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Chapitre I - Le Lord courroucé.

«Nous rentrons dans l'orbite d'Aargau, sénateur.»

L'œil artificiel analysa un instant le droïde de protocole argenté qui s'était introduit dans l'élégant salon.

«Bien. Qu'on prévienne les autorités de mon arrivée.»

«À vos ordres, sénateur. Désirez-vous une collation avant que nous n'atterrissions ?»

«Ma foi, un brandy assandran ne pourrait guère me faire de mal.»

«Comme vous le désirez, sénateur.»

S'enfonçant de son fauteuil, Lord Janos regarda le droïde s'éclipser. Durant ces incessants trajets de Coruscant à d'Aargau et d'Aargau à Coruscant, le sénateur ne gaspillait jamais le précieux temps qui s'offrait à lui. L'oisiveté était mère de chaos. La table du petit salon que l'on avait aménagé dans la navette privée du Lord projetait un dossier holographique concernant l'intégration des réfugiés artoriens sur Aargau. Un rapport dont le contenu déplaisait profondément à Janos...

* * *

«Sénateur ! Nous vous attendions avec impatience !»

«Trêve de flatterie déplacée, Audiens. Vous savez que je ne suis pas ici pour le plaisir.»

Janos avait été accueilli en grande pompe sur Aargau : entre deux rangées de soldats, Dicto Audiens, le secrétaire général du parti et représentant de Cosmos comme conseiller au sein du Directoire Exécutif, se tenait droit, à la manière d'un militaire, face à ce sénateur qu'il craignait tant.

«Hum... Oui, bien sûr... Avez-vous lu le rapport que nous vous avons envoyé ?»

Lord Janos demeura sciemment silencieux durant quelques instants qui parurent durer une éternité à Audiens. Ce dernier ne put soutenir plus longtemps le regard cyan dont le foudroya l'œil artificiel.

«Je viens de le terminer. Et je ne suis pas satisfait, Audiens. Pas satisfait du tout.»

«Mais... Nous ne pouvions pas prévoir ces mouvements de xénophobie, sénateur...»

«Eh bien vous auriez dû. À quoi servent donc les fonctionnaires engagés par Cosmos ? Nos statiticiens n'étaient-ils pas capables d'anticiper de telles réactions, que diable ?

«C'est que...  sauf votre respect, bien sûr, mais... vous leur avez laissé trop peu de temps, sénateur...»

Si l'œil artificiel de Janos avait été équipé d'une fonction "blaster", il n'eût resté d'Audiens qu'un cadavre fumant sur le pont de débarquement.

«Ils avaient tout le temps nécessaire pour comprendre que les citoyens d'Aargau ne voulaient pas des Artoriens sur leur sol ! Si j'avais su, j'aurais confié ces maudits sondages à Mademoiselle Evans et non à des incompétents de votre espèce.»

D'un point de vue strictement juridique, rien ne justifiait cette domination du sénateur sur le secrétaire du parti dominant. Mais Janos incarnait l'homme de la situation, le seul orateur vraiment écouté, la voix d'un idéal transcendant infiniment les lois, là où Audiens n'était que coquille vide en termes de charisme et de convictions politiques. Voilà qui suffisait amplement à légitimer cet état de fait.

«Voyez-vous cela ! Fidèle à mes idées, je me fais le défenseur de ces pauvres Artoriens auxquels le chaos de la guerre a ôté foyers et famille. Je les accueille chaleureusement sur ma planète. Je me bats avec les autorités républicaines pour ratifier des accords que l'on me refusait comme si j'étais un monstre. Et, alors même que l'on devrait m'ériger en modèle d'accueil et de diplomatie, tout le monde se retourne contre moi : non seulement les autres sénateurs - et Rejliidic le premier - me dévisagent comme un démagogue profitant de la situation pour s'octroyer le beau rôle ; mais en outre, le peuple d'Aargau a décidé de jouer la carte de la xénophobie ! Dans quel monde vivons-nous donc ?»

Victime de ce système qui s'obstinait à ne pas le comprendre, Lord Janos pénétra dans la navette qui le mènerait à l'immense gratte-ciel gouvernemental, bâti au centre de la capitale.

Assis face au sénateur, Audiens contemplait ses genoux d'un regard inquiet. Il n'osait lever les yeux vers la principale Divinité politique d'Aargau ; son expérience personnelle lui avait assez appris qu'il ne fallait pas irriter davantage le grand Lord quand il était en colère. L'ire d'un Dieu pouvait provoquer les catastrophes les plus terribles, et c'est avec cette pensée en tête que le secrétaire tenta malgré tout d'adoucir la situation.


«En tout cas... le Directoire Exécutif est majoritairement favorable à votre intervention, sénateur... Vous avez son soutien sur l'essentiel des...»

La voix d'Audiens faiblit lentement jusqu'à s'éteindre, laissant cette phrase en suspens. Janos fixait de nouveau son interlocuteur de ce regard sévère et froid qu'il dirigeait contre les lâches et les incompétents.

«Majoritairement ?»

«Euh... Pardon, sénateur ?»

«Vous me dites que le Directoire m'est majoritairement favorable. Qu'entendez-vous par là ? Je désire l'unanimité, Audiens. La majorité ne m'intéresse pas.»

Soudain traversé d'une stupeur mêlée d'effroi, le secrétaire comprit à cet instant qu'il venait de commettre une gaffe. Une gaffe fatale...

«Non... Enfin... Il y a un membre qui vous... qui n'est pas favorable à votre politique... Mais il est seul, sénateur,... et minoritaire...»

«Son nom ?»

«Euh... Han Stasis, sénateur. C'est un proche d'Herl Clearstimm... vous savez, le journaliste de l'opposition récemment décédé à cause d'une fuite de gaz, je crois...»

Janos demeura impassible. Oui, il savait. C'est Darth Sicaë qui avait provoqué cet accident. Opposant de taille à Cosmos, l'Ordre avait exigé la mort de cet homme bien trop influant. Par ailleurs, si la République ne s'était pas entichée de concepts aussi stupides que la liberté de presse, c'est L'Hologazette d'Aargau tout entière qu'il aurait fallu démenteler. Mais à défaut, son patron, ce Clearstimm, avait payé les frais de ce goût trop marqué pour le désordre et la sédition.

«Hum... Eh bien, figurez-vous que Han Stasis n'est rien moins que le principal actionnaire de l'Hologazette... sénateur.»

Janos se raidit sur son siège. Aucun de ses fichiers personnels n'évoquait cette information.

«Je ne le savais pas. Pourquoi ne me l'a-t-on pas dit ?»

«La nouvelle est toute fraîche, sénateur. Stasis a annoncé à ce titre qu'il désirait devenir le nouveau patron de l'Hologazette... Ah ! Nous arrivons...»

Terriblement las, le Lord laissa s'échapper un long, très long soupir... Tranchez la gorge du serpent : une nouvelle tête en repoussera aussitôt.
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Chapitre II - Le tribun populiste.

 
Située au cœur du palais gouvernemental, la grande salle d'audience pouvait accueillir une foule de plusieurs milliers d'individus. En règle générale, l'orateur passait par une petite porte dérobée, située derrière un pupitre de métal. Mais, comme à beaucoup d'autres, Lord Janos avait toujours dérogé à cette coutume politique : chaque fois qu'il prononçait un discours dans cette vaste salle circulaire, il rentrait par l'issue principale en s'assurant que tout le monde eût pris place. Ce faisant, il apparaissait au cœur de la foule et devait parcourir plus de deux cent mètres entre les tribunes. Un homme du peuple au sein du peuple : voilà l'image qu'il s'était composée - et dont il n'était pas peu fier.

En parcourant le sol métallique qui traçait une belle ligne droite au milieu des gradins, Janos songea aux premiers instants de sa gloire passée. Ces moments sublimes où des myriades de regards et de caméras étaient braqués sur ses traits sévères et populaires. Les acclamations, les flashs. Et la revanche sur son drame, ce drame qui lui avait coûté un corps, un visage et une carrière de Jedi consulaire.
 
Ce jour-là, si toutes les têtes étaient effectivement tournées vers le tribun, son arrivée ne fut pas pour autant accueillie par une ovation générale. Au contraire, la foule demeura silencieuse, attendant avec curiosité et anxiété les arguments que leur proposerait cette fois le représentant d'Aargau. À la surprise générale, Janos ne se rendit pas au pupitre, mais s'arrêta net au cœur de l'immense salle, le visage décuplé par de petites caméras volantes qui le suivaient partout. Sur le gigantesque écran qui lui faisait face, le Lord se vit, géant dominant le peuple sans s'élever davantage qu'à hauteur du commun.

 
«Citoyens, citoyennes.»
 
Ton ferme et déterminé. Visage à la fois sévère et légèrement conciliant.
 
«Comme vous le savez, je reviens expressément de Coruscant pour vous parler. J'avais beaucoup d'affaires à régler, mais je suis tout de même allé à votre rencontre, car j'accorde plus d'importance aux problèmes de mon peuple qu'aux intrigues propres à la politique.»
 
Quand il parlait à ses concitoyens, Lord Janos employait toujours des phrases simples, basiques, dans l'idée que personne ne devait ignorer ce qui se tramait dans les sphères inaccessibles du pouvoir. Par là, le sénateur donnait de lui l'image d'un médiateur entre le grand nombre et les dirigeants, entre l'humilité du sol et l'éther du gouvernement. Figure d'un ange à mi-chemin entre la terre et le ciel, il avait su séduire les foules plus d'une fois, là où d'autres, avec leurs mots sophistiqués et leur style amphigourique, n'avaient reçu que dédain et scepticisme.
 
«J'ai appris, citoyens, que vous n'étiez pas favorables à la venue des Artoriens sur notre planète. Certains d'entre vous se sont même montrés violents. Certains ont été méchants, cruels, irrespectueux des lois. Certains ont enfreint les règles les plus élémentaires de la diplomatie et de la sympathie.»
 
En répétant trois fois la même idée, Janos put ainsi introduire cette dernière sentence plus ampoulée que les précédentes. Quand bien même celle-ci parût inintelligible à certains, le commun sut comprendre ce qu'il en était, saisissant par ailleurs cette obscurse notion de diplomatie que le sénateur avait fort habilement associée à celle de sympathie. Parler aux foules était un art dont bien peu connaissaient les ressources secrètes.
 
«Je ne vais pas passer par quatre chemins, citoyens. Disons-le directement : je ne suis pas satisfait de votre attitude. Croyez-moi : je n'aime pas vous parler ainsi. Vous m'avez élu sénateur ; ce n'est pas mon rôle de vous disputer comme des enfants mal éduqués. Ne pensez donc pas que je vous rabaisse ou que je vous ridiculise. Je ne fais que parler avec franchise et sincérité ; je veux vous dire ce que je pense. Et avouez que bien peu de politiciens disent ce qu'ils pensent. Moi, j'ose, et je le revendique haut et fort.»
 
Janos s'interrompit pour analyser comment le peuple réagirait. À sa légère déception il ne se manifesta pas, attendant patiemment la suite du discours.

«Bien. Laissez-moi vous raconter une histoire, citoyens. Une histoire dont vous n'êtes pas étrangers...»

Le tribun recula de trois pas et, à la surprise générale, s'assit tranquillement sur un petit fauteuil installé derrière lui. Le rhéteur droit et élancé s'était transformé en un grand-père fatigué qui raconte des fables à ses petits enfants au coin du feu.
 
«Il était une fois une planète qui vivait heureuse. C'était une planète riche et puissante, située au cœur de la galaxie, sur les principaux axes commerciaux. Cette planète était dirigée par un bon roi, aimé de son peuple, un roi qui toujours avait défendu le plus faible contre les gens fourbes et cupides.
«Mais hélas, ce temps de prospérité allait bientôt s'achever, car, un beau jour, l'infâme impératrice Sith décida d'envahir cette belle planète. Poussée par le goût de la mort et le plaisir de la destruction, elle déploya ses forces armées contre la pauvre population de la planète et permit à ses généraux scélérats de s'en prendre aux gens sans ménagement. Lors de cette terrible guerre, des milliers d'hommes furent massacrés, des femmes violées, des enfants éventrés... On priva le peuple de toute ressource, et celui-ci mourut de faim quand il ne périt pas sous la torture que leur infligea ces monstrueux ennemis.
«Certains parvinrent cependant à s'enfuir. La joie de s'en sortir indemne fut bien sûr accompagnée de la tristesse d'avoir perdu ses proches, son foyer et son bonheur. Ces fugitifs pensaient qu'ils allaient au moins être réconfortés par les habitants de la planète voisine. Mais ces derniers n'en firent rien. Au contraire, ils voulurent les chasser comme des étrangers, des immigrés, des moins-que-rien. Ces habitants ne pensaient qu'à leurs petit intérêt personnel. Ils se comportaient exactement comme les Siths.»


Janos se releva brusquement ; dans son élan, il en vint presque à vociférer :

«Cette histoire, je ne l'ai pas inventée, citoyens ! Cette histoire, c'est celle des Artoriens ! Cette histoire, c'est la vôtre ! Voyez-vous comment vous osez accueillir ces pauvres fugitifs ! Comment vous les traitez ! Comme vous les humiliez, comme vous les malmenez ! Si tout le monde se comportait comme vous, dans la Galaxie, sur qui pourrions-nous compter quand nous sommes dans le besoin ? Vers qui tendre la main ? N'avez-vous pas honte de vous montrer si égoïstes ?»

Se taisant un instant pour mettre en valeur ce dernier adjectif, le Lord fit quelques pas en avant et s'engouffra dans les tribunes. Il continua son discours en déambulant à travers l'assemblée.

«Il n'y a pas si longtemps, citoyens, vous étiez oppressés par ces horribles firmes banquières. Des patrons cupides profitaient de la situation économique pour vous affaiblir, pour réduire votre niveau de vie, pour vous prendre biens et salaires. À cette époque, souvenez-vous, vous m'avez fait confiance et m'avez chargé de défendre votre cause. Beaucoup me critiquent, mais personne ne peut le nier : j'ai tenu ma parole ; le chômage a baissé ; l'emploi est revenu ; la vie sur Aargau est redevenue aussi agréable qu'auparavant.
«Maintenant, faites-en autant avec les Artoriens : ceux-ci vous tendent la main comme vous me l'avez tendue jadis. Pourquoi la leur refuser ? Vous l'ai-je refusée, moi ?»


Sur l'un des bancs, une jeune femme adressa un sourire à l'orateur qui passait non loin d'elle. Aussitôt les caméras se braquèrent sur ce visage approbateur, puis se tournèrent de nouveau vers celui de Janos qui lui rendait le sourire. Personne n'était censé savoir que la personne en question avait reçu la veille une somme rondelette, déboursée depuis un compte anonyme dont Gabrÿelle Evans avait l'entier contrôle. Aucun moyen ne devait être délaissé quand l'Ordre l'exigeait.

«Mais surtout, citoyens, aimeriez-vous vraiment que l'on vous traite ainsi, si vous étiez dans la situation des Artoriens ? Imaginez qu'Aargau soit à son tour envahie par les Siths, voudriez-vous être rejetés comme de sales étrangers par la population qui vous accueillerait ? Méfiez-vous d'une telle attitude, citoyens : on récolte ce que l'on sème. Si vous persévérez dans votre égoïsme, votre individualisme, votre xénophobie, ne vous étonnez pas si un jour personne ne veuille de vous au moment où vous serez dans la détresse.»

La sévérité qui transparaissait sur les traits de Janos s'adoucit lentement pour laisser place à une forme d'indulgence conciliatrice.

«Je pense que la leçon est claire. Maintenant, il ne me reste plus qu'à louer l'esprit de concorde qui devrait animer vos rapports avec autrui. Défendez la paix, et vous récolterez la paix. Défendez l'harmonie, et vous récolterez l'harmonie. Car la paix et l'harmonie sont les deux piliers sur lequel repose l'Ordre. Si vous vous entredéchirez, comment voulez-vous que la société vive heureuse ? Je vous invite donc à vous comporter en citoyens responsables et en hommes de la République. Offrez à ces pauvres gens d'Artorias l'aide que personne d'autre ne daigne leur accorder. Et un jour, je vous le promets, vous recevrez en retour ce que vous leur avez aujourd'hui donné.»

Si la totalité du discours avait été aménagée pour être convaincante, le sénateur avait désiré que personne ne fût engagé pour applaudir ses propos à la fin de son allocution. Il ne laissait jamais aucune place au hasard, pourtant ; mais cette fois-ci, il avait désiré que le peuple s'exprimât spontanément. Et s'il fallait être hué, Janos se ferait huer : au moins saurait-il où en était l'opinion publique avec cette affaire. À sa grande satisfaction, la foule l'applaudit. Certes, elle ne lui accorda pas une ovation ; certes, elle resta sur ses gardes. Mais elle l'applaudit tout-de-même.

Il avait fait court. De toute manière, un homme ne peut rester attentif plus de cinq minutes. À quoi bon d'interminables logorhées ? Le but n'était pas d'anesthésier la peuple, mais de le responsabiliser à coups d'arguments clairs et concis.

Un léger sourire aux lèvres, le représentant d'Aargau serra des mains de ci de là, salua ceux que son œil artificiel, après analyse du visage, identifia comme des partisans à sa cause, mais n'oublia pas les autres, qu'il ne fallait surtout pas négliger. Surtout pas...
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