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«Non, non, non, non, non, et non !»

Bon, au moins, ça avait le mérite d'être clair. Mais que voulez-vous ? Je suis quelqu'un d'obstiné. Et quand on est obstiné, la seule chose qu'on passe son temps à faire, ben... c'est de s'obstiner.

«Vous direz ce que vous voudrez, boss, mais je maintiens ma position : toute cette affaire a été sous-médiatisée. On pouvait en tirer quelque chose de carrément plus... je ne sais pas !»

Walter Wallace est fâché. Il faudrait être aveugle pour ne pas s'en rendre compte : il est vraiment, terriblement, fâché. D'ailleurs, je m'étais déjà demandé ce que ça faisait, un Twi'lek en colère. Est-ce que ça devient rose bonbon ? Est-ce que ça gonfle sur place, comme une barbe-à-papa géante ? En fait, non, le résultat s'avère plutôt décevant : sa peau de chewing-gum devient rouge, c'est tout, juste rouge comme celle d'un humain lambda.

«Écoutez, Graciozi. J'ai su me montrer plutôt patient avec vous, ces derniers mois. Vous m'avez fait chier pour prendre en main le dossier Janos, je vous ai dit non. Je vous ai interdit de vous rendre à l'entrée de sa suite, le jour où tout a déconné, vous y êtes allée quand même. Je vous ai interdit de publier quoi que ce soit là-dessus, vous avez quand même pondu pas loin de quinze articles. Je les ai exclus de mon journal, vous avez joué les pigistes en les balançant à nos concurrents. Et le plus marrant, dans cette affaire, c'est qu'ils n'ont rien voulu entendre... Enfin bref. Maintenant, je pense qu'il ne me reste plus qu'à faire une chose...»

Ok, j'ai compris, il va me virer. Bon, et ben puisque je n'ai plus rien à perdre...

«Vous savez comment j'appelle ça, moi ?», que je lui gueule à la figure sans lui laisser le plaisir de m'annoncer que je suis cordialement remerciée. «Vous le savez ? Eh ben, votre respect de merde pour le politiquement correct, moi, j'appelle ça de la censure. Parfaitement, c'est ni plus ni moins que de la censure de merde !»

Coupée dans son élan par ma réplique intempestive, la marmite bouillante que j'ai face à moi d'un coup se dégonfle, lâche de la pression, laisse s’épandre des vagues de fumée dans tous les sens, pour retomber, flasque, sur le bureau.

«Non, mais enfin...», me dit-il d'une voix totalement dépitée. «Vous valez mieux que ça, Graciozi. Vous valez bien mieux que ces petits discours d'étudiants en journalisme sur la liberté de presse... Si, ces derniers mois, je vous ai...»

«Bâillonnée. Employez les bons termes.»

«Si ça peut vous faire plaisir... Je disais, si je vous ai bâillonnée, c'est pour une raison essentielle : la sécurité. Le dossier Janos pue la merde à plein nez. Reniflez-en rien que la surface, et vous la sentirez, à pleins poumons, cette merde. Une enquête là-dessus, ça vous fait remuer des trucs qu'il vaut mieux pas remuer, c'est moi qui vous le dit. Mettez-vous les services secrets à dos, et vous verrez. Ça vous tombera dessus, vous n'y comprendrez rien, et après, une fois que ce sera fait, il ne vous restera plus que vos larmes pour pleurer toute l'ampleur de votre connerie.»

Aucune publication digne de ce nom depuis le récent bordel politique. Pour une journaliste comme moi, si c'est pas malheureux... Bâillonnée, muselée, à regarder toutes les portes se refermer sur moi... Le pire, c'est que je n'ai aucune ambition qui irait en contradiction avec l'État, ou je ne sais quoi. Tout ce que je veux, c'est comprendre. Point final. Comprendre, et c'est tout. Enfin, quoi ! Un type ne révèle pas du jour au lendemain qu'il est un Sith, qu'il a pondu une base en plein cœur de la République, et qu'il est en fait un gros méchant. Les esprits simples peuvent se contenter de ce genre d'explication, moi pas. Il y a quelque chose d'autre, derrière tout ça, quelque chose qu'on ne nous dit pas, et c'est ce quelque chose-là que je traque, inutilement, depuis ces fameuses révélations.

«Je vous laisse le choix, Lucrecia.» (Oh, fuck ! Il m'a appelé par mon prénom !) «Soit vous me promettez d'arrêter de vous mettre martèle en tête avec toute cette histoire, et on reprend sur des bases solides, soit vous vous obstinez jusqu'au bout, mais alors vous le ferez toute seule, hors des services de Galactic Holonews.»

Je lui offre un grand sourire, le plus grand dont je sois capable.

«D'ailleurs, vous pouvez me remercier de vous laisser encore le choix. Une autre que vous aurait été virée sur le champ...»

* * *


Dix minutes plus tard, à l'entrée du building de Galactic Holonews...

Je ne l'ai pas remercié, mais lui, il l'a fait. Me voilà donc virée. Eh oui, difficile d'y croire, hein ? Mais je suis virée, et bien virée. Tout ça parce que je veux bien faire mon boulot, en plus. Décidément, il n'y a pas de justice. Mais bon, je suis une pragmatique, moi : autre chose à faire que de pleurer sur mon sort, il faut aller de l'avant.

«CZ-66. Tu me reçois ?»

«Oui, oui... Couic ! Alors, comment ça s'est passé ?»

«Humph ! À ton avis ?»

Quelques secondes de battement, le temps que mon petit droïde-boule active ses programmes de déduction adéquats.

«Bon, j'ai compris. Couic ! Je lance des recherches pour vous trouver un nouveau job.»

Là, je ne peux pas m'empêcher de sourire. On dira ce qu'on voudra, mais l'intelligence artificielle a sa sensibilité que la sensibilité humanoïde ne connaît pas.

* * *


Deux semaines plus tard, dans un bar un peu bobo de Coruscant.

Je n'ai encore rien bu. Les finances risquent vite d'être dans le rouge, si je continue comme ça, alors je préfère attendre que mon potentiel futur employeur me paie un verre. Il ne devrait pas tarder.

Ces derniers jours ont été occupés à accumuler des entretiens d'embauche, et, à titre personnel, à comprendre pourquoi je me suis tournée vers la presse politique. Entre les tabloïds du type Ici Coruscant, la presse féminine à la Mha'R Hiclèr, et les trucs pour obèses incapables de tenir un régime, j'ai envie de dire... En fait, non, je n'ai rien envie de dire. Heureusement, CZ-66 a bien fait son boulot, et m'a obtenu ce rendez-vous. Je ne m'y attendais pas, pour le coup : j'ai vraiment été sur le cul quand il m'a annoncé, tout fier, que le fameux Ben Doyle daignait me rencontrer. Et dans ce cadre pas archi-formel, en plus ! Comme quoi, tout est possible... Enfin, il y a mon CV : l'affaire Karl Wert, tout de même, et puis l'année passée chez Galactic Holonews. Ce n'est pas rien. J'imagine que ça a été déterminant pour cet entretien d'embauche.


J'espère que ça va marcher, putain, j'espère que ça va marcher. Et qu'il va accepter mes conditions, surtout... Je sais, je suis athée, mais j'aurais vraiment envie de prier un petit dieu ou deux, là...
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Lucrezia Graciozi... A la vue de ce nom, sur un cv jeté par Karl sur le bureau, Ben avait été intrigué un instant, avant de passer à autre chose. Il ne s'était pas attardé sur le document et l'avait balancé dans le coin gauche de la pièce, appelé "l'oubliette". Enfin, c'était comme ça que Karl appelait cette partie du local de son ami et patron. Ben y balançait tout et n'importe quoi, et la paperasse s'accumulait en piles difformes, appuyées sur les grandes vitres donnant sur le district financier de Coruscant. Impossible de se placer devant les énormes fenêtres et de venir apprécier la vue d'un air pensif, tant il y avait de bordel. Tout le bureau de Ben Doyle était enseveli de papiers. Editos en cours d'écriture, articles à relire avant la publication, dépêches de l'Agence Galactique-Presse, mots-croisés... Ben travaillait dans le foutoir, ce qui avait le don d'exaspérer Karl.

Au mur opposé, se trouvaient des piles de bouquins, s'écroulant régulièrement. Livres lus, livres commencés, livres à lire... Tout cela formait des tours de tailles diverses, seuls ornements de ce bureau encombré. Des cendriers étaient dispersés un peu partout, vidés tous les trois jours par une femme de ménage en or, à qui Ben offrait toujours des cadeaux pour son anniversaire et la nouvelle année. Dans tout ce fatras, on trouvait trois sièges, celui du patron derrière le bureau, et deux autres lui faisant face, au cas où des invités auraient eu la curieuse idée de visiter le rédac chef du Post dans son antre. Un mini-bar venait compléter la scène, où s'accumulaient des bouteilles en tout genre. Deux trois verres plus ou moins propres avaient trouvé leur place sur le bureau en bois massif, laissant des auréoles impossibles à enlever. Un énorme thermo rempli de café traînait également en permanence, et un stagiaire avait pour tâche de toujours veiller à ce qu'il soit bien rempli.





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C'est dans cet univers particulier que Karl fit irruption un nelona après-midi.

    « Hé, salut! »

    « Mmm... 'Tends, j'finis le papier d'Oscar. »


Le vieux pote de fac de Ben vint s'asseoir dans un fauteuil crapaud, d'une couleur vert foncé dégueulasse. Il prit une bouteille de rhum présente sur le bureau et en versa dans un verre. Il faisait chaud, la clim étant en panne.

    « Putain il nous a encore torché de la bonne merde, Oscar! »


Ben transforma l'article en une boule, qu'il balança dans le coin gauche de la pièce. Elle vint heurter une pile, qui s'affaissa tristement.

    « On n'a plus le temps de changer ça, tu sais bien. Le journal sera bouclé dans une heure. »

    « Comment on peut encore avoir ce crétin ici? J't'avais dit de chercher quelqu'un d'autre! »

    « Et c'est ce que j'ai fait... » soupira Karl.

    « Qu'est-ce que tu m'chantes encore? Bordel c'est pas croyable comme y fait chaud ici! On s'croirait dans un bordel de Zeltros nom de dieu... »

    « J'ai contacté le réparateur, il a envoyé une équipe. Ils bossent dessus depuis le matin mais ce sera pas fini avant demain soir, d'après ce qu'ils m'ont dit. J'avais mis le cv de Lucrezia Graciozi sur ton bureau. »


Ben soupira profondément. Il se servit également un verre et avala aussitôt son contenu, cul-sec. Puis, avec difficulté, il se leva, son front dégoulinant de sueur, marchand péniblement jusqu'à une pile près de la fenêtre. Sans délicatesse, produisant plus de bordel encore, il commença à trifouiller dans cet enfer de papier. Malgré toute la technologie numérique existant en ce bas monde, les supports matériels n'avaient pas encore dit leur dernier mot... Saisissant une série de pages agrafées, Ben afficha un sourire d'explorateur découvrant un temple perdu.

    « Ah ah, je l'savais bien! »


Il revint à sa place, balançant sur le bureau le document.

    « Bon... c'est qui cette salope? Encore une suceuse qui croit qu'ça suffit d'avaler? »


Karl porta ses deux mains à son visage et se frotta les yeux, déprimé. Il lui arrivait d'être parfois fatigué, très fatigué...

    « Cette salope, comme tu dis, est à l'origine de l'affaire Karl Wert. Pas mal quand même pour seulement vingt-six printemps! »


Ben grogna quelque chose, ouvrant le curriculum vitae et le parcourant à la va-vite.

    « Tellement bien qu'elle s'est fait virer de chez Galactic Holonews, hein? Depuis quand on recycle les journalistes des autres groupes? »

    « Le texte mentionne un "désaccord profond sur l'attention accordée à l'affaire Janos". Walter Wallace est un trouillard, c'est pas nouveau... Il veut pas faire de vagues et cette petite-là a l'air plus couillue qu'un Devaronien. »

    « Ouais, ouais, j'les connais ces filles-là... De vraies chieuses. »

    « Oh arrête trente secondes, merde quoi. Rencontre-la, ça fait quoi hein? Elle a fait une thèse qui a reçu toutes les distinctions possibles. Pas pour rien que Galactic Holonews l'a embauchée hein? Et Karl Wert, mon gars, Karl Wert... Tu veux qu'on fasse du pognon? Voilà comment! Et puis tu dis toujours qu'on doit pas avoir peur, qu'on doit aller jusqu'au bout, enquêter même si ça fait mal à des gens qu'on connaît... Tu crois pas en beaucoup de choses, mais le pouvoir de la presse et son rôle d'éclaireur des consciences... ouais, si, t'y crois! »

    « Ahahahah! "Eclaireur des consciences"? Putain, tu sais parler toi, hein? Bon, allez, ok, j'vais la voir! Comme ça t'arrêteras peut-être de me casser les couilles. »


Karl sourit et acheva son verre. Malgré tout ce que Ben pouvait dire, il savait avoir dit vrai.

    « Tu préfères Oscar, peut-être? »


Ben haussa les épaules, se levant également. Il escorta son ami jusqu'à la porte, qu'il ouvrit. Puis, s'adressant à sa secrétaire :

    « Jocelyne! »

    « Oui patron? » répondit l'employée d'une voix criarde.

    « Arrangez un rendez-vous avec mademoiselle Graciozi! Lucrezia, Graciozi. »


Puis, dans un grand bruit devenu habituel pour le personnel, la porte du bureau claqua violemment contre le chambranle.

---

Ben entra dans le Onze Bar, les mains dans les poches. Il avait ses habitudes dans ce lounge-bar, comme dans beaucoup d'autres endroits où l'on servait des boissons alcoolisées. Du petit bar miteux des bas-fonds de Coruscant aux plus chics comptoirs des hauts quartiers, Ben Doyle avait ses entrées partout, ou presque. Cinquante ans à déambuler dans cette ville-monde où il était né avaient permis au gros bonhomme de visiter tous les endroits où picoler de la capitale républicaine. Avec les problèmes d'insomnie qui s'étaient déclarés voilà près de trente ans, il avait eu encore plus de temps pour découvrir les coins les plus bizarres de tout Coruscant. Il aimait cette ville, passionnément, et se sentait partout chez lui. Il faisait chaud, dehors, comme souvent. Froide d'apparence, la planète était perpétuellement chaude, du fait notamment de la pollution.

Il regarda autour de lui puis découvrit la journaliste au bar. Beau cul. Il s'apprêta à lancer la conversation sur ce sujet puis se ravisa. C'était p'têt pas très professionnel.

    « Mademoiselle Graciozi. Ben Doyle. Mais appelez-moi Ben. Tout le monde m'appelle Ben. »





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Il tendit une main cordiale, qu'il aurait bien dirigé vers autre chose... Dju, malgré le jean kaki et la veste en cuir, elle restait franchement agréable à regarder. Des cheveux noirs, des yeux marrons, de belles petites joues rondes. Ok, tout ça c'était bien joli mais ça suffirait pas pour rentrer au Post. Et ces histoires de diplômes... ouais, bien joli tout ça. Mais des connards avec des grandes dis, ça manquait pas les rues de la galaxie. Toujours assez cons pour se faire voler leurs portefeuilles, d'ailleurs. Cette chère Lucrezia avait intérêt à avoir autre chose comme atouts que son diplôme et sa plastique.

Il commanda deux verres de rhum correlien, but le sien cul-sec au bar, en redemanda un, puis invita la journaliste à venir s'asseoir. Ben se laissa sombrer dans le bon fauteuil mou, arrivant dans la foulée à se foutre du rhum sur la main droite. Bon, tant pis. Il respira un bon coup. Aaah putain, il faisait frais au moins ici! Ca faisait quatre jours que les locaux du Post étaient devenus une fournaise. "Ce sera fini demain dans la soirée"... C'est ça, ouais, bande de connards. L'équipe de réparateurs était toujours en train de régler le problème de clim. Ou de l'aggraver? Ben allait téléphoner un de ces jours à Coruclim et passer un savon au salopard qui le faisait crever à petit feu dans son propre bureau...

    « Alors, mam'zelle Graciozi, y paraît qu'on cherche du boulot? »

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Alors le voilà en vrai. Le fameux Ben Doyle. Pour le coup, le bonhomme correspond assez bien à l'idée que je m'en étais faite... Un côté bon p'tit père qui lui confère un charme bien à lui. Et puis rentre dedans comme je les aime : un bonjour fugace, une poignée de main, un verre cul-sec, et c'est parti pour la conversation ! Tout pour me mettre à l'aise, quoi...

Je m'installe confortablement dans le canapé de cuir qui trône en face de lui, croise les jambes, brandis mon verre de rhum que j'ai emporté avec moi, et l'engloutis d'une traite, comme il vient de le faire à deux reprises devant moi au bar. Mon visage demeure impassible : je ne suis pas comme ces petits puceaux prétentieux qui se forcent la voix pour affirmer, sous le regard de leurs potes, leur résistance à l'alcool, et changent de couleur dès que leurs papilles rentrent en contact avec la moindre goutte. Non, des trucs forts, moi, j'en ai testé un paquet : mon système ORL a fini par s'habituer (et j'espère que mon foie en a fait autant...). Eh-eh ! J'ai beau ne pas être très vieille, j'ai déjà de la bouteille ! Sans mauvais jeu de mot...

Ben est direct ? J'vais m'gêner, tiens...

«Si je ne cherchais pas de boulot, je ne serais pas face à vous, si ?»

Bon, j'accompagne quand même ma question d'un petit sourire poli : faut pas abuser, non plus. Au moment même où ma main vient faire claquer mon verre sur la surface de la petite table qui nous sépare, je me tourne vers un droïde-serveur perché sur une roue.

«Donnez-nous une bouteille entière, ce sera plus simple.», lui demandé-je, songeant que ce petit effet de désinvolture ne sera pas pour déplaire au gros Ben...

Le serveur s'y applique illico-presto, et nous voilà avec une bouteille entière de rhum correlien, de quoi remplir une bonne partie de la soirée...

«Bon, je vais aller droit au but. Sur mon CV, vous avez dû voir que les services du Galactic Holonews m'ont gentiment remerciée. Ce n'était pas à cause des motifs habituels : paresse, manque de productivité, incapacité à aligner trois phrases sans pondre un torchon. Non, s'ils m'ont virée, c'est parce que je leur ai fait peur.»

Il fait chaud, ici. Une horde d'étudiants vient d'affluer, et on sent à l'ambiance que le nombre d'individus au mètre carré suit une hausse exponentielle. Je décide donc d'enlever ma veste de cuir, n'ayant plus que mon t-shirt crème sur la peau, les bras nus. Ça reste sobre, hein. Si j'avais voulu jouer les pouffiasses jusqu'au bout, j'aurais mis autre chose, un décolleté, ou je ne sais quoi. Mais j'ai ma dignité, moi : ce type de stratégie, ça ne s'applique qu'en dernière instance, lorsqu'on n'a plus d'autre choix. Et puis, côté poitrine, sauf habillement adéquat et rehaussement intempestif, ce n'est pas comme si j'étais d'une générosité digne d'une marquise, alors...

Cependant, soyons honnête, ce geste du ouf, j'ai chaud n'est pas innocent à 100 % non plus. S'il ne fait pas ressortir les rares charmes du dessus, il a le mérite de faire apparaître la petite menace du dessous : ma ceinture, mon fourreau de cuir, et le manche de mon blaster qui en dépasse. Il faut dire ce qui est : un gun, ça vous pose autrement que des nibards. Ça montre que je peux me lancer dans du journalisme extrême, que je suis prête à tout... Et puis rien de tel pour aller à l'encontre de tous ces clichés macho de merde, où une donzelle doit nécessairement s'exhiber lors d'un entretien d'embauche. Moi, je fais comme les mecs : je brandis mon revolver.

«Pour être plus précise, j'ai un centre d'intérêt. Si vous m'embauchez, j'écrirai tout ce que vous voudrez, j'enquêterai sur tout ce qui vous chantera, mais je désire vraiment pouvoir travailler sur ce sujet qui me tient tant à cœur et que la presse traite de manière débile : le dossier Janos.»


Voilà, c'est dit. Advienne que pourra. En attendant, je lui sers un verre, je m'en sers un autre, je le bois cul-sec. On était à 2 verres à 1 jusque là... Maintenant, 2 partout !
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Diable, en voilà une qui ne mâchait pas ses mots! Et qui buvait autant que lui... Attention à ce petit jeu, coquinette! S'ils avaient plus ou moins la même taille, Ben faisait certainement au moins deux fois le poids de la journaliste. Ceci dit, cette franchise et ce goût pour la boisson plaisaient au patron du Post. Peut-être que cet entretien allait être plus intéressant que ceux qu'il se tapait habituellement. La plupart du temps, les postulants chiaient dans leur froc à sa vue, et tout ce qu'ils étaient foutus de dire c'était "j'ai x années d'expérience chez blablabla, fait des brillantes études à l'université de truc bazar"...

Et ce t-shirt révélateur! Fort sympathique, dites donc. Bon, ça aurait pu être un peu plus fourni mais, au moins, elle hésitait pas à utiliser tous ses atouts. Voilà qui faisait chaud au coeur. Enfin quelqu'un d'impliqué dans son travail! Et qui commande une bouteille? Pas mal. Fin, faudrait pas non plus qu'elle croit que ses nichons et une bouteille suffisent pour l'amadouer. Des filles bien gaulées, ambitieuses et vénales, ça manquait pas dans le métier. Par contre, des filles bien gaulées, ambitieuses, vénales et capables, ouais, ça, c'était moins courant.

    « Ahahah! Ce bon Walter Wallace... »


Evidemment, Ben connaissait le boss de Galactic Holonews. Tout le monde se connaissait dans le métier. Une véritable petite corporation, s'épaulant en cas d'attaque extérieure, se massacrant fraternellement le reste du temps. C'était une jungle, comme dans toutes les professions côtoyant le pouvoir. Le secteur bancaire était, étrangement, moins féroce, Ben le savait par expérience. A la vue du blaster, Ben sourit, se marrant.

    « On m'avait dit qu'vous aviez des couilles, Graciozi, j'vois qu'vous avez l'engin qui va avec! »


Un serveur passa à nouveau et Ben lui demanda des cacahuètes. Le service était rapide, ici, ce qu'appréciait le journaliste. Il obtint rapidement ses arachides salées et plongea une main dedans, fourrant ensuite ce qu'il attrapa dans sa bouche, direction bedon ensuite.

    « Chomp chomp chomp... Perso j'ai un pistolet-blaster. Pas ici, hein. Mais j'aime co bien aller dans des bars des bas-fonds. Z'êtes de Coruscant? Bref, vaut mieux s'armer quand on va dans certains coins. Surtout quand on est une nana, hein? »


Il était effectivement plus prudent de s'armer quand on parcourait les quartiers les plus douteux de la capitale-monde républicaine. Ben n'hésitait pas à se rendre là-bas. Il avait passé son enfance dans ces quartiers miteux, pourris jusqu'à la moelle, totalement délaissés. Les autorités publiques avaient jamais rien branlé, se foutant de tout. Alors bon, on s'étonnait qu'il soit libéral, lui, le type des bas-fonds? Il avait vu l'efficacité des flics, hein. Une gamine violée? Bah, rien à foutre. La corruption gangrénait tout, et les investisseurs honnêtes déguerpissaient toujours. Le chômage grouillait sous les beaux apparts des riches sénateurs qui s'en foutaient éperdument. L'Etat allait rien changer à tout ce merdier, fallait arrêter d'être naïf et attentiste.

Il se servit un verre, à lui comme à sa charmante interlocutrice. A nouveau, il y alla franco, avalant tout d'un coup. Inutile se faire genre on a des bonnes manières hein? Elle avait compris à qui elle avait affaire, et inversement.

    « Rien à dire sur vot' cv, Graciozi. Nickel, évidemment. Un peu trop pour qu'tout soit vrai, non? En tout cas, pas mal l'affaire Karl Wert. Ca a du rapporter, j'me trompe? Fin bon, savez bien qu'un journal c'pas une charité. Faut qu'l'oseille rentre, y a pas d'honte à vouloir faire du pognon. Si vous avez postulé, c'est qu'vous appréciez l'Post un minimum, et qu'vous avez faim et soif. On est pro-entreprise, pro-business si vous voulez. Bref, vous connaissez la maison. »


Une main vint à nouveau fondre sur les pauvres cacahuètes, dont une partie finit horriblement entre les dents de l'ogre Ben. Le tout reçut une gorgée de rhum, histoire de faire passer ce qui restait coincé en bouche.

    « Moi, tant qu'vous respectez la ligne du Post, tout me va... Et un papier sur Janos, le Traître intergalactique? Le Sith caché derrière le Vice-Chancelier? Pour sûr, ce s'ra intéressant, vendeur en prime. J'ai rien contre ça. »


D'une poche intérieure de son vesto, Ben sortit une un paquet de cigarettes Morlbara. De belles petites saloperies bien addictives. Une merde qu'il consommait depuis... depuis qu'il était adolescent en fait. En attendant, ça l'avait pas empêché d'enterrer trois oncologues. Hé ouais! Ben restait lucide, quand même. Aller à l'enterrement de trois spécialistes du cancer vous rendait pas moins susceptible d'en choper un. Mais bon, ça avait son ironie. Il alluma une cigarette avec son zippo et tendit le paquet à la Graciozi. Peut-être avait-elle un vice en plus de la boisson? Il inspira une bouffée de tabac, puis expédia la fumée par ses naseaux. C'était meilleur quand le tabac vous mettait son odeur dans les narines comme dans la bouche. Fallait aimer ça, évidemment. Saisissant brusquement un cendrier sur la table basse, Ben le garda en main et fit tomber un peu de cendres dedans. La fumée des mégots s'évacuait lentement en fines volutes.

    « Tout ça c'est bien joli, mais m'faudra plus qu'un beau parcours. Qu'est-ce qui vous rend plus intéressante que les autres? Moi, j'peux vous proposer un poste dans la section politique du Post. Faudra bosser si vous voulez prendre du galon. Et z'avez intérêt à pas être syndiquée. Sinon pouvez déjà vous casser. Moi, c'que j'attends c'est de l'inventivité, de l'audacité - j'invente des mots ouais - et de la fidélité. On trompe pas Ben Doyle. Le Post c't'une famille. Vous avez des parents, des proches? Oubliez-les. Votre frère sera un connard assis à côté d'vot' bureau, et vot' paternel ce sera moi. Comme ça qu'ça marche dans la boutique, comme ça qu'ça marche... Vous m'plaisez bien, Graciozi. Du culot, c'est bon ça. Mais est-ce que vous avez le reste? »


Et de sa bouche sortit un souffle de fumée chaude, suivit d'un gros rire bonhomme.
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Merde, il va me battre sur le nombre de verres, l'Oncle Ben ! Sacrée descente, quand même ! Ça justifie le bide, vous me direz. Enfin, bon, allez, c'est l'un de mes nombreux péchés mignons (enfin, pas si mignons que ça) : je le relève, moi, son concours de bite. Que le plus gros soulard gagne !

Tout en m'enfilant un nouveau verre cul sec, je jette un léger coup d'œil à mon "engin", comme il vient de l'appeler.

«Oui-oui. Il m'arrive parfois de passer mon temps libre, en soirée, dans des endroits assez peu fréquentables pour une honnête jeune fille comme moi. Et de fait, j'ai, comme qui dirait, intérêt à faire valoir quelques atouts défensifs, sinon... Enfin, en tout cas, je vois que nous avons les mêmes valeurs...»

Petit sourire espiègle. Pas question de la jouer : "tope-là, mon pote !", mais un peu de décontraction, ça ne fait pas de mal. Lui, vu sa consommation de cacahuètes, il l'est, détendu. Et moi aussi, en fait. Tiens, je vais m'en faire quelques unes, des cacahuètes. Ça me permettra d'éponger un peu l'alcool, parce qu'à jeun, ça risque de ne pas trop le faire, quand même.

«En tout cas, mon CV, oui, c'est clean, mais je vous assure : tout est vrai, là-dedans. Comme les produits bio : 100% authentique !»

Je me laisse aller à rigoler un peu. Comment déboucher sur un petit éloge de soi, tout en faisant passer la pilule sur un ton bien décontracté comme il faut...

«Je vous mets au défi d'y trouver le moindre pépin, dans ce CV : cherchez, il n'y a rien qui fasse tache. Quant aux procédés qu'il m'a fallu employer pour mener à bien l'affaire Karl Wert, je n'en ai jamais fait un tabou, que je sache. C'est ce qui m'a valu d'emblée le soutien total de 50% de la sphère journalistique... et la suspicion alarmée de l'autre moitié. Enfin, que voulez-vous ? Je m'assume, quoi.»

Voilàààà... Bien lui faire comprendre que je suis une petite journaliste dynamique qui mène une vie palpitante et truffée d'enquêtes inédites. Et maintenant, le plus compliqué : assurer la transition, pour bien lui faire comprendre que la petite-journaliste-dynamique-qui-mène-une-vie-palpitante-et-blablabla est précisément faite pour bosser avec lui.

«C'est ça qui m'a amené à me tourner vers vous. Le Post a le mérite d'assumer ses idées jusqu'au bout, de se situer dans les débats, de les générer, de créer des idées et non de débiter des informations pour faire plaisir à la foule... Bref, de faire du journalisme.»

Bon, et je le pense, en plus. C'est plus simple de faire sa pute quand on met du cœur à l'ouvrage, pas vrai ?

«Je sais que je peux paraître encore un peu ingénue à vos yeux, malgré mes quelques années d'expérience. Mais croyez-moi : je suis un bosseuse, moi, je ne fais que ça, bosser et bosser. Le reste, j'en n'ai rien à foutre. Ma famille ? Ne vous en faites pas trop pour ça. Je n'y suis pas spécialement attachée. Je suis fille unique, en fait, et mon père est autant enthousiasmé par mon ascension professionnelle que ma mère traumatisée par ce qu'elle appelle ma déchéance morale. Ça fait des repas de famille un peu tendus, je vous raconte même pas ! Quant à mes amis, bah...»

En fait, c'est affreux à dire, mais je n'en ai pas. Pas vraiment, quoi. Il y a bien quelques collègues de Galactic Holonews qui trouvent que Walter Wallace y est allé un peu fort (ce qui ne les empêche pas de lui faire un grand sourire poli tous les matins : enfoirés...), quelques anciens de la fac avec qui je suis encore en contact, et il faut aussi ajouter les plans culs et autres coups d'un soir qui ont épicé ma vie ces derniers mois de misère (et encore, "épicé", c'est un bien grand mot...). Au fond, tout tourne tout le temps autour du boulot, boulot, boulot, boulot. Le seul individu sur qui je peux compter quand ça va mal, que je peux utiliser comme un nounours tout câlin lorsque j'ai besoin de ça, c'est mon petit droïde CZ-66. Putain, vu comme ça, c'est piteux, quand même... Petite journaliste dynamique qui mène une vie d'enquêtes palpitantes, mon cul !

Tout ça pour en arriver à l'accepter, la cigarette de l'Oncle Ben. Et puis après ?

«Enfin, évidemment, ce ne sont que des mots. Si j'étais vous, tout ce que je dirais, c'est : laissez-moi faire mes preuves sur le terrain. Alors vous comprendrez pourquoi Walter Wallace m'a virée, et pourquoi vous avez tout intérêt à m'embaucher.»

La formule me plaît. Je m'arrête là, à laisser sortir de ma bouche une longue bouffée de fumée tout en attendant sa réponse...
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    « Z'avez du jaspin, Graciozi, on vous l'a d'jà dit? Bref, j'vois pas pourquoi j'vous prendrais pas, donc on va partir sur du 2500 crédits l'mois, hein? »


C'était un salaire tout à fait appréciable pour une journaliste encore bien jeune, même brillante. Sur Coruscant, tout le monde ne pouvait pas prétendre à un tel salaire. D'ailleurs, Ben ne gagnait pas énormément d'argent avec son poste de rédac-chef. Autour des quinze mille le mois... Rien de bien folichon en comparaison des grands patrons que le journaliste côtoyait régulièrement. Sa fortune, il l'avait forgée en jouant au trader dans sa jeunesse, en relançant les Établissements bancaires de Telerath, profitant aujourd'hui des dividendes de sa part majoritaire dans l'entreprise. Le pognon arrivait par ce robinet-là. Il n'était pas rentré au Post pour le fric. Bon, sans doute que sans l'assurance de toucher du blé régulièrement sans rien branler, il serait resté banquier.

Merde, plus de cacahuètes.

    « Dites, z'avez pas faim? Tendez. »


Il fit signe à un serveur de s'approcher.

    « Deux sandwichs de falumpaset, avec crudités ouais. Et des frites. Voilà, oui, prenez l'pourboire. C'est ça c'est ça, merci. »


Bon, Lucrecia allait bien devoir manger la même chose que lui.

    « Vous tracassez pas, c'est bon. » dit-il en achevant sa cigarette, qu'il écrasa ensuite dans le cendrier.


Elle avait couché et ne s'en cachait pas. Très bien, Ben appréciait les gens capables d'assumer leurs actes. Karl allait être ravi. Peut-être une nouvelle conquête pour le charmeur qu'il était? En tout cas, Ben n'était absolument pas intéressé par la jeune demoiselle qui lui faisait face. Ah, pour sûr, elle était bien fichue. Un joli petit visage, un joli p'tit cul... Sauf que voilà, lui ce qu'il aimait c'était les femmes bien en chair. Mais vraiment bien en chair. Les cure-dents sexys... y comprenait que ça pouvait en intéresser certains. C'était juste pas son truc à lui quoi.

    « Vous allez peut-être me dire que c'pas le fric qui vous intéresse, mais la vérité, toussa toussa... Et j'dis pas qu'vous seriez malhonnête. Seulement voilà, faut bouffer. Vot' salaire sera suffisant pour vous payer votre loyer, de la confiture sur les tartines et vous achetez des fringues chez Mash&Naim's. Est-ce que vous pouviez en dire autant chez Galactic Holonews? »


Mine de rien, le Post payait bien ses employés. Du directeur financier, comme Karl, au pigiste, les salaires étaient pas mauvais du tout. Ben était libéral, pas con. Il pouvait être dur avec le personnel, d'une exigence exagérée. En attendant, les employés avaient un bon revenu. De quoi s'assurer leur fidélité dans un milieu redoutable. Et ça marchait. Les transfuges étaient rares et l'ambiance de travail positive. Malgré les sautes d'humeur de Ben, les travailleurs l'aimaient bien. Ça faisait plaisir de travailler au Post.

    « On a tous besoin de flouze. Plus on en a, plus on a de pouvoir. C'est con mais vrai. En tout cas, bossez bien et vous grimperez vite les échelons. Le directeur adjoint du service politique approche d'la retraite d'ailleurs... »


Ce serait pas pour tout de suite, mais quand même, ça la ferait peut-être réfléchir. Une fille comme ça allait pas vouloir rester derrière un bureau pour les quarante années à venir. Fallait la stimuler en lui offrant l'espoir d'une possible promotion. Si ses articles plaisaient aux lecteurs, tout irait bien.

    « J'ai vu qu'vous aviez interviewé Janos. Ça vous turlupine, c'te affaire, j'me trompe? »


Il se ralluma une clope, par habitude, et termina son cinquième verre. Bon, l'était temps de s'arrêter pour le moment. Il lui fallait queq'chose dans le bide.

    « Mmm... z'avez vu la mort de Bail Rannis? C'tait un proche du Janos, foutu sous-directeur de la confédération navale de la république galactique. La CNRG... Encore un putain d'nom foireux comme Scalia savait les faire.

    Aaaaaaaaaah! »


Les sandwichs venaient d'être apportés, emballés dans deux serviettes et posés sur deux assiettes. Les frites les accompagnaient, dans un gros bol. Ben se frotta les mains, salivant, et dès que le serveur fut parti il saisit une frite.

    « Ouille! »


Il lâcha le bâton de patate et souffla sur ses doigts endoloris, de façon tout à fait comique, sa bouche se transformant en un soufflet. Puis, sans ménagements, il plongea sa main droite dans l'aquarium situé juste derrière lui, destiné à décorer le lounge-bar. Il s'essuya la main avec une serviette puis piqua dans les frites, usant avec prudence d'une fourchette cette fois-ci.

    « Ch'est bon quand même! Quech'que che disais? Ah oui! Vous saviez pourquoi Rannis avait été mis là? »


Il afficha un sourire complice. Elle le savait sans doute, mais il aimait jouer à l'homme mystérieux.

    « Pour contrebalancer Eron Mosvani évidemment, le sénateur de Fondor. Les nationalisations l'ont fait moyen rigoler, et c'tait un proche de Keyiën. Du coup, ben nommer Mosvani sous-directeur permettait d'calmer l'aile droite du Rassemblement Républicain. Mais fallait bien mettre un type à Janos quelque part hein? D'où Rannis. »


Fier de sa démonstration, Ben se permit d'entamer son sandwich vigoureusement, mordant à pleines dents dans le pain. Les tranches de falumpaset étaient chaudes, délicieusement tendres et légèrement saucées, entourées de crudités. C'était sans tralala mais vachement bon.

    « Rannis arrêté l'même jour que Janos, et mort après. Si c'est pas louche, je sais pas c'que c'est. »


Et hop une frite! Et gnap dans le sandwich. Il avait les doigts tout graisseux et alors? On n'était pas non plus dans un resto étoilé.

    « Ça vaut l'coup d'enquêter là-d'ssus j'pense. Faites votre papier sur Janos mais fourrez-vous l'nez dans les affaires de Rannis. Ça a pt'être un lien avec l'Aargaun, si non vous pourrez toujours en faire un article parmi d'autres. »


Il resta silencieux un moment, se concentrant sur la nourriture et ce que lui répondait sa nouvelle employée. Elle était pleine d'entrain, jeune et motivée. Ça faisait du bien de recruter des gens pareils! Il resservit du rhum dans leurs verres et agrémenta son falumpaset d'une rasade d'alcool corellien.

    « Vous appréciez le Post parce qu'on s'mouillle, et j'aime ça. Vous êtes pas sourde, vous avez entendu parler d'la création du front libéral républicain. J'suis un adhérent, c'pas un secret. Tout l'journal soutient le sénateur S'orn. Le Post est libéral, alors quand y a un parti libéral qui ramène sa fraise, on bande évidemment. Z'en pensez quoi d'tout ça? Vous estimez qu'le parti a une chance? J'suis affilié donc vous savez c'que j'crois. Mais j'vous d'mande votre avis, pas le mien. Et vous lancez pas dans des machins style "le capitalisme assure la domination des femmes"! Ah non, bordel, pas d'ces conneries là. Moi j'men fous qu'vous ayez une paire de seins ou une paire de couilles. J'suis libéral, pas débile. J'ai eu assez d'femmes et d'mecs comme employés pour savoir qu'la connerie est partagée par tous les genres. Au Post, z'aurez pas à coucher. Bon sauf si vous voulez vous taper un gars, mais ça c'pas mon affaire. Tant qu'vous respectez la ligne éditoriale tout ira bien hein, moi les mecs - ou les filles - avec qui vous prenez du bon temps j'm'en tamponne les oreilles avec une babouche. Et faites attention à Karl, un pote à moi, il va vous draguer, c'est sûr. Mais bon j'me suis un peu éloigné là... »


Le reste du sandwich fut engloutit sans plus de cérémonie.
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2500 crédits, si c'est pas de la promotion, ça ! Par rapport au 1600 que me versait le Galactic Holonews... Comme quoi, dans la vie, il faut parfois savoir se faire virer au bon moment : c'est ce qui s'appelle une promotion professionnelle.

J'ai une putain de faim de la mort, alors le gros truc dégoulinant de frites, il me va nickel. Oui, de temps en temps, ça ne fait pas de mal au moral, de se péter le bide. Toujours mieux que ces trucs dégueu – mais franchement pas chers – que la cantinière de mon motel sert à ses clients... D'ailleurs, avec toutes ces rentrées d'argent, il faudrait peut-être que je songe à me changer de milieu, moi, à me trouver un petit appart' sympa. Quoique... Est-ce que je me vois vraiment dans un appart', avec une petite vie rangée ? Bof...

«Je ne suis pas contre l'argent, vous savez.», que je lui dis entre deux frites. «J'ai une passion, c'est le journalisme. Et mon mode de vie a consisté à transformer cette passion en un boulot. Ni plus, ni moins. C'est sûr, si je pouvais avoir des rentrées d'argent autrement, je mènerais une existence un peu différente : je lancerais ma propre boîte, ou un truc du genre. Mais à défaut, cette situation-là me plaît énormément, pourvu qu'on ne me muselle pas.»

Je pense que j'ai le mérite d'être claire, incisive sans passer pour une chieuse de service. C'est un savant équilibre qu'il n'est pas toujours évident de respecter, mine de rien. Surtout quand l'alcool vous a un peu touillé les idées et en a tiré une mayonnaise légèrement indigeste.

«Quant à la politique, vous savez, elle et moi, ça fait deux...»

Euh... Qu'est-ce que je raconte, moi ? Ou-la ! Ouais, la bibine, elle me fait tournicoter la cervelle, là. Bien sûr que si, j'adore la politique ! Je ne vis que pour ça : je passe mon temps à jauger les hommes politiques, à décortiquer les manigances politiques, à écrire des articles politiques... C'est pas ça que je voulais dire, en fait.

«Enfin, vous m'avez comprise. Je voulais dire : en termes de convictions personnelles, je ne cherche pas à m'affilier à telle ou telle ligne directrice en particulier. Je préfère la neutralité. Bon, j'avoue que toute cette pensée gauchiste un peu bobo qui trouve tant d'adhérents chez les étudiants, ça a tendance à m'exaspérer au plus haut point. De même que j'ai horreur de toutes ces sophismes à la con qui permettent prétendument de justifier le capitalisme d'après je-ne-sais-quelle loi de la jungle.»

Je m'interromps trente secondes pour m'enfiler quelques frites. Rah ! Pourvu qu'elles épongent : j'ai bien besoin de m'éclaircir un peu les idées, moi...

«En fait, si vous voulez tout savoir, je suis une grande adepte des théories de la volonté de puissance et du clash des valeurs, type M'aaks Whëber, Del'Heùzz ou Mitsch El Fouco. L'idée que la politique n'est qu'une lutte à mort entre des valeurs contradictoires... Que tout se joue dans un processus, généré par un ensemble de volontés individuelles que l'on met en confrontation, mais qui dépasse à la fois l'individu en tant que processus incontrôlable... Comme un billard géant où vous n'auriez que des boules de neige...»

Je ne saurais même pas dire si cette image est carrément bonne ou totalement à chier. Mais enfin bon, j'imagine que je me suis fait comprendre : c'est ce qu'il faut.

«Je sais, ce genre de pensée, ça peut paraître un peu effrayant. Très cynique, quoi. Mais enfin, quand on fait du journalisme politique, ce n'est pas forcément un mauvais principe, métholodo...» (Léger bug de prononciation : merci le rhum !) «... méthodologiquement parlant. Avec ça, vous vous désolidarisez totalement des valeurs défendues, et vous ne voyez plus les choses qu'en termes d'enjeux de pouvoir. C'est un très gros présupposé, j'avoue, mais qui peut avoir une valeur heuristique énorme...» (Eh-eh ! Même pompette, je ne me refuse pas l'arsenal des grands mots !) «... dans l'impartialité que ça vous donne sur les idées affichées par les partis et par les politiciens.»

Un présupposé qui, déjà du temps où je n'étais qu'une petite étudiante insignifiante, me valait soit 19/20, soit des 1/20. Les moyens termes, moi ? Connais pas.

«Bon, évidemment, je vous rassure tout de suite, ce genre de théorie ne transparaît que très peu dans mes publications. Ce sont d'abord des outils intellectuels. Après, si on décortiquait tous mes textes dans les moindres détails... je ne dis pas, on pourrait peut-être remonter à mes présupposés, comme on peut le faire avec tous les textes, j'imagine. Mais ce que je veux dire par là, c'est que vous avez votre ligne directrice, okay, je la respecte – et à tout choisir, je préfère de loin un journal avec des opinions, quelles qu'elles soient : c'est une marque de caractère, les opinions – enfin bref, je disais : vous avez votre ligne, je la respecte, et je n'écrirai jamais rien qui pourrait lui causer du tort, pourvu qu'en retour vous ne me demandiez pas de vous composer des panégyriques de vos convictions.»

Je préfère rester franche, mais stratégiquement, j'ai bien conscience qu'il ne vaut mieux pas finir sur une phrase comme celle-ci : trop incisive, trop douteuse quant à sa signification réelle.

«Soit dit en passant...», ajouté-je donc innocemment, «... à tout choisir, je pense que c'est ce que je préfère, le libéralisme. C'est le courant qui vous donne le plus de liberté d'opinion, celui qui s'accorde le mieux avec le relativisme des valeurs, une notion fondamentale lorsqu'on s'interroge sur la liberté d'opinion, justement. Comme disait un autre auteur que j'aime bien, même s'il est un peu perché et affreusement théorique, Joe N'rwols – vous devez connaître : un bon libéraliste, lui – comme il disait, donc, une démocratie, ça a besoin de ça, d'un peu de relativisme des valeurs. Sinon, autant rejoindre directement l'Empire Sith...»

Ouch-ouch-ouch ! Je suis quand même passée de Whëb'Er à Joe N'rowls, moi... J'espère que l'Oncle Ben n'a pas fait attention à ce petit twist idéologique. Enfin... Est-ce si incohérent, au fond ? D'un côté, sans sombrer dans le narcissisme, je trouve que ça me résume tout de même bien.

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Merde, il avait encore faim. Il piqua dans trois frites et mit le tout dans sa bouche, tel un ogre. Pour penser à autre chose que son estomac, Ben s'alluma une nouvelle clope, tandis qu'il resservait du rhum à sa nouvelle employée, ainsi qu'à lui. Le journaliste tira sur sa cigarette puis avala d'un geste le contenu de son verre, reposa celui-ci et se resservit. Il y allait fort... mais bon il avait l'habitude. Karl lui avait encore répété hier qu'il avait un problème avec l'alcool, parlant même d'alcoolisme. Ben s'était mis dans une rage folle, balançant perforatrice et agrafeuse à sa tête. Mais, seul, dans son bureau, après la fermeture des bureaux du Post, Ben avait bien dû reconnaître que son penchant pour la boisson allait peut-être au-delà du simple plaisir des sens. Il y avait de l'addiction dans sa consommation. Oui mais... et alors? Sa santé? Bah... à part Karl et quelques rares individus, il ne manquerait pas à grand monde. Aux lecteurs, assurément, à une bonne partie de Coruscant, où il était populaire, mais sur le plan purement sentimental, la chose était différente. De toute manière, il avait encore fait récemment des tests, et malgré son mode de vie peu sain, il n'était pas en mauvaise santé.

La Graciozi était lancée... Elle avait pas un doctorat pour rien. Ben devait bien avouer être quelque peu perdu dans les théories balancées par le joli jeune brin de femme. Surtout après quelques verres. A l'âge de la jeune femme, cependant, il avait aussi tenu de tels discours, plein de science et de passion. Les années avaient fait leur oeuvre, et même si Ben avait encore des convictions, même s'il était toujours farouchement libéral, certaines illusions de la première s'étaient évanouies.

A défaut de comprendre la métaphore des boules de neige, Ben prit des glaçons, les mit dans son verre et continua à écouter la journaliste. Tant bien que mal, il suivait les idées exposées par Lucrecia, tout en s'épongeant le front avec une serviette. Mine de rien, il faisait chaud ici. Il prit à nouveau des glaçons et les plaça sur ses joues, ce qui provoqua chez lui un soupir de plaisir incontrôlé.

    « Z'êtes bien théorique, Graciozi... »


Il jeta les glaçons dans l'aquarium derrière lui et porta à ses lèvres son verre.

    « Finalement, z'êtes plus penchée sur la philo politique. Pourquoi pas... C'pas comme ça qu'j'ai rencontré la politique. Disons que mon approche a été plus... matérialiste? Héhéhé! »


Le gros Ben n'était pas dénué d'esprit, il fallait se méfier de son allure de gros ours brut de décoffrage.

    « C'est sous l'angle des questions économiques qu'j'aborde la politique, le droit, la société... Un problème politique est abordé objectivement lorsqu'on y pense en termes d'offre et de demande, en termes de concurrence libre et non faussée, de plus value, de capital humain - cette donnée m'a poussé à vous embaucher -, de coût d'opportunité, d'efficience, de productivité marginale, etc etc.

    Je ne me fais pas d'illusion, l'approche économique a sa part de subjectivité. Et le libéralisme n'est pas une doctrine politique neutre. Il ne s'agit finalement de rien d'autre que de l'ensemble des discours politiques et philosophiques défendant le système économique en place, le bon capitalisme. Notre monde est borné par un système d'accumulation de plus-values produites par certains, captées par d'autres, alimentant par leur capital une économie structurellement organisée autour du prêt. En définitive, le fameux libéralisme que je chéris n'est qu'une gouvernementalité des êtres et des choses par les mécanismes de concurrence appliqués au marché. »


Ben tira avec satisfaction sur sa cigarette.

    « Mitsch El Fouco ne l'avait-il pas dit? »


Ben porta un regard à sa montre. Il était tard et, pour une fois, il était tellement fatigué qu'il sentait que le sommeil viendrait peut-être, cette fois. Il ne désirait plus qu'une chose, prendre le taxi et se fourrer dans son lit. L'avantage du célibat, c'était de pouvoir dormir seul dans un double-lit, les bras et les jambes étendus en croix.

    « Il est temps pour nous de se quitter, Graciozi! »


Le journaliste fit signe au serveur de s'approcher, régla la note et fourra dans la poche de son veston la bouteille de rhum. Il invita la jeune femme à le suivre et ils se trouvèrent dehors, dans une rue balayée par un vent frais et requinquant.

    « Présentez-vous à mon bureau demain. Nous signerons le contrat et vous commencerez directement. Vous m'plaisez, Graciozi. Z'avez p'têt c'qui faut pour faire du bon job. On verra ça... »


Il serra chaleureusement la main de sa nouvelle employée, héla un taxi, s'engouffra dans le premier qui venait, et contempla sur le chemin du retour les milliers de lumières illuminant dans la nuit la cité de Coruscant.
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