Drapé dans son manteau gris, Etiam émergea d’un des innombrables taxi automatisé qui sillonnaient la planètopole. À peine le temps de payer que déjà le véhicule se laissait happer par la circulation frénétique. Une pluie glaciale s’abattait depuis la fine ligne grise qu’était le ciel, loin là-haut, par-delà la cime des immeubles. Sans les devantures lumineuses des commerces, les feux de signalisation et les phares des airspeeders, il aurait fait sombre. Un semblant de brume rampait le long des hyper-structures. Le Drall baissa les yeux, toujours un brin fasciné par le vide béant qui conduisait, des kilomètres plus bas, dans les sordides cartiers de Coruscant. Aussi loin que portait son regard, il y avait des lumières qui bougeait, clignotaient, synonyme d’activité. Tant de vie sur ce monde et pourtant, il y avait de quoi se sentir seul, surtout dans les rues abyssales de cette ville trop grande, trop impersonnelle. Etiam se détourna du gouffre citadin et s’avança vers la terrasse de la cantina. Ses bottes clapotaient dans les flaques et les pans de sa veste ondulaient sous la bise. Il n’était guère plus qu’une petite forme terne, anonyme. À mesure qu’il s’avançait, il commença à percevoir, malgré la cacophonie des moteurs, le tempo soutenu d’une musique. Encore quelques pas et il entendit aussi la mélodie jouée par une guitare électrique. Tout était encore distant, perdu, un bruit parmi tant d’autres. Le voilà sur la terrasse, sous l’enseigne annonçant en lettres roses fluo : Pink Dog. C’était un endroit appréciable. Bonne boisson, bonne ambiance, que demander de plus ? Etiam entra. Dès lors, la musique l’enveloppa, occultant la rue et le vent. Ici il faisait chaud, ici il y avait vraiment de la vie. Le bavardage des clients, les verres qui s’entrechoquaient, le solo de guitare de Kéyadd...

Kéyadd était un talentueux rocker, pas encore une star, mais il jouissait déjà d’une certaine notoriété. D’ailleurs le Drall le reconnu tout de suite. Avec son groupe, il écumait les cantina de Coruscant et participait également à quelques concerts. Il avait tout pour réussir. Un physique avantageux, des doigts endiablés, une voix puissante. L’établissement était comble et ce n’était pas un hasard. Achevant son solo, l’humain aux cheveux de jais recommença à chanter. Etiam retira sa capuche, révélant sa figure velue. Un anneau d’or pendait à chacune de ses oreilles, c’était la seule touche d’excentricité dans son aspect. Il s’approcha du bar, commanda une bière Corellienne et, sitôt servi, commença à la siroter en s’accaparant un tabouret. Kéyadd et son batteur mettait le feu dans la cantina.

« C’est Kéyadd », répondit Etiam, affable.

Il tourna la tête pour porter une brève attention à celui qui l’abordait. Un humain, assez jeune. Un client parmi tant d’autre. Nul besoin de savoir à qui il parlait. Dans une cantina, on parlait à tout le monde, les noms étaient superflus du moment qu’aucun sujet personnel n’était abordé. Très vite, le Drall reprit sa distraite observation des musiciens. Cependant, il donna dans le même temps de plus amples explications à l’inconnu.

« Ça doit faire un an qu’on commence à entendre parler de lui. Son rock est percutant et ses chansons, ma foi plutôt bien écrite. D’ailleurs il paraît qu’il compose tout lui-même. La réinterprétation, c’est pas son truc.
- Tout juste, intervint un autre type prêt du bar. Il fait tout, tout seul. Texte et musique. Franchement, moi j’aime les gars comme lui qui partent de rien. Lui c’est pas un fils à papa qui va se retrouver dans le top50 juste parce qu’il peut faire sa promo à coups de millions de crédits.
- Ouais, va aller loin ! » gloussa une demoiselle quelque peu éméchée.

Elle brandit son verre de vodka et porta un toast au guitariste. Pratiquement toute la clientèle y répondit. Kéyadd, forcément, ne put qu’entendre. Il venait de descendre de scène afin de se rafraichir le gosier. Il eut un de ses sourires étincelants et mit une main sur l’épaule de son batteur.

« Hé, faut pas oublier Mer’Ekk, déclara-t-il avec une modestie un brin forcée. Je serais pas là, sans lui ! Allez, à Mer’Ekk ! »

Ce fut le second toast, le second beuglement généralisé. Non, vraiment, l’ambiance était au top. Au milieu de l’effervescence, le batteur, un homme de grande stature bien plus massif, bien plus carré que le charismatique Kéyadd, croisa le regard d’Etiam et lui adressa un signe de tête. Le Drall y répondit de la même manière. Seul un observateur très attentif aurait pu surprendre cet étrange échange.

En vérité, la Lame d’Or avait une petite affaire à conclure avec Mer’Ekk. C’était la raison de sa présence. Mais rien ne pressait. Le batteur allait bientôt devoir remonter sur scène afin de débuter le prochain morceau et le Drall était bien décidé à profiter du concert. En attendant, il commenda une seconde bière.