidait dans les circonstances de leur prise de pouvoir : l’un l’avait voulu, l’autre non. La sang-mêlée savait qu’elle mettrait du temps avant d’envisager de porter à nouveau la parole des jedis au sein de la République, et plus jamais elle n’occuperait un poste politique. Cela, elle s’en faisait la promesse solennelle.

Pour autant, force était de constater qu’elle aurait aimé pouvoir se détacher de l’image qu’elle projetait désormais. La demi-echanie avait quasiment renoncé à donner des cours d’escrime aux jeunes padawans, car aucun n’écoutait vraiment, chacun voulant simplement tenter de l’impressionner en exécutant des figures dangereuses… Après avoir parlé à Maître Vandreen, ce dernier avait décidé qu’il valait mieux l’affecter à la paperasse pendant quelques temps, la reprise nécessitant sans doute une position d’enseignante moins exposée. Presque naturellement, elle s’était tournée vers un autre de ses champs d’expertise de prédilection, et sans doute celui où on l’attendait le moins : la médecine.

Si Alyria n’avait pas les connaissances d’un guérisseur, elle avait tout de même un solide bagage de connaissances acquises sur le terrain, en faisant une traumatologue douée. Ses expériences sur Umbara et ailleurs avaient complété cette spécialité par une appréhension fine des contre-poisons… et de la gynécologie, domaine guère enseigné au Temple, hormis à quelques élèves destinés au Medcorps et qui désiraient partir dispenser leur savoir dans des dispensaires ou hôpitaux. Persuadée que personne ne viendrait la chercher là, elle avait donc proposé aux instances du Centre médical d’Ondéron de délivrer quelques cours de base en obstétrique aux padawans les plus prometteurs. Pour argumenter sa demande, la trentenaire avait pris l’exemple de Joclad, qu’elle avait dû guider sur Sy Mirth pour réaliser un accouchement en urgence. Intrigués, les maîtres avaient donné leur accord, et elle se retrouvait donc devant un parterre de jeunes gens attentifs et intéressés par cette nouvelle occasion d’apprendre, la plupart faisant passer leur excitation avant la curiosité.

Tous avaient de solides bases en anatomie, ce qui dispensait de la partie la plus délicate de la question, aussi Alyria avait pu directement passer au cœur du problème. Pendant deux heures, elle avait expliqué, répondu aux interrogations de padawans… Et peu à peu, cette sensation de manque qui l’avait étreinte pendant des mois avait reflué : elle redevenait enfin une jedi à part entière. Puis elle était passée aux premiers soins à donner à un nourrisson, et tous avaient noté fiévreusement ses conseils, la perspective de se retrouver confronté à la prise en charge d’une toute jeune vie fouettant leurs ardeurs. Pour conclure, la maîtresse d’armes déclara qu’un maître de l’Educorps se ferait une joie de continuer des cours plus avant dans ce domaine si certains étaient intéressés. Après tout, un certain nombre de nouveau-nés de quelques jours à peine dormaient dans les nurseries du Temple, et il était du devoir de tout jedi de savoir en prendre soin, car beaucoup seraient confrontés au recrutement de tels enfants dans la galaxie au cours de leur existence.

L’heure du déjeuner arrivant, Alyria termina son cours et donna leur congé aux padawans, tous s’égayant joyeusement dans les couloirs du Temple, pressés de remplir leurs estomacs et de retrouver leurs camarades. Elle-même resta pour ranger derrière la salle, préférant se sustenter à des heures moins courues. Un peu de tranquillité solitaire valait bien quelques temps d’attente…
Sauf que ladite solitude bienheureuse fut soudainement brisée par une voix qui la tira de ses pensées. La jedi fixa son regard émeraude vers la personne ayant parlé et reconnut finalement la mince silhouette qui se tenait dans l’embrasure de la porte. Avec un sourire en coin, la gardienne répondit sur un ton de connivence :

« Quelle perspicacité… Maître Pirin. »

Entendre le titre grotesque qui sortit de la bouche de son ancien camarade lui arracha un léger rire, et elle répliqua du tac-o-tac :

« Si j’entends encore une fois un Votre Excellence ou que sais-je encore, je t’appellerais Estimé et Vénérable Maître Jedi Pirin. Ce qui m’embêterait beaucoup, parce que ça me prendrait vraiment un temps fou à chaque fois. »

A force il était aisé de l’oublier, mais la trentenaire avait toujours possédé un solide sens de l’humour, qui surgissait souvent quand elle était en présence d’amis, le reste de ses interlocuteurs ayant plus souvent droit au masque placide du maître jedi. Et elle était bien aise de pouvoir lâcher quelques plaisanteries, après autant de temps à se contenir. En cela, Alan Bresancion lui manquait : pour excentrique qu’il soit, celui qui avait été Vice-Chancelier était sans doute l’un des hommes les plus amusants qu’elle avait jamais rencontré, ce qui en faisait une perle rare au milieu d’une Rotonde souvent trop imbue d’elle-même pour s’abaisser à quelques rires vulgaires…

Reprenant son sérieux, elle ajouta tout de même avec une touche de mélancolie dans la voix, sincère :

« J’aurais préféré que cela ne devienne pas la mienne. Enfin… La Force aime nous confronter à ce que nous voudrions éviter. »

Sentant qu’il valait mieux quitter ce terrain glissant, qui ne ferait pas le sujet de conversation le plus agréable, Alyria décida de changer le sens de la discussion, et reprit sur un thème nettement plus joyeux :

« Cela étant… Mes félicitations pour ta nomination au rang de Maître. Je ne l’ai appris que récemment, sinon je t’aurais joint par holo.

Le Medcorps a désormais un nouveau dirigeant dans son cercle de valeur. »


Un nouveau sourire apparut sur son visage quand elle poursuivit avec un brin de malice :

« Alors, qu’est-ce que cela fait, d’être vu soudain comme un parangon de vertu vieux de plusieurs siècles par nos tous jeunes padawans ?

Après tout, à leur âge, nous pensions exactement cela de Maître Don, Vorkosigan… Et je ne parle pas de Maître Manteer ! »


Oui, qu’il était agréable de badiner ainsi sur leurs confrères, d’avoir une discussion simple mêlant souvenirs amusés et nouvelles d’importance… Décidément, la vie au sein du Temple lui avait vraiment manqué.
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— Estimé et Vénérable Maître Jedi Pirin…

Atalan fit mine de peser le pour et le contre de ce titre.

— Ça me parait mal. Ça s’abrège facilement en EVMJP.

Le sourire du Maître s’élargit. Revoir Alyria mettait du baume au cœur. Les dernières semaines avaient été difficiles — bien moins difficiles, il le supposait aisément, que le retour à la vie jedi de son amie, mais assez éprouvante pour que le nouveau Maître eût besoin de retrouver les repères d’une conversation familière. Ils avaient changé l’un et l’autre, sans aucun doute, et il aurait été vain de le nier mais, malgré tout, Atalan retrouvait auprès d’Alyria, pour la première fois depuis bien des jours, un échange qui comblait la distance instaurée, entre lui et les Chevaliers qu’il avait connus, par son nouveau rang. Ce rang, le Miraluka le portait encore comme un vêtement mal taillé.

Le sujet un peu délicat de leurs gloires respectives fut promptement écarté cependant et Atalan ne fit aucun effort pour le remettre sur le tapis.

— Je suis un parangon de vertu, ma chère.

D’ailleurs, les Ombres s’en étaient longuement assurées, bien des années auparavant.

— Et personne ne me fera croire que Maître Don n’a pas quatre siècles bien tassés.
 
Il plaisantait mais il était prêt à parier que certains des Padawans les plus jeunes, qui n’avaient jamais connu que Maître Don à la tête du Conseil, n’étaient pas loin de former des théories semblables à l’égard du vénérable Jedi.

Atalan attrapa sur une table un datapad abandonné un par un Padawan distrait — ou affamé.

— Plus sérieusement, je sais que je suis censé mesurer tout le chemin parcouru et prétendre qu’après tant de péripéties, notre jeunesse me parait appartenir à une autre époque mais ces derniers temps, j’ai l’impression d’avoir été un Padawan hier encore. Tout est… aussi compliqué que les choses l’étaient quand…

Quand sa maîtresse avait trahi l’Ordre et que ses certitudes s’étaient morcelées. Il ne finit pas sa phrase cependant et une ombre soucieuse passa sur son visage, rapidement chassée, alors qu’il reposait le datapad et concluait :

— Mais je faisais moins de fautes d’orthographe que celui-ci, cela dit. L’obstétrique, hein ?

Un sujet plus complexe qu’un autre, dans une Galaxie aux mille et unes espèces et aux infinies possibilités d’hybridation.

— Ce n’est pas un sujet très conventionnel. Tu sais que l’autre jour, un Padawan de dix-sept ans, un humain, m’a demandé comment les enfants étaient conçus. Leur méconnaissance de pareils sujets est…

Un bref silence s’installa. Après toutes ces années, Alyria devait être habituée de ces pauses pensives qui rythmaient parfois le discours d’Atalan et pendant lesquelles le Miraluka pesait soigneusement ses mots.

— … préoccupante.

À mesure que ses pratiques de Guérisseur s’étaient développées et que ses connaissances s’étaient étendues, à mesure que s’était imposée à lui la conception de la Force Vivante, Atalan avait commencé à considérer avec une certaine perplexité les interprétations les plus restrictives du Code Jedi en matière de morale sexuelle en général et de procréation en particulier. Au-delà de l’aspect purement médical de la question et de la nécessité pour tout bon Jedi d’avoir une idée, même sommaire, des principes de la reproduction les plus généraux, Atalan voyait dans les rigoristes de l’Ordre les germes d’une dangereuse hérésie, obsédés par l’interprétation dualiste de la Force Cosmique, du Côté Obscur et du Côté Lumineux, au détriment d’une compréhension profonde de la Force Vivante.

Peut-être qu’au fond, avant même les préoccupations du Guérisseur attachées à la vie, à sa protection et à sa perpétuation, il y avait dans l’intérêt de principe d’Atalan pour ces questions un réflexe typique des Miralukas. Les Miralukas comptaient peut-être parmi les proches-humains dont le taux d’hybridation était le plus faible, tant étaient catastrophiques, la plupart du temps, le résultat de ces croisements. Ainsi, tout Miraluka qui grandissait et évoluait dans le diaspora, loin du monde d’adoption de son espèce, avait une conscience plus ou moins aiguë des enjeux délicats de la reproduction.

— Parfois, je m’étonne que nos frères et nos sœurs puissent penser que les enseignements abstraits et les philosophies moralistes doivent l’emporter sur les hormones et les cycles de la vie et que nos Padawans, en pleine puberté, sont plus sûrement protégés de ce qu’ils considèrent comme de dangereuses tentations par l’ignorance que par le savoir et la discussion. Qu’il faille qu’une Gardienne vienne jusqu’ici pour donner un cours de gynécologie et d’obstétrique, au Centre médical, n’est que l’un des signes du triste état de notre réflexion sur le sujet.

Ceux des Jedis qui n’étaient pas très proches du nouveau Maître auraient été sidérés de l’entendre parler de la sorte, lui qui, d’ordinaire, se murait dans un prudent laconisme. Avec Alyria cependant, Atalan était en confiance. Lui qui s’effaçait devant les autres trouvait plus facilement sa place auprès de ses amis.

— Non que je juge les Gardiens illégitimes à enseigner au Centre Médical, bien entendu. Mais on aurait pu penser que les Guérisseurs auraient pris leurs responsabilités…

À l’entendre, il était évident qu’il ne se rendait pas tout à fait compte de son nouveau rang. Maître Guérisseur, membre du Conseil des Guérisseurs, il était, après tout, parfaitement fondé à imposer un programme d’enseignement spécifique, s’il jugeait la formation des Padawans lacunaires. Mais Atalan manquait encore trop d’assurance pour imposer ses vues dans les débuts du Conseil des Guérisseurs, particulièrement sur un sujet aussi controversé.
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Un ange passa… Puis Alyria éclata de rire face à l’abréviation loufoque que venait de sortir son vis-à-vis. Il fallait bien le reconnaître : ce genre de moqueries sur les us et coutumes de certaines appelations baroques dont se paraient les officiels après un an passé à la Chancellerie quasiment était vraiment appréciable. Quoique, quand elle pensait à son enfance, la jedi se souvenait d’un certain nombre de titres de cette sorte qui n’auraient pas manqué de faire une abréviation longue d’une cinquantaine de pages.

« EVMJP… On dirait presque mes notes pour retenir tous les titres de la reine-mère d’Hapès. Lui écrire une simple communication diplomatique m’a pris une demi-journée… Le temps de vérifier auprès de leur ambassade si tout y était, et dans le bonne ordre…

Et le pire, c’est que j’y suis née ! Comme quoi, je ne dois pas avoir gardé beaucoup de souvenirs des cours d’étiquette de ma mère… La pauvre… Elle serait horrifiée de tant de laisser-aller. »


Le tout avait été prononcé avec un sourire nettement amusé. Par la Force, ce que ces leçons avaient pu l’ennuyer dans sa prime jeunesse, avant son arrivée au Temple. Après tout, contrairement à beaucoup des autres jedis d’Ondéron, Alyria n’était pas née au sein de l’espace républicain, mais au sein du Consortium, et n’avait donc pas subi les tests obligatoires à la naissance. Son éducation première avait donc été pendant presque huit ans celle d’une petite fille de la noblesse hapienne quand elle était auprès de sa mère, et avant cela, bénéficié de la présence de son père militaire et des amis de ce dernier… Des maîtresses aussi, mais c’était là un détail pas forcément très glorieux à raconter. Encore que, parfois, la gamine qu’elle avait été trouvait plus de réconfort maternel auprès de ces dernières que de sa propre génitrice, qui n’avait jamais été très douée pour manifester son affection à sa progéniture. Autant dire que la séparation n’avait pas non plus été si terrible, aussi horrible que cela puisse paraître à certains comme constat.

« Je n’en doute pas. Encore que, me viennent quelques images qui ne correspondent pas totalement à celle que l’on se fait d’un parangon de vertu… Même si je peux te l’accorder, dire que leurs estimés maîtres ont été pris à trois heures du matin en train de chaparder de la nourriture dans les cuisines ne serait pas si productif en terme d’autorité auprès de nos chers élèves. »

Comme tous les jeunes gens du Temple, tous les maîtres avaient fait leur lot de bêtises et entendu leur content de réprimandes. Il était simplement difficile de se représenter ses professeurs en de telles circonstances, Alyria elle-même n’aurait jamais cru à leur époque de pareils récits attribués à Maître Don ou Maître Manteer, par exemple. Encore que, concernant ce dernier… Hum, une personne ayant formé Maître Lond ne pouvait pas être complètement normale de son point de vue. Elle adorait son ancien maître, mais le twi’lek était tout de même un modèle d’excentricité !

« Finalement, pour quatre siècles… Il n’est pas si mal conservé ! »

N’y tenant plus, elle laissa échapper un nouveau rire, et cette fois, dut faire un sacré effort sur elle-même pour ne pas en avoir les larmes aux yeux. Ce badinage la distrayait plus que de raison, c’était une évidence. Enfin, il était temps de redevenir un peu sérieux, même si ces quelques instants de simples échanges de plaisanteries avaient eu le don de la transporter dans un monde où elle n’avait pas d’autres soucis que de trouver un bon mot, un trait d’esprit pour répondre à ceux dégainés par l’humour piquant et tranquille du miraluka.

En un sens, Alyria comprenait cette impression de devoir tout réapprendre. Elle l’avait expérimentée, en devenant maîtresse d’armes, puis maître… Puis Ministre, et enfin Chancelière. Un sacré curriculum vitae, à seulement trente-cinq ans, aurait-on pu dire. Ce n’était pas par hasard que la trentenaire avait parfois l’impression d’être presque centenaire : sans doute qu’elle avait été trop haut trop vite, en pas assez de temps. Le poids des responsabilités l’avait broyé, et elle ressortait de ces mois vidée, comme étrangère à elle-même. Mais peut-être que ce n’était pas spécialement la chose à dire. Au lieu de cela, elle lui offrit un sourire apaisant, avant de commenter doucement :

« C’est normal. Confronté à de nouvelles exigences, il faut un temps d’adaptation… Et se frotter à tout un tas de choses qu’on imaginait pas forcément en tant que simple spécialiste. Ou spectateur. Mais ce sont des connaissances de valeur, au final. Et de grandes responsabilités.
Parfois trop grandes. Certains sont fait pour ce genre de travail, d’autres pas. Le découvrir prend un certain temps. L’accepter… Est immédiat ou très long, je pense. »


Elle n’était pas faite pour la Chancellerie. Déjà Ministre, elle se sentait souvent débordée… Mais alors le cran au-dessus, c’était atroce. Elle n’avait presque aucune connaissance en économie, et il lui avait fallu pondre plans de sauvetage et autres facéties du genre. En plus, avec sa manie du détail, elle n’avait validé les propositions qu’après les avoir complètement comprises. En un rien de temps, elle avait dû devenir juriste, diplomate, générale, sociologue, politicienne, administratrice… C’était trop. Ce n’était pas pour elle. Observer, commenter pour les jedis d’accord. Mais ça… Un consulaire aurait pu naviguer dans ce flot continu d’informations, en raison de ses aptitudes. Halussius l’avait fait, et assez brillamment avant que le désastre d’Artorias ne vienne détruire son bilan pourtant positif à son avis. Mais elle, une gardienne, une maîtresse d’armes ? Elle avait beau être une touche-tout, une curieuse aimant lire sur son temps libre d’épais volumes de théories politiques… Elle restait une amatrice qui avait soudain été propulsé parmi les requins. Et elle avait mis une heure pour le comprendre, un triste record. Ou bienfaiteur, suivant l’idée que l’on se faisait de la République et sa politique.

Enfin, mieux valait parler de ce pourquoi elle était là. Alyria pouvait comprendre la surprise de son ami, encore que son discours pouvait détonner en ces murs. Cependant, en bonne mesurée, la jedi avait tendance à chercher des compromis, et parfois comprenait les réticences de certains collègues. Non pas qu’elle les approuvât, certes, ce n’était pas sa vision de l’Ordre, mais au moins, elle tentait de se mettre à la place de ceux qui n’avait pas sa vision. Aussi elle se mordilla la lèvre, signe de réflexion, avant de répondre avec une prudence toute … politique, finalement :

« En un sens, je pense que la plupart des maîtres ne pensent pas forcément à ce type d’enseignement comme immédiatement nécessaire à la survie d’un jedi, et le reportent sine die… Ou bien le dispensent aux guérisseurs avancés, ou à ceux qui se destinent au soin des nouveau-nés arrivant entre nos murs. Une vision… utilitaire en somme. Qui ne différencie pas ce domaine de compétences d’un autre champ comme la mécanique ou le pilotage. »

Elle s’arrêta un instant, avant de soupirer, puis de dire :

« Je ne peux pas juger des connaissances en terme de reproduction des padawans. A titre personnel, j’en savais un peu trop à seulement cinq ans, je pense. Les avantages et inconvénients de débarquer dans la chambre d’un père très occupé avec une gente conquête, sans doute.

Et crois-moi, partager la chambre d’une zeltronne a été très éprouvant pour mes nerfs à ce sujet passé nos douze ans… J’ai mangé plus de phéromones qu’un voyageur sur Zeltros je pense… Mais au moins, j’étais parfaitement au courant du fonctionnement endocrinien des espèces proches-humaines. »


Elle avait dit ça sur le ton plaisanterie… Mais c’était parfaitement vrai, au demeurant. Leur promotion de padawan avait connu un très net déficit de femmes, aussi les deux jeunes filles avaient été mises au courant en privé quand le moment avait été venu des questions de cycles et autres joyeusetés menstruelles… Qu’à cause de ses multiples exercices physiques, Alyria avait presque cessé d’avoir, ce qui constituait accessoirement un soulagement plus qu’une grande perte. Essayez de vous entraîner avec des crampes, pour voir !

« Néanmoins, jusqu’à ce que mon maître me demande de l’aider quand une de nos indics de la Bordure a commencé à avoir des contractions… Je n’avais peut-être pas une vision notoirement différente. Mais il a bien fallu mettre la main à la pâte. Au sens propre. »

Poétique. En même temps, pour le coup, c’était vrai.

« Et quand je suis allée sur Sy Mirth il y a quelques semaines… Même problème, mais avec vingt ans de plus… Comme je ne pouvais pas réaliser l’accouchement moi-même, j’ai dû guider le Chevalier nous accompagnant. Pour être franche, il devait avoir la même expression horrifiée que moi à seize ans…

C’est pour cela que j’ai demandé à venir. Je n’ai pas la prétention ni la vocation à donner un cours complet et approfondi… mais donner des exemples pratiques de ce à quoi un jedi peut être confronté, et expliquer comment faire face à ce genre de situations. »


Pragmatisme, encore et toujours. Elle ne changerait jamais sur ce point. Et Atalan devait le savoir.

« Les mentalités ne changeront pas. Pas en un jour, et mieux vaudrait éviter de te mettre à dos tous les plus conservateurs de ton cercle en proposant une réforme trop forte. Je sais bien que c’est ce que tu aimerais faire, même si tu n’en as peut-être pas encore pris la résolution.

En revanche, proposer la chose sous un aspect utilitaire au début ne sera pas désapprouvé, comme ma présence ici l’indique. Mais cela permet de faire passer un message et des connaissances. Qui seront transmises. Et de fil en aiguille, lentement, infuseront les nouvelles générations. »


Elle le regarda longuement de ses yeux perçants, avant de souffler avec un amusement un peu aigre :

« On apprend quelques menus choses au contact des sénateurs… Encore que je ne suis pas sûre que ce soit des connaissances dont on puisse se vanter. »

Pour autant, quand elle reprit, elle était mortellement sérieuse :

« Mais si tu désires moduler les choses selon ce que tu crois être nécessaire… Ce n’est qu’un conseil, que je ne juge cependant pas complètement … déplacé. Mais ce n’est en effet pas à une gardienne de dicter ses positions à un guérisseur. »

Même au Temple, la politique ne la quittait jamais. Mais au moins, entre ses murs, elle en maîtrisait toutes les règles, et depuis longtemps.
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Il lui faudrait du temps pour se faire à son nouveau titre. Alyria, sans doute, avait raison. Après tout, elle avait de l'expérience en la matière. Pourtant, Atalan ne pouvait s'empêcher d'être un peu dubitatif. Il lui semblait que jamais il ne s'habituerait à ce qu'on ne l'appelle Maître. Il y avait quelque chose dans la déférence nouvelle qu'on lui témoignait, sincère, d'ailleurs, il n'en doutait pas, la plupart du temps, il y avait quelque chose dans cette idée même d'être un Maître Jedi qui le dérangeait. Il était honoré, c'était certain, et il voyait bien, même, les opportunités qui se présentaient désormais à lui. Mais s'habituer…

Le Miraluka haussa les épaules.

— Oh, tu me connais, je suis toujours un peu long à la détente…

Ben voyons.

Heureusement, alors qu'ils quittaient la salle de cours, la conversation, elle, quittait le terrain des honneurs pour se concentrer sur des sujets qu'Atalan jugeait plus fertiles — c'était le cas de le dire — et plus pratiques. Plusieurs fois, il hocha silencieusement la tête, en marchant à côté de son amie, et quand celle-ci lui intima la prudence, ce fut cette fois-ci en toute objectivité qu'il murmura :

— Je ne suis pas du genre à prendre des risques. Dans ce domaine-là.

Il voulait parler des débats doctrinaux à l'intérieur de l'Ordre, dont la pédagogie n'était finalement qu'un des aspects. Pour Atalan, le danger des divergences idéologiques à l'intérieur du Temple avait toujours été infiniment supérieur à ceux rencontrés sur le terrain. En mission, il n'hésitait pas à s'exposer mais au Temple, il avait toujours fait preuve d'une prudence dont il se demandait de plus en plus si elle n'avait pas confiné à la lâcheté.

— Tu sais, il y a un an, deux ans, je n'aurais pas songé à… changer quoi que ce soit. En dehors de mes propres cours, je veux dire. Peut-être que d'une certaine façon, sur ce qui se passe au Temple, je suis un peu suiviste. Il y a toujours eu pour moi une sorte de dichotomie entre ma vie ici et ma vieà l'extérieur, sur le terrain. C'est…

Il chercha un moyen d'exprimer clairement ce qu'il voulait dire mais il finit par soupirer.

— Désolé. Je ne voulais pas t'accabler de mes états d'âme. C'est que tu me retrouves en plein examen de conscience.

Pour être honnête, les examens de conscience faisaient depuis longtemps partie de son quotidien. Quand on avait commencé sa formation sous la tutelle de quelqu'un qui avait fini par embrasser le Côté Obscur, on était porté à se soupçonner soi-même. En mûrissant, ces derniers mois, comme son nouveau statut l'avait mis face à ses responsabilités, Atalan avait compris que pour une bonne part son attentisme, au sein de l'Ordre, avait été le fruit d'inquiétudes disproportionnées.

— Je suppose qu'au fond, je dois accepter qu'on me regarde comme un Maître plutôt que comme le Padawan d'une traîtresse.

Studieux et méditatif, Atalan paraissait relativement indifférent à l'idée que les autres pouvaient se faire de lui mais, en vérité, cette question l'avait longtemps beaucoup préoccupé. Que l'Ordre le nomme au sein du Cercle des Guérisseurs puis le décerne le rang de Maître étaient des gages de confiance qui l'avaient poussé à surmonter cet ancien complexe.

D'un ton plus résolu, alors qu'ils quittaient le centre médical, il conclut :

— Bref. Y aller pas à pas, ça me paraît préférable en effet. Le pragmatique d'abord, tu as raison. Il faudrait que je commence par sonder, à ce sujet, les dispositions des autres guérisseurs qui enseignent.

En parlant, il avait guidé leur pas vers le vaste parc qui entourait le Temple et qui, dans ses parties qui n'étaient pas dévolues à l'entraînement, offrait de nombreux parcours propices aux discussions. Il venait souvent méditer là, comme d'autres Jedis, et, de la même façon, ils n'étaient pas rares de voir des personnes arpenter ses allées en devisant. Pour Atalan, le parc d'Ondéron, loin de l'agitation urbaine du Tempe de Coruscant, représentait beaucoup son idéal de l'Ordre : une culture proche de la nature, de la Force vivante, immédiate, et qui cherchait à préserver la méditation et l'échange entre les uns et les autres.

— Ceci étant dit, si tu veux enseigner au Centre Médical, Gardienne ou non, ne te prive pas.

Certains Jedis considéraient que les spécialisations entre Gardiens, Sentinelles et Consulaires, sans parler divisions internes à chaque corps, étaient contraire à l'esprit de la tradition jedi. Atalan, lui, voyait sans peine leur mérite et il était convaincu que l'expertise spécialisée était un outil indispensable qui offrait des avantages précieux dont il était impossible de profiter dans des formations trop généralistes. Néanmoins, il ne se faisait pas pour autant l'avocat d'une séparation hermétique entre les différentes composantes de l'Ordre.

— Et au risque de revenir sur un sujet délicat… Au-delà même de ton indéniable compétence en la matière, il me paraît profitable que les Padawans pour lesquels tu es la Chancellière ou la Maîtresse d'Armes puissent te voir dans cet autre rôle et comprendre que l'existence d'un Jedi ne s'enferme pas dans le parcours prévisible de sa première vocation. Nombre de nos étudiants ont l'impression que leur vie sera écrite au moment où ils décideront s'ils deviendront Ambassadeurs, ou Voyants, ou Guérisseurs, ou Ombres, ou Archéologue. Même s'ils ont eu des missions à l'extérieur, ils ont encore parfois l'impression que la vie est aussi méthodiquement rangée et organisée que leurs emplois du temps et leurs tablettes de formation. Et ils finissent par découvrir que les choses sont loin d'être aussi simples. Comme moi à leur âge.

Lors de ses premières missions d'envergure en tant que Chevalier Guérisseur, Atalan avait rapidement compris que la gestion des épidémies n'était pas seulement une discipline médicale et scientifique mais également un exercice diplomatique et politique, économique et sociale. Négocier des mesures avec les autorités planétaires était une partie intégrante de l'activité d'un guérisseur épidémiologue. Et la médecine, à l'inverse, était une partie intégrante de l'activité d'un Gardien.

— Mais ce que tu as dit sur l'intérêt de leur apporter un témoignage concret, je crois que ça peut avoir une application plus large encore. Qu'on pourrait organiser une sorte de séminaire où les Chevaliers des autres corps viennent raconter une expérience où leurs talents de guérisseurs leur ont été utiles et répondent aux questions pratiques des étudiants. En obstétrique ou dans un autre domaine. Ça pourrait être…

Atalan se contenta de terminer sa phrase par un sourire.

— Bref, je m'emporte. Je vais finir par prendre goût aux responsabilités. Tant qu'on ne me propulse pas à la tête d'un gouvernement, je veux dire. Quoi qu'il en soit, j'ai pris bonne note de ta volonté d'enseigner quarante-six heures par semaine au centre médical.

Rien de tel que les méthodes de recrutement radicales pour susciter les vocations !

— Plus sérieusement, quels sont tes projets ? Je suppose qu'il serait difficile de reprendre comme avant. Nécessairement, les choses changent. Tu dois avoir une perspective nouvelle…

Atalan tâtait prudemment le terrain. Il n'était pas certain qu'Alyria eût envie de se projeter dans l'avenir mais il n'était pas sûr non plus qu'en dehors de ses amis proches, l'ancienne Chancellière pût trouver autour d'elle des interlocuteurs assez francs pour évoquer avec elle ce sujet délicat, au risque de la braquer.
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« Mais bien sûr… »

Roulant des yeux d’un air faussement outré, Alyria suivit Atalan tandis qu’il sortait de la salle où ils se trouvaient pour se retrouver à arpenter les couloirs du centre médical. Hormis pour ses incursions en tant qu’étudiante dans sa jeunesse puis comme enseignante plus tard, la maîtresse d’armes avait souvent parcouru cette enfilade de pièces pour trouver un guérisseur apte à soigner la multitude de petites blessures qu’elle avait reçu au cours de ses missions ou entraînements. Même si l’intensité des sabres étaient baissée au cours des duels entre jedis, le contact avec la lame d’un sabre-laser occasionnait tout de même des brûlures bénignes, mais qu’il fallait tout de même traiter. Et c’était sans compter sur son suivi orthopédique, évidemment, pour vérifier régulièrement le bon fonctionnement de sa prothèse. Bref, autant dire qu’elle arrivait facilement à s’y repérer et que l’endroit familier, malgré le fait qu’elle n’appartenait pas au cercle qui le dirigeait et y exerçait la plupart du temps.

Silencieusement, elle écouta Atalan exposer ses doutes, avant qu’il ne se reprenne pour s’excuser de l’accabler de ses pensées. Sauf qu’en vérité, Alyria était presque heureuse que quelqu’un arrive encore à se confier à elle sur des questions concernant l’Ordre sans que cela ne passe pour une tentative de sa part de mettre son nez dans des affaires qui ne la regardait pas, ou alors sans qu’elle passe pour une personne finalement inatteignable, à qui l’on ne pouvait plus parler, aussi, tout en marchant, elle s’exclama doucement :

« Non… Pour être honnête, je suis contente de t’écouter. Si je peux être d’une quelconque utilité pour t’aider… Ça me fait plaisir d’avoir une conversation de ce type… C’est la première depuis un long moment, en fait.

Parfois, j’ai l’impression que les autres jedis me considèrent désormais comme étrangère au Temple… alors… discuter d’un ressenti à son propos est presque agréable. »


Etrangère parmi les siens, voilà ce qu’elle était devenue. Impossible d’ignorer les murmures, les regards désapprobateurs de certains. Elle était jugée, ses actions, même celles dont elle n’était pas à l’origine, était commentée. En devenant Chancelière, Alyria n’avait pas été seulement exposée à la vindicte de certains politiciens, mais y compris à celle d’une partie de son propre Ordre. Et si elle pouvait supporter facilement d’être exclue du cénacle sénatorial, c’était autre chose que de voir certaines portes se fermer sur son passage au sein du Temple. Oh bien sûr, ce n’était jamais dit explicitement. Mais elle avait trop côtoyé les hautes sphères de la République pour ne pas voir les omissions, les expressions révélatrices.

« Donc… On peut faire un concours d’états d’âme ? Je suis sûre que tu auras une concurrence particulièrement rude. »

Son ironie caractéristique se teinta encore une fois d’un soupçon d’aigreur qui ne lui était pas habituelle. Décidément, elle détestait ce nouveau elle qui surgissait parfois au détour d’une conversation, comme si elle avait trop vécu ces derniers mois pour parvenir à lancer quelques notes d’humour sans être tentée de déverser une bile amère. Ce n’était pas digne d’un maître jedi. Ce n’était pas digne d’elle. Mais par la Force, que cela faisait du bien !

« Cela dit… C’est là toute la différence entre avant et après la nomination au rang de maître. Avant, on vit pour se perfectionner dans son domaine, on écoute notre maître, puis nos aînés, nos mentors divers et variés. En quelque sorte, padawans comme chevaliers, nous obéissons. Sur le terrain, seuls, bien sûr, il faut prendre des décisions. Nos décisions. Nous y sommes formés. Mais une fois de retour, se retrouver à nouveau dans le cadre hiérarchique fait qu’on se coule naturellement dans l’expérience produite par ceux qui savent.

Et puis on prend leur place. Et il devient impossible de se contenter d’obéir, parce que désormais, nous participons à la fixation des règles que tous doivent suivre. Ce n’est pas vraiment un passage facile mais… Si tu y penses, c’est que tu as déjà intégré ce que ton nouveau rôle devra être.

En un sens, c’est plutôt positif, ce genre d’état d’âme. »


Peut-être aussi que ces mois passés à l’extérieur du Temple lui avaient donné l’occasion de réfléchir à ses structures, à ce qui faisait un jedi. Peut-être qu’elle en était ressortie un peu plus sage, finalement. Au moins un point positif à retirer de toute cette mascarade. Il en fallait bien quelques-uns, au fond. Cependant, entendre Atalan se définir comme le padawan d’une traîtresse la peina. Elle savait la douleur engendrée par ce genre de trahison, particulièrement dans le cas du miraluka pour avoir été témoin, de façon plus ou moins lointaine suivant les époques du déroulé des événements. Quelque part, il lui rappelait sa propre difficulté à mettre ses erreurs derrière elle, ainsi que son statut désormais si encombrant d’ancienne Chancelière. Aussi elle tenta de le réconforter en touchant son bras quelques instants du bout d’un de ses gants immaculés :

« Si tu es arrivé jusqu’ici… C’est que ce passé n’a pas d’importance. Ce n’est pas toi qui as dérivé. Et nous le savons. Je le sais. Ne te ralentis pas parce que d’autres ont manqué de jugement. »

Voilà qu’elle devenait une véritable distributrice de maxime sentencieuse. Apparemment, le naturel de maître jedi revenait assez vite, finalement. Alors qu’ils quittaient le centre médical et tandis qu’elle refermait la porte derrière elle en faisant le moins de bruit possible, elle souffla :

« J’y compte bien. Simplement… Les changements au plus-haut niveau ne peuvent venir de moi. »

Traduction : elle ne pouvait être au sein du cercle qu’une exécutante, en aucun cas une décisionnaire. Elle pouvait le soutenir, mais les décisions devraient venir d’Atalan. Pas d’elle. C’était à lui de faire les choix qu’il jugeait légitime, et alors seulement elle lui servirait de relais. Mais il fallait qu’il s’impose. Seul.

Bientôt, ils arrivèrent en dehors du Temple, dans le grand jardin d’Ondéron. Un instant, Alyria huma l’air frais chargé des senteurs boisés qui parvenait jusqu’à ses narines, un sentiment d’apaisement lui venant. Subrepticement, son regard se posa au loin, sur un arbre éloigné du sentier principal, presque entièrement caché aux yeux extérieurs, et l’image furtive d’un baiser lui revint en mémoire. Qu’il lui semblait loin ce temps-là, désormais. Dire qu’à l’époque, sa relation avec Lorn constituait son principal sujet d’inquiétudes… Aujourd’hui, c’était sans doute l’aspect de son existence qui lui en causait le moins.

Détournant le regard et pour combler légèrement le silence qui s’était installée, elle soupira :

« Désolée, cet endroit… J’aime beaucoup le retrouver. Il m’a manqué. Coruscant a quelques espaces verts dans ses beaux quartiers mais… Ce n’est pas vraiment comparable.

Et de toute façon, sur la fin, impossible de sortir seule sans se faire suivre par une kyrielle de journalistes. Au moins ici, hormis des padawans qui ne regardent pas où ils vont, il n’y a pas franchement de quoi s’inquiéter. »

Reprenant le fil de la conversation, elle déclara, soudain enthousiasmée :

« Non mais au contraire, c’est une excellente idée ! Propose d’organiser un séminaire sur l’usage de la médecine sur le terrain pour les jedis, en invitant des gardiens ou des sentinelles… Voir des membres de l’éducorps et quelques-un de l’agricorps, pour la connaissance des plantes. Tu auras un panel varié, avec pas mal d’intervenants de tous horizons.

Ça peut être enrichissant pour tout le monde. Padawans comme jedis plus confirmés. Et une telle proposition à vocation éducative devrait recevoir l’assentiment de la majorité des membres de ton cercle, sans compter que les autres cercles et services seront heureux de voir leurs talents mis à contribution.

Si tu veux… Je pourrais intervenir. Pour le cercle des maîtres d’armes. Je pense que je n’aurais pas forcément une grande concurrence de toute manière. »


Elle devait bien être la seule de cette corporation d’élite à aimer à ce point déblatérer devant des étudiants sur un sujet éloigné de son domaine de prédilection. Pour une fois, ce serait à son avantage. Néanmoins, la question suivante la fit revenir à la réalité, assez douloureusement. Au fond, la question que tous brûlaient de lui poser sans en trouver l’occasion était arrivée. Qu’est-ce qu’elle voulait faire ? Histoire de se donner quelques minutes de plus pour réfléchir et formuler la réponse qui conviendrait le mieux, elle s’approcha d’un banc et s’assit dessus, le dos impeccablement droit, tandis que ses yeux verts balayaient les alentours. Ils avaient un parfum de familiarité. Et pourtant, malgré les souvenirs agréables, malgré la sensation de quiétude qui l’envahissait… Il manquait quelque chose. Et ce quelque chose lui enserrait douloureusement le cœur sans qu’elle arrive à mettre le doigt dessus. Plusieurs minutes s’écoulèrent sans qu’elle ne dise rien, et quand elle se décida à parler, ce fut pour répliquer à une remarque précédente.

« La Chancellerie n’est en soi pas un sujet délicat à aborder. J’y suis restée plusieurs mois. Presque un an. Cette expérience fait partie de moi. En un sens, j’aimerais même pouvoir en parler plus. Mais… Mes amis sont au sein de l’Ordre… Et peu aiment en parler, ou le font avec des a priori. Que je pourrais partager, à vrai dire, désormais.

Pour autant, cela rend la communication délicate. Et donc le sujet délicat. Même si en lui-même il ne l’est pas. »

Elle s’arrêta avant de laisser échapper un rire qui sonnait un peu faux :

« Comme tu vois, moi aussi je fais mon examen de conscience. »

Oui, et celui des autres, souvent de façon injuste. Mais le poids des reproches, dits ou sous-entendus, était parfois trop lourd à porter.

« Alors du coup… Je ne sais pas si on peut vraiment parler de nouvelle approche. Très franchement, j’aimerais revenir directement à la situation antérieure, celle d’avant Byss. Mais c’est impossible, en effet.

J’ai reçu une invitation pour l’inauguration des premiers croiseurs issus des chantiers de Mon Calamari. J’attends de voir si l’Ordre va en recevoir d’autres pour que des jedis participent aux festivités en tant qu’accompagnateur, et si c’est le cas, je me porterais volontaire pour y aller.
Même si je ne suis plus Chancelière… J’avoue que j’aimerais bien savoir à quoi vont ressembler les bâtiments que j’ai commandé. »


Elle se stoppa à nouveau, consciente qu’elle en avait peut-être trop dit. Puis l’envie de parler fut plus forte, aussi elle enchaîna :

« Je me dis qu’en faisant cela… Des centaines de gens ont eu du travail, des embauches ont été réalisées, et des technologies ont pu être adaptées, développées pour permettre à des humains d’utiliser les ressources Mon calamari. C’est la vision positive de la chose mais… Quelque part, j’en suis un peu contente. Un tout petit peu, disons. »

Parce qu’il n’y avait pas eu que du négatif dans son passage à la Chancellerie. Loin de là. Seulement, il est vrai qu’au fur et à mesure, elle avait tendance à l’oublier pour ne retenir que le mauvais. Celui qui lui pesait le plus.

« Quand on a pu faire ça… Je ne sais pas… Je crois qu’il faut que je prenne du recul. Que je me trouve une nouvelle voie. Loin de Coruscant, du Noyau… Loin de la République peut-être même.
Je verrais avec le Conseil, mais ils ont peut-être besoin de maîtres pour voir auprès des mondes neutres, près de l’Empire, s’assurer d’un soutien potentiel ou trouver des informations… Voir dans l’espace hutt.

J’en ai parlé un peu avec Lorn. Il pourrait m’accompagner, éventuellement. Si le Conseil est d’accord. »

La perspective de reformer leur redoutable duo pour une nouvelle mission de terrain l’intéressait clairement. Ce serait un peu comme dans leur jeunesse, quand ils n’étaient que de simples chevaliers. Quand ils n’étaient que meilleurs amis.

Oui décidément, les choses avaient bien changé depuis leurs débuts, à tous, ici. Cette génération recelait apparemment un certain nombre de surprises.

« Enfin… Tout dépendra de la situation d’ici-là. A force, j’ai appris à ne plus faire de plans à long terme. L’expérience, on va dire. »
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Ils étaient dans le parc et le silence était retombé entre eux mais Atalan n’en était pas inquiet. Il se souvenait d’avoir déjà, jadis, passé de longs moments ainsi, aux côtés de ses plus proches amis, sans rien dire, quelque part dans le parc ou les salles de méditation du Temple. Les Padawans, parfois, avaient du mal à supporter le silence — surtout celui des Maîtres, parce qu’ils avaient besoin, rapidement, de conseils et de consignes, de quelque chose de solide et de clair pour avancer. Le Miraluka n’avait jamais été comme ça. Son côté contemplatif ne l’avait pas quitté au fil des années.

On aurait pu le croire indifférent au trouble évident que sa question avait fait naître chez son amie. Par son tempérament autant que par la physiologie de son espèce, il n’avait jamais été des plus expressifs. Debout à côté du banc, le visage tourné vers le parc, il conservait un air calme et songeur et, bien sûr, des arbres, des plantes, des Padawans dans les allées, du temple derrière eux ou d’Alyria elle-même, il était impossible de dire ce qu’il regardait — tout, sans doute, en même temps, comme il essayait parfois de le faire comprendre à ceux qui voyaient autrement, ceux qui voyaient avec leurs yeux et pour lesquels les perceptions d’un Maître Miraluka demeuraient toujours en quelque manière un mystère.

C’était Alyria qui le préoccupait, cependant. Plus jeune, il avait éprouvé un peu d’embarras devant ce que les particularités de son espèce lui faisaient percevoir intuitivement de l’esprit et des sentiments des autres. Voir un être d’abord par ce qu’il ressentait, par la manière dont sa vie pulsait à l’intérieur de la Force, par ce lien étroit qui nouait ensemble et l’âme et le corps, c’était toujours un peu une intrusion. Il lui avait fallu du temps pour faire la part des choses et distinguer entre ceux que les autres voulaient bien laisser percevoir, probablement, et ceux qu’il découvrait sans le vouloir.

Il ne regrettait pas d’avoir posé sa question, cependant. Il n’avait pas besoin d’être un génie, ni même d’ailleurs de bien connaître Alyria, pour deviner qu’elle la taraudait sans doute depuis qu’elle avait quitté la Chancellerie, et peut-être même depuis le jour où elle en avait accepté la charge. Atalan n’était pas du jour à éviter les sujets sensibles, cependant, quand il conversait avec une amie, même s’il y avait toujours chez lui une politesse d’érudit ou, comme lui avait dit un jour un de ses élèves, une « prudence de bibliothécaire ». Selon lui, Alyria ne pouvait retrouver la quiétude nécessaire non seulement à ses fonctions mais aussi et tout simplement à son existence sans affronter directement, et rapidement, ce problème de tout premier plan.

Lorsque son amie reprit la parole, le Miraluka s’installa à côté d’elle. Deux Padawans qui s’engageaient sur l’allée, apercevant les Maîtres côte à côte et à la mine sérieuse, jugèrent préférable de rebrousser chemin et s’engagèrent dans une autre partie du parc.

Quand Alyria eut répondu, Atalan resta lui-même quelques instants silencieux. Il faut dire que le sujet lui était peu familier. Il reprit cependant la parole :

— On dirait presque que tu te sens coupable. D’être satisfaite de ce que tu as pu accomplir. Et je suppose que certains ici… et au Temple de Coruscant… trouvent en effet qu’il n’y a aucun mérite à être de si près mêlée aux affaires de la République. Cependant…

Atalan marqua une pause. Il ne se souvenait pas d’avoir jamais abordé ces questions, par le passé, avec Alyria. Dans leur jeunesse, ils avaient eu des préoccupations plus immédiates. Plus personnelles, en quelque sorte.

— Cependant, si notre Ordre a jamais été indépendant de la République, ce ne fut que pour une petite partie de son histoire et, pour l’essentiel, nous avons vécu dans une étroite symbiose, si ce n’est avec les gouvernements qui se sont succédés, tout du moins avec les idées et les valeurs qui fondent les institutions. Peut-être que ces valeurs et ces idées ne se sont jamais tout à fait incarnées, peut-être qu’en effet c’est la corruption qui préside, mais quand les plantes sont dévorées par les parasites, cela ne veut pas dire que la Nature est mal faite, mais que les jardiniers ont besoin de plus de patience et d’application.

La position d’Atalan à l’égard de la République avait toujours été quelque peu ambiguë et cette ambiguïté était de plus en plus grande à mesure que passaient les années. Si la vie politique lui était étrangère et s’il n’appréciait presque rien de ce qu’il pouvait en observer, s’il passait l’essentiel de son temps dans des missions les plus éloignées possibles du Noyau, il n’en restait pas moins attaché à une certaine tradition de l’Ordre qui en faisait une émanation de la République.

— Si tu avais oeuvré pour la poursuite d’un système inique par nature, alors les actes qui auraient été bons pour ce système auraient été condamnables aux yeux de la morale mais les systèmes imparfaits à l’intérieur desquels on œuvre bien pour les circonstances et par nature n’affectent pas les qualités propres de nos actes.

Certes. L’évidence même.

Atalan s’interrompit, esquissa un sourire et glissa :

— Difficile de croire que j’aie la réputation d’être un professeur obscur, hein ?

Il travaillait, cependant, à son défaut de pédagogie élémentaire.

— Ce que je veux dire, c’est que tu peux être fière de ton œuvre quand elle est respectable, non par orgueil, mais parce qu’elle donne des raisons d’espérer en la République. Et tu peux être d’autant plus convaincue de son utilité que certains ici paraissent la condamner, parce que ça veut dire qu’elle pourra être un exemple pour les Padawans futurs et les inspirer quand ils chercheront eux-mêmes à faire advenir les valeurs et les idéaux républicains au sein du monde tel qu’il existe. Si je puis me permettre un conseil…

Après tout, ne pouvaient-ils pas désormais parler d’égal à égal ?

— Tu devrais te soucier moins de ce que les Maîtres et les Chevaliers bien en place ont à dire de ce que tu as fait et t’attacher à transmettre ton expérience aux Padawans qui, en la matière, auront sans doute un jugement plus sûr que les plus anciens parmi nos sages. Parfois, l’expérience obscurcit plutôt qu’elle n’éclaire.

Ou à trop être déçu, on perd la capacité d’espérer.
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« A vrai dire… Tes explications me donnent presque envie de me mettre à la botanique. »

L’espace d’un instant, un sourire complice se peignit sur les lèvres d’Alyria tandis qu’elle écoutait Atalan et ses métaphores jardinières. Néanmoins, sans être une experte en la matière, et elle devait admettre son respect profond pour les maîtres de l’Agricorps capable de faire pousser n’importe quelle plante et de tout connaître d’une foultitude d’espèces vivantes, animales et végétales, ce dont elle était singulièrement incapable, elle trouvait l’image parlante, et bien choisie en vérité.

« Tu sais, quand j’étais plus jeune, je passais mon temps à peupler mes explications de métaphores sur les arts jedis quand je ne savais pas exactement comment transmettre mon point de vue par des méthodes habituelles.

C’est une excellente façon de faire. Et propre à donner la main verte, de surcroît. »


A l’époque, ces élèves regardaient leur sémillante professeure déblatérer à loisir sur les merveilles des duels au sabre, sur la beauté irrépressible de telle ou telle forme, le tout truffé de comparaisons savantes sur les armes diverses et variées qu’ils pourraient avoir en leur possession. Inutile de préciser que le succès avait été très modéré. Cependant, avec le temps, Alyria avait appris à modérer ses envolées lyriques, certes, mais aussi et surtout à sélectionner les métaphores les plus parlantes pour parvenir à se constituer une sorte de boîte à outil linguistique dans laquelle elle piochait au gré de ses besoins quand elle se trouvait confrontée avec une demande ou une situation complexe. Et souvent, ses interlocuteurs n’y voyaient rien de problématique. Atalan avait des opinions argumentées, justes, avec la prudence du penseur qui médite ses propos, la maîtresse d’armes pouvant presque se revoir quelques années auparavant dans cette volonté de rassurer gentiment, de dévoiler progressivement sa pensée par petites touches qui formait une palette certes chamarrée, mais réellement fascinante. Voilà qui lui redonnait presque le goût des discussions philosophiques absconses entre jedis ! Sans doute qu’à l’image de son lointain entretien impromptu avec Maître Berryl, une réflexion de cette qualité sur l’Ordre et la République lui avait manqué, elle qui préférait désormais éviter comme la peste ce qui avait pu faire sa joie quand elle était jeune, par crainte de basculer dans une aigreur difficilement contenue, qui menaçait de surgir à tout moment, de se déverser tel un flot impossible à interrompre si le barrage de sa patience cédait.

Ce qu’Atalan lui offrait, à travers ses conseils, son analyse, c’était un moyen de se conforter, certes, mais aussi de s’expliquer, elle qui en avait si peu eu l’occasion finalement. Certains avaient simplement accepté ce qu’il s’était passé sans plus remettre le sujet sur le tapis, préférant ne pas s’y attarder et la considérer toujours comme ce qu’elle était, un maître jedi. D’autres avaient adopté une certaine distance durant son bref mandat et ceux-là, Alyria ne savait comment leur parler désormais, quelle attitude adopter, entre ignorer ce qui s’était passé ou aborder le fond du problème au risque de créer des cassures douloureuses pour tous. Mais expliciter le fond de sa pensée, le pourquoi de ses actions… Oui, peut-être était-ce qu’il lui manquait, ce dont elle avait besoin. Tomber sur le guérisseur et trouver en lui une oreille attentive, comme par le passé, ne pouvait que lui être bénéfique, la pousser à tirer un trait positif, et non amer, sur cette parenthèse dans son existence qu’avait été la Chancellerie. Peut-être que cette conversation était à la fois l’annonce d’une fin et d’un renouveau qu’elle avait attendu sans savoir où le saisir ?

« Tu as sans doute raison. Au moins, plus personne ne trouvera étonnant que je parle de théorie politique après tout cela… Et dire que la plupart de nos pairs trouvaient toujours amusant qu’une gardienne s’intéresse à ce genre d’analyses …

L’ironie de la chose est assez flagrante, quand j’y pense. »


A croire que parfois, certaines choses étaient prédestinées à arriver…

« C’est juste que… Quand Halussius est devenu Chancelier, je n’ai pas réellement cherché à comprendre, et quand je l’ai revu après la fin de son mandat, j’ai réalisé que cela lui pesait. A l’époque, je n’avais pas vraiment su quoi dire, essentiellement parce que j’étais persuadée que jamais je n’aurais pu être dans sa situation.

Et maintenant… Je le regrette. D’une certaine façon, je sais ce qu’il a pu ressentir. Et encore, les circonstances étaient différentes, jamais je n’aurais cherché activement à exercer le pouvoir. Halussius a fait campagne pour la Chancellerie, dans des temps qui appelaient à des actions d’éclat, certes… Mais c’est quelque chose que je n’aurais pas pu.

J’ai été… Là où il ne fallait pas, en quelque sorte. J’ai fait au mieux de ce que je pouvais. Et ne pas pouvoir partager cette expérience a posteriori avec ceux que je connais depuis des années, par crainte des réactions … Disons que c’est plus cela, qui est pesant. Non pas le jugement de certains maîtres, qui de toute manière, n’ont jamais eu de grandes convergences avec ma propre pensée sur un certain nombre de sujets.

Mais… Il est arrivé que je ressente une forme de… je ne sais pas, gêne, chez certains de nos amis."


Elle se tut, ne voulant pas accabler certains non plus. Il était simplement un peu douloureux de voir de très vieilles complicités partir en fumée pour des actes qu’elle avait l’impression d’avoir subi plus que voulu, quand bien même elle les assumait pleinement. C’était un exercice d’équilibriste compliqué, où se nichait probablement une pointe d’orgueil qu’elle ne parvenait à s’avouer.

« Je ne vais pas nier ce que j’ai vu : la corruption, l’envie, la jalousie, les tractations, les mensonges pour salir l’Ordre … L’envers du décor de la République n’est pas très reluisant, quand bien même cela ne fait que davantage ressortir les personnalités réellement intéressées par autre chose que leur destin personnel qui y surnagent.

Néanmoins, j’ai aussi vu les rapports des services secrets, de nos pertes et des forces siths. Et je ne peux nier non plus cela : malgré tous ses défauts, la République reste le meilleur rempart contre l’Empire que nous avons.

Je n’ai pas oublié l’attaque du Temple. Je sais que sur les territoires de l’Empire, les jedis sont traqués et éliminés par leur Inquisition, tout culte sensitif éliminé. Comme nous le faisons pour les siths dans la République et au-delà quand nous y parvenons, diront certains.

Mais une chose est certaine : ils n’ont pas oublié ce que nous sommes. Et désormais, ils sont plus puissants que l’Ordre seul ne le sera jamais. Clamer notre indépendance ne changera pas la réalité de ce qui est en train de se tramer : les jedis ne peuvent, à l’heure actuelle, rivaliser seuls sans courir à leur perte.

Et j’espère que ce trop-plein de politique ne fera pas oublier aux plus véhéments cette vérité, aussi douloureuse soit-elle. »


Une ombre passa sur son regard, et elle lâcha en guise de conclusion :

« La volonté d’être plus pur que la normale ne doit jamais nous faire oublier les réalités d’une galaxie qui n’a que faire d’une morale tellement pure qu’elle finit par être sans mains, car l’empêchant d’agir sans se faire annihiler. »

Elle s’arrêta, consciente qu’elle était sans doute allée un peu trop loin, et finit par soupirer :

« Navrée, je ne pensais pas me lancer dans une dissertation aussi polémique. Sans doute que les derniers mois ont laissé quelques traces chez moi. »
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