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Aargau.


«Attendez... C'est une blague ?!»

Non, ce n'était pas une blague. À sa mine sérieuse et résignée, l'holo-présentateur n'avait pas l'air de plaisanter.

«Mais... C'est impossible...»

Il fit tomber son verre. Un verre de brandy assandran, qui alla s'écraser sur la belle moquette beige, et y étaler une sinistre tache empourprée. Ce n'était guère son genre de faire preuve d'une telle négligence, pourtant.

«Vous m'avez fait appeler, sénateur ?»

L'homme se retourna vivement. Il vit se dresser devant lui une jolie secrétaire, qui adressa un coup d'œil confus sur le verre, au sol.

«Non, mais... Vous avez vu les infos ?»

«Les infos ? Pourquoi ?»

Le sénateur désigna du regard l'holo-écran, à côté du mur, d'où la tête flottante du présentateur débitait ses propos à toute vitesse.

«...sonne ne sait encore si les accusations lancées par le Chancelier Valérion Scalia sont fondées ou non, et les deux accusés ne se sont pas encore exprimés publiquement. Quoi qu'il en soit, cette déclaration a suscité une véritable émulation sur Coruscant, et la gigantesque foule qui s'étend aux pieds du Sénat nous fait tous penser à un soir d'élections, comme le montrent ces ima...»

Le sénateur d'Aargau se tenait là, raide, devant l'écran, bouche bée. Le dynamisme qu'on lui connaissait s'était retrouvé comme sapé, cassé. Tout un monde de certitudes et de convictions venait de s'effondrer d'un coup : l'admiration sans frein pour le Lord, la confiance satisfaite dans le gouvernement, tout.

«Vous croyez que c'est vrai, vous ? Vous pensez qu'il a vraiment trafiqué des choses ?»

«Je n'en sais foutrement rien. Il a toujours eu des plans foireux en tête, ça, c'est sûr. Depuis le temps que je coopère avec lui, j'ai appris à le connaître un peu, quand même. Mais enfin, créer des faux fichiers, non, non, c'est impossible...»

Un droïde de protocole s'immisça brutalement dans la pièce - un vaste bureau dédié à la commission sénatoriale d'Aargau, et directement intégré au siège du Directoire Exécutif.

«Sénateur Shadley, sénateur Shadley ! Une foule de journalistes vous attend en bas ! Ils désirent vous poser des questions concernant...»

Le politicien leva les mains au ciel. Sur son visage, la surprise venait très rapidement de passer à l'exaspération, tandis qu'il sentait une boule de stress lui grossir inexorablement dans la gorge.

«Putain ! On n'est pas dans la merde, déjà ! Bon, faites-les attendre ! Je vais essayer de le contacter, de lui parler directement. Cette affaire pue le coup bas, et je veux savoir ce qu'il en pense.»

«Mais...»

Le droïde n'eut pas le temps de répondre : Lars Shadley s'était déjà précipité sur son data-pad, à tenter d'entrer en contact avec son ancien maître et compagnon politique. Jamais sa secrétaire ne l'avait vu aussi tendu : ses traits habituellement altiers et décontractés s'étaient soudain crispés, faisant surgir des rides que l'homme avait toujours su camoufler. Mais, au bout de plusieurs tentatives, il ne reçut aucune réponse. Il essaya, réessaya, encore et encore, mais en vain : le data-pad demeurait obstinément mué.

«Putain de merde ! Bon, je vais voir avec Rannis.»
* * *


Coruscant.


«Non, pas d'interview. J'ai dit : pas d'interview. Il est hors de question que je ne m'exprime que sur des présomptions.»

Exaspéré, Bail Rannis déposa son data-pad sur la petite table ovale qui s'étalait devant lui. Par la vitre, les gratte-ciel coruscanti défilaient à toute allure. Depuis un bon quart d'heure, il n'avait qu'une pensée en tête, qu'une préoccupation, deux mots, même : haute trahison. Cette affaire de haute trahison surgie de nulle part, brusque, impromptue, à laquelle personne ne s'attendait, et qui venait de priver le gouvernement de deux de ses membres les plus importants.

Il fut soudain arraché à ses réflexions par son data-pad, qui lui hurla que Lars Shadley, le sénateur d'Aargau, cherchait à le contacter. L'apparition de ce nom sur le petit écran fit surgir sur les lèvres de Bail Rannis un petit sourire ironique. Manifestement, il n'était pas le seul à s'inquiéter...

«Bail ? Vous avez vu ça ?»

Aucun marque de courtoisie, pas un bonjour, rien. Le langage, rendu à ses fonctions les plus primaires, les plus primitives : communiquer un problème, et tenter de le résoudre - si possible...

«Oh que oui... Il faudrait être aveugle... Ou sourd.»

«Et vous pensez que c'est fondé, vous ?»

«Aucune idée.»

Il jeta un coup d'œil sur les informations que lui projetait le système holographique de son compartiment privé. Quatre fourgons blindés de la police républicaine venait de se poser sur le parking privé qui s'étalait devant la suite luxueuse de son ancien confrère - sous les holo-cams, évidemment : il ne fallait pas en perdre une miette. Bail Rannis haussa les épaules, agacé : comme si un quinquagénaire pouvait s'y opposer... Deux gardiens de l'ordre auraient largement fait l'affaire. Toute cette théâtralité...

Mais ce que je sais», reprit-il, «c'est que Scalia s'est débarrassé de deux figures charismatiques qui lui faisaient de l'ombre. Quelle que soit la vérité de cette affaire, c'est un acte politique. Un acte politique radical.»

«Sur ce coup-là, on est d'accord. Et bonjour les conséquences !»

«Mouais... J'ai tout fait pour que Rejliidic passe à la casserole, il y a trois ans. Le coup du traité d'Artorias était radical, j'avoue. Mais là, ils font plus fort encore. Et plus risqué, surtout. Enfin bref... Comment les choses se passent, sur Aargau ?»

«Pour l'instant, rien à signaler, mais je crains que ça ne dégénère. Il est aimé, sur notre planète, vous savez. Il est celui qui a lutté contre le chômage, qui a restauré l'éducation. Il est l'homme de la situation pour une part non négligeable de la population. Et déjà que le petit peuple a mal vécu l'intrusion des Artoriens sur notre territoire, alors là... Ce truc, c'est une déclaration de guerre.»

«Nous sommes d'accord. Une vraie déclaration de guerre. Et croyez-moi, la guerre n'est pas seulement déclarée à Aargau. Pour faire accuser les deux membres du gouvernement sans qui l'élection n'aurait pas été possible, je ne sais pas à quoi a songé Scalia, mais c'est de la folie pure.»

«Bah, ça put le Keyiën, cette affaire.»

«Oh que oui ! En tout cas, si Aargau rejoint l'opposition, elle va être suivie, croyez-moi. Et parallèlement, Bakura et certains de ses alliés auront toutes les raisons d'en faire autant.»

«Pour Aargau, je m'en charge...»

«Oh, mais n'allez pas vous imaginer que vous pouvez tenir la situation en mains. Elle aura tôt fait de vous dépasser. Si vous désirez un conseil, suivez le mouvement qu'on vous imposera. Sinon...»

«Ouais, ouais. J'en ai bien conscience. Sinon, avec son inculpation et son procès, il m'entraînera dans sa chute.»
* * *


Aargau.


«Merde, quoi. Merde, merde, merde !»

«Tu l'as dit ! On va pas se laisser faire.»

«Et pas qu'un peu, putain ! Le mec, on l'accueille sur not' planète, lui et ses habitants, on s'fait chier comme pas possible pour bien les recevoir, et tout, et v'là qu'il nous vire le seul gars d'Aargau qui a réussi à dev'nir ministre !»

«Non, mais grave ! Enfin, il était pas ministre, si ?»

«On s'en fout. Moi, j'sais une chose : il était dans l'gouvernement, et ce troufion de Scalia, eh ben, il l'a jarté. Voilà ce que j'sais ! Ce mec, c'est un traître, et on doit réagir.»

«Non, mais carrément. Mon poste, à moi, j'le dois au Lord. Quand il était encore ici, avec ses projets de travaux, et tout. C'est lui, qui m'l'a donné, mon job, ouais !»

«D't'façons, ces Artoriens, tous des bâtards ! J't'avais dit, y a un couple de jeunes qui s'est installé dans l'appart en face, j'te jure : pas vivables !»
* * *


Coruscant.


«Invivable, ma chère, invivable, je vous dis. Côme m'assure que Valérion Scalia comptait mettre en place ces réformes depuis le départ, et qu'il n'aurait jamais pu les contrer, mais tout de même, ces nationalisations à outrance, quelle honte !»

Alors que Lars Shadley, alors que la Rotonde toute entière, alors que le peuple d'Aargau s'étaient accrochés aux informations et s'acharnaient à en déduire leurs premiers diagnostics, il s'avéra que Lady Janos, mère dudit, avait une fois de plus un train de retard. Acte manqué, peut-être, ou fruit d'un désintérêt latent pour une actualité dont elle tirait pourtant sa fortune, elle ne savait pas encore, pour la dernière décision du Chancelier, et se trouvait encore à parler de ces nationalisations dont "sa" banque était la victime.

«Mais je vous laisse, mon amie. Je dois rencontrer mon fils adoré, et nous arrivons chez lui. À plus tard !»

Lady Janos avait trouvé son amie très froide, en ce jour. C'est que son amie, elle, était au courant. C'est que son hypocrisie toute aristocratique l'avait poussée à ne rien lui dire, préférant la mettre tacitement devant le fait accompli que d'avoir à lui faire entendre une désagréable vérité.

Désagréable vérité qui se précipita de se manifester, d'ailleurs...

«Il y a une foule anormale sur la plate-forme d'atterrissage, Madame.», déclara le droïde-groom qui pilotait son speeder.

«C'est ce que je vois ! Mais que se passe-t-il donc ?»

L'engin se posa non sans mal sur le parking surélevé dans les airs, d'où l'on pouvait accéder à la suite de luxe. En sortant du petit vaisseau, la Dame fut d'abord choquée par le nombre de journalistes. Son fils adoré était un homme connu, oui, mais pourquoi ce soudain intérêt pour lui ?

«Excusez-moi.», dit-elle à la volée d'un air pincé. «J'aimerais pouvoir rentrer.»

En entendant l'incongruité de cet ordre, un gros Twi'lek éclata de rire.

«Oh, bah, vous êtes pas près d'y arriver, vous savez.»

«Mais enfin ! Je suis propriétaire de cette suite ! J'ai tout de même le droit de voir mon propre fils !»

Cette déclaration provoqua un lourd silence dans l'entourage immédiat. Sur quelques mètres carrés de surface, tous les journalistes se retournèrent d'un coup, la dévisagèrent un instant d'un air ahuri, puis se ruèrent sur elle.

«Madame Janos, pensez-vous que les accusa...»
«Avez-vous une déclaration à faire pour Galact...»
«Jugez-vous que la carr...»
«Serait-il possible que...»
«Mais cette inculpation pour haute trahison...»

Elle entendit "haute trahison". Elle vit les quatre fourgons blindés qui encadraient la plate-forme. Elle s'aperçut qu'une troupe de soldats était positionnée de part et d'autre de la porte d'entrée, prêts à tirer. Alors elle comprit.

«Lady Janos !»

Elle s'était évanouie.

De toutes manières, sur un plan journalistique, il y avait bien mieux à faire que de s'occuper d'une vieille aristocrate tombée en pamoison : la porte venait de se rouvrir ; il allait enfin sortir. Mais ce fut un soldat qui fit irruption, indiquant aux autres que tout était en ordre. On en vit réapparaître deux autres, puis...
* * *


Aargau.


«Oh, merde, je vous laisse, Bail. Le voilà ! Il est là !»
* * *


Coruscant.


«Ah. Enfin...»
* * *


Aargau.


«Oh, putain de merde, c'est lui ! T'as vu ça, tous les gardes, comme si c'était un gros pourri ! Non, ça va pas se passer comme ça, merde ! Bâtards d'Artoriens !»
* * *


Coruscant.


«Dire qu'on avait cru que ce gouvernement de coalition apporterait enfin un peu de stabilité... Croyez-moi, Lars, si elle n'est pas étouffée, cette affaire pourrait bien plonger la République dans un nouveau chaos politique...»
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Coruscant.

«Un vrai chaos politique, je vous dis. Mais... Attendez... Vous avez vu ça, Lars ? Qu'est-ce qu'il a à ses yeux ? Pourquoi est-ce qu'on lui a mis un bandeau ? Il n'a pas le droit de voir les journalistes, ou quoi ?»
* * *

Aargau.

«Oui, je vois ça. Oui, oui. Et il y a du sang, aussi. Mon image n'est pas nette, mais il y a du sang ! Il a les joues couvertes de sang !»
* * *

Aargau.

«Oh, putain ! Trash ! Il lui ont fait quoi, au juste ?»
* * *

Coruscant.

Il était enfin sorti. Sa toute première apparition publique depuis la déclaration du Chancelier. De quoi obtenir un taux d'audimat au top. Malgré la barrière humanoïde que les soldats étaient tant bien que mal parvenus à dresser entre le seuil de la suite privée et la foule acculée sur le parking, plusieurs journalistes parvinrent tout de même à passer entre les mailles du filet et à se rapprocher dangereusement du politicien. La police ne parvenait plus à maîtriser la situation, et plusieurs dizaines de scoops auraient pu être obtenus sans qu'elle eût le temps d'intervenir, si une femme qui s'étaient glissée de très près n'avait pas poussé un profond hurlement.

«Qu'est-ce qui se passe ?» «Je ne sais pas. Vous voyez quelque chose, vous ?» «Il a l'air blessé, non ?» «Blessé ? Vous pensez qu'il aurait pu essayer de se suicider ?» «Se suicider, lui ? Vous rigolez. Je suis sûr que c'est encore de la mise en scène. Il ne sait faire que ça, de toutes façons.» «Mouais, enfin...» «Ah, mais c'est immonde ! Non, regardez ça !»
* * *

Aargau.

Lars Shadley ne décrochait plus ses yeux de l'holo-écran, ni sa secrétaire, d'ailleurs. Les images transmises partout dans la Galaxie par les holo-cams demeuraient trop floues pour être analysées correctement, ce qui, ironiquement, les rendait plus suggestives encore en stimulant l'imagination de l'audimat.

De ce que put voir le sénateurs, les deux soldats qui venaient de franchir le seuil de la suite n'encadraient pas leur prisonnier comme ils étaient supposés le faire, mais le soutenaient à la manière de deux brancardiers extirpant un soldat d'un champ de bataille.

«Il semble qu'il y ait un problème.», paraphrasa bêtement l'holo-présentateur, afin d'associer à l'image un semblant de commentaire journalistique.
* * *

Coruscant.

Le mouvement suivi par la foule prenait l'allure d'une vague venant se heurter à un rocher perdu en pleine mer, pour mieux se replier sur elle-même une fois en avoir léché les flancs. Du moment que l'on comprit qu'il y avait un problème, comme qui dirait, tout le monde se rétracta, dessinant une véritable périmètre autour de l'arrivant.

Les soldats profitèrent de ce retrait pour reprendre la situation en mains. D'un coup, la petite zone qui s'était dégagée doubla de surface à mesure que les journalistes furent repoussés en arrière. Un lieutenant se fraya un chemin entre ses propres hommes pour aller à la rencontre des deux qu'il avait envoyé dans la suite et qui maintenaient leur victime debout.

«Bon dieu !», s'écria-t-il en voyant l'état de leur "prisonnier". «Mais qu'est-ce qui s'est passé ?»

«Aucune idée, lieutenant. On l'a retrouvé comme ça, dans cet état-là.»

L'officier jeta un coup d'œil agacé sur les représentants de la presse qui, une fois le premier élan de surprise passé, s'acharnaient à revenir sur leurs pas, toujours comme cette vague qui, après s'être repliée, se fracasse de nouveau contre son rocher.

«Appelez une unité médicale ! Et plus vite que ça ! On ne peut pas l'emmener comme ça ! Et débarrassez-moi de toute cette foule, aussi !»

«Mais la liberté de presse...»

«Liberté de presse, pas mon problème. On est censés protéger notre homme, et tous ces gens risquent de nuire à sa santé.» Puis se tournant vers deux autres soldats : «Eh ! Vous ! Retournez à l'intérieur et faites-moi un rapport complet. Pas intérêt qu'on ouvre un dossier contre nous, les gars ! On va devoir leur prouver qu'on n'y est pour rien, dans ce bordel. Allez ! On se magne !»

Tandis que la troupe armée tentait de débarrasser le parking de tout cet agrégat, les deux soldats répondirent aux ordres de leur supérieur et franchirent de nouveau le seuil. L'un d'entre eux tenait un appareil destiné à enregistrer toute trace laissée sur une scène de crime. Il suffisait simplement de se déplacer en la tenant en mains, et le petit objet scannait automatiquement chaque pièce à conviction, les cataloguant scrupuleusement dans un programme prévu à cet effet.

«Il y a des traces de sang, là. On n'a qu'à les suivre.»

«Glauque, comme truc.», grogna l'autre.

«Tu m'étonnes.»

De perle de sang en perle de sang, les deux hommes remontèrent bien vite à une élégante antichambre, meublée d'un canapé sobre et stylé, et d'un bureau luisant et apparemment inoccupé.

«Bon, rien à signaler ici...»

«Y a la porte, là...»

Effectivement, une lourde porte de métal était ouverte, offrant une ouverture sur un vaste bureau semi-circulaire, bordé d'une large baie vitrée qui offrait une vue imprenable sur les gratte-ciel coruscanti. Les deux soldats y pénétrèrent lentement, respectant le silence résigné que leur imposait leur discipline. Ils comprirent très vite qu'en temps normal, le lieu devait respirer le calme et la tranquillité, l'ordre, la paix et l'harmonie.

En temps normal... Car le premier élément intriguant sur lequel s'arrêta le petit appareil que tenait l'un des deux hommes, ce furent toute une série de points violets, disséminés sur le sol autour d'un objet rectangulaire. En s'approchant encore, ils comprirent qu'il s'agissait de confiseries projetées hors de leur boîte. Face à cet étrange spectacle, ils s'adressèrent un regard intrigué, puis, une fois que leur logiciel eut bien enregistré le tout, ils s'approchèrent du vaste bureau en demi-lune qui s'étalait devant eux, tournant le dos aux baies vitrées. Là, la surface noire et polie du meuble était en proie à un scintillement qui exaspérait le regard, des éclats, partout, des brisures de verre manifestement, comme le prouvait les gouttelettes qui perlaient çà et là, et se reflétaient sous le soleil.

«Il a l'air d'avoir tout envoyé valser, quand il a appris la nouvelle, non ?»

«Bah, en même temps, mets-toi à sa place. Il y a de quoi, hein ? ... Eh, mais attends, c'est quoi, ça ? La moquette a cramé, ou quoi ?»

Effectivement, sur leur gauche, aux côtés d'un large buffet où s'étalaient les meilleurs alcools de la Galaxie, et dont un petit tiroir secret avait été ouvert, le sol semblait avoir pris feu. Des lambeaux de moquette gisaient de toute part, au milieu duquel de vagues débris de métal et de caoutchouc s'amoncelaient dans le plus absolu désordre.

«Le programme arrive pas à identifier ce que c'est. Il y a des matériaux rares, qu'il dit. Drôle de truc, en tout cas...»

«Ouais. Et là, c'est quoi, ça ?»

Deux petites billes blanches semblaient avoir roulé, et s'étaient écrasées contre les parois d'un mur. L'une d'elles était relié à une sorte de cable électronique, et déversait encore par moment de petites étincelles qui lui donnaient l'allure d'un tétard frétillant. L'autre baignait dans une flaque rouge, la flaque d'où tout était parti, visiblement.

«Oh, putain ! Oh non, j'y crois pas ! Il s'est... Le con ! Il s'est...»

Dehors, sur le parking, les soldats étaient enfin parvenus à se débarrasser de tous ces journalistes qui piaillaient comme autant de charognards autour d'un cadavre prêt à être déchiqueté. À sa grande satisfaction, le lieutenant chef vit se profiler l'ombre du vaisseau du service de santé, ce vaisseau tant attendu. L'engin se posa sereinement sur la plate forme désormais déserte (le droïde-groom de Lady Janos s'était chargé d'emmener sa maîtresse toujours évanouie), et y déversa un bataillon d'unités médicales qui entourèrent leur nouveau patient.

«Pouvez-vous enlever ce bandeau, s'il-vous-plaît ?», s'enquit poliment un droïde.

L'un des soldats comptait s'en charger, mais Lord Janos lui repoussa vivement le bras et se découvrit brutalement le visage. Répugnés, les hommes firent un bond en arrière.

«Est-ce vous qui vous êtes... ?»

«Oui.», répondit Janos. C'est moi.»
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Quelques minutes plus tôt.

«Non...»

La main de métal se rétracta lentement sur le verre qu'elle avait entre les doigts. Le cristal se craquela légèrement. Des fissures se mirent à zigzaguer en tout sens sur la paroi polie. Puis elle explosa en mille morceaux, projetant, partout sur la surface du bureau, des fragments étincelants.

«Non !»

La main naturelle, de son côté, avait une petite boîte métallique sur sa ligne de mire. Mue par cette force désespérée dont seuls les condamnés connaissent le secret, elle alla propulser le récipient trois mètres plus loin, sur le sol. Dans sa chute, le couvercle se brisa, et en s'ouvrant, laissa s'échapper un feu d'artifices de sucreries. Voilà bien longtemps qu'elle ne servait plus à rien, de toute façon.

«Noooooon !!!»

Sur le tissu orange de l'élégante veste, vint s'écraser une petite perle salée, dont le reflet éclatant imita quelques instants celui des cristaux, explosés çà et là sur la surface lustrée du bureau. Cette petite goutte de désespoir avait suivi un tracé rectiligne sur la peau semi-artificielle de la joue, après s'être échappée, contre toute attente, du seul œil qui pouvait encore en produire de telles.

Lord Janos avait versé une larme. Il avait versé une larme. Sa toute première larme, depuis l'attentat. La seule larme qui serait jamais émanée de ce nouveau corps. Il se caressa la joue d'un doigt tremblant. Son ongle vint se heurter contre le bas de sa paupière, lui arrachant une très légère douleur dans le bas de l'œil.

Ils avaient osé ! Les chiens ! Les fourbes ! Les opportunistes ! Ils avaient donc osé ! Et haute trahison, directement !

Le regard fou, les pupilles tremblantes de rage, le Lord dévisageait le visage du Chancelier, prêt à l'affronter. Sa représentation holographique lui faisait face, planant fièrement au dessus du bureau, à cracher son flot d'immondices et de parjure. Janos se rapprocha lentement, les lèvres tremblantes, bouillonnant de colère. Quelques instants durant, ce fut un véritable face à face qui se joua, entrecoupé d'un hurlement.

«Non ! Nooooon !!! Noooooooooon !!!!!»

Le poing métallique traversa la bouche grande ouverte de Valérion Scalia. Troublées par les ondes magnétiques que suscita l'alliage, les stries bleutées de l'hologramme furent prises d'intenses grésillements avant de disparaître définitivement, ravalées par le bureau.

Une ombre vint soudainement emplir la pièce. Puis une seconde. Et une troisième. Lord Janos se retourna : une véritable nuée de vaisseaux et de speeders se précipitaient déjà vers sa suite. À peine avait-on jeté le cadavre dans la poussière que déjà les mouches et les charognards se précipitaient sur les lambeaux de chair pour les dépecer et en tirer tout ce qui s'offrait en pâture à leur minable pouvoir.

«Ah ! Ça vous amuse, hein ? Vous riez ! Vous hurlez de rire !», s'écria-t-il à pleins poumons, comme un fou, sans vraiment savoir à qui il s'adressait.

Les yeux du Lord allèrent se caler sur l'armoire. Malgré les élans de furie qui venaient lui envahir les neurones, comme des hordes de barbares s'élançant sur une cité civilisée, le peu de raison qui lui restait encore parvint à évaluer les conséquences de la situation. D'un instant à l'autre, les forces de l'ordre allaient débarquer. Elles risquaient de découvrir le peu de traces qui pourraient trahir sa double identité. C'étaient des preuves infimes, certes, mais pour quelqu'un suspecté de haute trahison, mieux valait les détruire toutes, les éradiquer, les réduire à néant, les plonger dans l'obscurité la plus totale.

«Oh, mais vous ne me ferez pas tomber si facilement ! Non !», hurlait-il encore, en proie à un délire morbide et décadent que plus rien ne pouvait réfréner.

Il se précipita sur l'élégante armoire encastrée dans le mur, ouvrit, entre les rangés d'alcool, un petit tiroir invisible. Il s'y trouvait quatre masques. Trois exemplaires identiques, représentant trois fois Janos - il s'agissait de ces surfaces de peau artificielle que l'unité chirurgicale du Lord employait pour lui offrir un nouveau visage, quand les tissus se désolidarisaient de ses chairs. Et un quatrième, représentant Darth Deinos, ce masque blanc sous lequel il avait prêté allégeance à la Dame Noire, ce masque blanc qui constituait sa seule identité auprès du Conseil Noir, des industriels de l'Empire et des jeunes padawan de Korriban qu'il avait tant impressionnés, du haut de ses beaux discours sur l'Ordre Sith. Il s'en empara à pleines mains, les jeta sur le sol dans un geste de désespoir.

Ses yeux se déportèrent ensuite sur son bras artificiel. Ses poisons... Toutes ses fléchettes empoisonnées... Elles aussi, il fallait s'en débarrasser. Si on lui découvrait cet armement secret, les soupçons retomberaient sur lui comme autant de torpilles jetées, sur un croiseur interstellaire en pleine guerre galactique. Il tendit le bras, se découvrit le poignet, et tira, tira encore, et tira encore et encore, incontrôlable.

«Voilà ! Ça, c'est pour toi ! Et ça aussi ! Et ça !», cria-t-il à ses masques, tandis que la rencontre entre les poisons et la peau artificielle créait une réaction chimique : les trois visages de Janos se décomposèrent peu à peu, rongés par l'acide ; une joue se perça, une lèvre se désolidarisa des babines, une oreille s'envola dans les airs comme une cendre surgie d'un feu de bois, pour aller retomber quelques centimètres plus loin et répandre son poison sur la moquette. Seul le masque de Darth Deinos demeura intact.

Son sabre... Il fallait aussi le détruire. À la rigueur, venant d'un ancien Jedi, posséder un sabre laser n'était pas propice à générer des soupçons, d'autant que la lame en était violette. Mais une sorte de nécessité l'imposait. Une nécessité morale indéchiffrable.

«Ça non plus, vous ne me le prendrez pas !», s'égosilla-t-il, comme pour justifier verbalement son geste.

Le sabre, qu'il avait toujours conservé dans un recoin de son bras artificiel, alla rejoindre les quatre visages, au sol.

Lui, il se précipita hors de la pièce semi-circulaire, et alla sortir un blaster de l'ancien bureau de Gabrÿelle Evans - la jeune femme y laissait toujours une arme, en cas de problème. De là, il put entendre le brouhaha qui émanait du parking. Les chiens ! Ils étaient tous là, déjà !

«Ça vous amuse, hein !»

Revenant sur ses pas, il tira sur l'amoncellement de masques où trônait son sabre, tira, tira encore et encore, fou à lier. Mais ce ne fut pas suffisant : Deinos et son arme avaient décidé de résister. Ses yeux se déportèrent alors sur les alcools. Il se rua face au buffet, en sortit plusieurs au hasard, en déversa le contenu partout. Aussitôt, les poisons et les tissus artificiels mêlés aux liqueurs firent surgir un feu orangé qui consuma l'ensemble dans un dernier éclat. Deinos disparut enfin, venant s'unir aux derniers fragments de Janos qui étaient parvenus à survivre, tandis que le sabre, légèrement entrouvert sous un tir de blaster répandait des étincelles partout.

«Rien ! Vous n'aurez rien !!!»

Il restait l'œil artificiel. Ce dernier contenait des enregistrements du Temple sur Aargau. Les pires preuves à conviction : la construction des infrastructures, l'arrivées des armes, l'installation des premiers soldats impériaux. Et la fameuse statue...

Son index gauche alla lui caresser le blanc de l'œil. C'était la seule solution. Effacer les myriades de données contenues dans cette petite perle nano-technologique prendrait des heures entières. Or il n'avait pas le temps. D'une minute à l'autre, les soldats pourraient débarquer. Ce serait douloureux, mais radical. Il se chargerait plus tard de justifier la disparition de son œil aux autorités.

Sans plus trembler, prêt à tout pour se tirer d'affaire, Janos jeta au loin la fiole de liqueur qu'il tenait encore dans la main droite. Au moment où il allait s'énucléer, la petite bouteille alla rebondir sur le bureau, appuyant dans sa chute sur un bouton qui ralluma le système holographique du mobilier. Aussitôt, le visage de Ion Keyiën apparut, l'affrontant du regard, et débitant d'un ton altier de nouvelles injures.

«Traîtres ! Traîtres ! Vous... êtes... tous... des traîtres !»

Hurlant de toutes ses forces pour se redonner du courage, ou peut-être pour se décharger de toute sa colère, il se plongea d'un coup, sans réellement savoir ce qu'il faisait, les deux mains dans les deux orbites, s'arracha sauvagement les deux yeux. À gauche, outre quelques petits grésillements qui vinrent lui chatouiller les parois métalliques de son globe, il ne sentit rien. Rien du tout. Mais à droite... À droite... La douleur fut tellement forte qu'elle s'anesthésia toute seule. Il y eut, à l'autre bout de son crâne, une véritable décharge électrique. Le nerf ne résista qu'à peine, surgissant au cœur d'un geysers de sang qui alla inonder la moquette, tandis que le feu commençait à perdre en intensité.

Une nuit noire. Ce fut une nuit noire, recouverte d'un long hurlement, omniprésent et lointain à la fois. La douleur était étrangement, obstinément, absente, comme si le Lord était parvenu lui-même à scinder son individualité en deux parties, comme si il était devenu le spectateur aveugle de l'homme plongé dans l'horreur de sa propre déchéance.

Au cœur de ce dernier élan de lucidité, si tant est qu'il vécût encore en ce monde, il n'eut qu'un seul objectif : faire taire ce traître de Keyiën. Il se précipita en avant, chuta, rampa vers le lieu d'où provenait la voix, finit par se heurter à une forme lisse qu'il identifia au bureau, posa une main désespérée sur le rebord, se redressa, en parcourut toute la surface à tâtons, parvint enfin à toucher le bouton. La voix s'enlisa, pour se perdre dans l'obscurité la plus totale.

Il demeura là, les genoux sur le sol, les bras sur le bureau, comme un suppliant accroché à l'autel de quelque dieu auquel on accorde une ultime prière, lorsqu'on entend nos assassins pénétrer dans le temple où l'on s'est réfugié, traqué. Sa tête retomba sur la surface lustrée du meuble. Il ne restait plus qu'à attendre le coup de grâce, maintenant.

Et le coup de grâce ne tarda pas à se faire entendre, au loin, très loin, dans le noir.

«Lord Janos ! Vous êtes en état d'arrestation !»
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