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Ce dernier venait lui annoncer, avec cette voix glaciale, sans émotion et, semblant tranché aussi net qu’un scalpel, que le vaisseau confié à l’apprenti Sith Zora Shaar-là était de retour, une semaine après son départ de Dromund Kaas. Darth Ynnitach avait demandé à être prévenue dès que l’on aurait des nouvelles de son apprentie. Une fois assurée qu’elle rentrait, il n’était nullement nécessaire de la déranger davantage et d’un geste de la main elle faisait signe au droïde de se retirer. Est-ce que, d’ailleurs, cette nouvelle nécessitait la venue de cette chose alors qu’elle ne souhaitait pas être dérangée.
Mais la jeune humaine qui approchait, qui profitait d’une place prestigieuse auprès d’elle. Une place que beaucoup envie, des apprentis aux seigneurs. Les premiers pour profiter de son savoir et les autres pour le contrôle de l’Ordre et le lui prendre, sans aucun doute. Ces derniers temps, la Dame Noire s’était montrée distante envers sa protégée. Mis à part cette mission, elles vivaient quasiment chacune de leur côté. Exiger la présence de sa maîtresse à son retour était désobligeant. De quel droit se permettait-elle ? Zora n’avait à exiger de rien. Si Darth Ynnitach voulait la recevoir c’était à elle d’en exprimer la volonté, pas l’inverse. Mais il y avait l’annonce d’un présent en plus de la réussite de la mission.
Jetant un œil à la baie vitrée, la Sith constatait qu’il ne pleuvait pas. Le vent soufflait fort, un peu comme d’habitude, mais elle ne s’était pas aperçue que la pluie battante sur les vitres s’était estompée. Ce dernier détail la poussait à accorder cette demande cavalière de son apprentie, pour se rendre au devant d’elle. Même si cette impudence devra être payée à un moment ou un autre…
-J’y vais, KHY-19… Et vas te rendre, toi, au centre de sécurité, pour qu’un technicien te fasse une « révision ». Dis lui que tu viens de ma part, ainsi tu n’en auras pas pour longtemps à attendre…
La révision en question était un effacement de la mémoire de ces dernières heures, en plus des autres vérifications de routines sur les logiciels espions et autres traceurs. Prenant soin de bien paraître, la Dame Sith sortait de ses appartements et empruntait un turbolift pour descendre cinq niveaux plus bas. Arrivée sur place, deux de ses gardes personnels se joignaient à elle et la suivait, trois pas derrière, selon l’étiquette établie il y a fort longtemps.
La plate forme se trouvait à mi-hauteur de la taille totale de l’édifice ou vivait la reine des Sith. Cela était surtout le symbole de l’importance du visiteur. Rare sont ceux à pouvoir se poser sur cette plate-forme. La plupart devant se poser sur les places prévues à cet effet, en bas de la tour et devant faire le chemin pour monter très haut dans la tour pour obtenir une audience. La Sith attendait à mi chemin de la passerelle. Les gardes avec leurs grandes lames de cérémonie à trois pas derrière elle. Les larges robes pourpres, balayées par les vents parfois violents, dévoilaient les armures noires ouvragés portées en dessous. Deux gardes armés de fusils blaster encadraient le vaisseau. Zora en sortait, seule. La Dame Noire, vêtue d’un long manteau noir avec la capuche relevée, retenue au niveau du coup par une broche faite d’obsidienne et relevé d’or, la dardait de son regard inflexible. Le bas de son visage, seule partie effectivement visible ne laissait paraître qu’une moue sévère sans pour autant révéler, mais laissant clairement d’un regard inquisiteur. La maîtresse Sith regardait son apprentie s’agenouiller et restait à la contempler ainsi quelques instants.
-Relèves-toi… Dit-elle en faisait un léger geste de la main.
Après qu’elle se soit relevée elle lui donnait la datacarte et annonçait avec une pointe de fierté dans la voix que la mission avait été un succès. Oui les renseignements de la Dame Noire semblaient avoir bien fonctionnés. Restait à voir si cette carte serait tout aussi prometteuse qu’elle l’espérait quant aux données qu’elle devait contenir. Une certaine hâte et envie la prenait de les planter tous là et de se remettre au travail de suite et d’apprendre les secrets qu’elle contenait. D’autant que Darth Ynnitach était persuadée que les données pourraient lui servir pour la guerre à venir. Obnubilée par ce petit bout de plastique bourré de savoir sous forme de circuits électroniques, la Sith en oubliait presque l’autre présent qui justifiait sa présence sur cette passerelle.
La maîtresse de Dromund Kaas baissait son regard sur la forme qui était au sol. L’être ainsi allongée à ses pieds semblait bien misérable. Ses mains étaient attachées et il portait un masque de torture Sith sur la tête. Une sage précaution de la part de Zora. Par endroit, la seigneur Sith pouvait constater des traces de brûlures et autres blessures dues à un sabre laser. Preuve de l’affrontement rapporté par Zora.
-Curieux, en effet… Enlevez-moi ça ! Dit-elle d’un geste dédaigneux à l’encontre des deux hommes qui l’avaient trainé jusqu’ici.
Pour l’heure il sera enfermé dans les geôles de la tour de la Dame Noire. Dans un tremblement et un léger bourdonnement, passerelle rentrait dans la tour amenant le vaisseau à l’abri dans le hangar. Sans attendre, la Dame Sith rentrait, avec Zora à ses côtés et les deux gardes venus avec leur maîtresse à trois pas derrière.
-Un être doué de la Force qui a tenté de t’arrêter… C’est intéressant en effet. Tu es sure qu’il n’appartient pas aux Jedi ? J’ose l’espérer pour que tu amènes… ça, ici ! Le fait qu’il ne se revendique d’aucun ordre n’est pas une preuve ! Il peut être n’importe quoi !
*Un simplet qui a appris quelques tours de passe-passe, juste bon à s’exhiber sur des places publiques ! Ou bien un adepte du Côté Obscur, mais pas un Sith reconnu comme tel ! Ou l’un de ces adeptes de la Force, dont les pratiques ne sont pas reconnues par les Jedi mais qui s’en approchent de trop ! Oui ! C’est plausible !*
-Voilà ta nouvelle mission, Zora. Tâches de savoir qui il est, ce qu’il est et ce qu’il voulait en t’affrontant sur Corellia ! Mais ne l’abîme pas. Il est vrai qu’il pourrait être utile… Au-delà de cette imprudence dont tu as fait preuve en l’amenant ici malgré les précautions que tu as prises. A ce sujet, il faudra réinitialiser le navi-ordinateur du vaisseau… Dit-elle en tournant sa tête vers un technicien qui était non loin et qui s’était incliné à leur passage, qui s’éclipsait promptement pour obéir à cet ordre.
-Vas donc t’occuper de notre invité… je te rejoindrais un peu plus tard. La Sith s’en allait, retournant vers les niveaux supérieurs de la tour, toujours accompagnée des deux gardes. Elle ressentait à nouveau sa hâte de lire cette datacarte, comme une enfant qui s’apprête à découvrir son nouveau jouet…
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Un éclat de lumière traversa les ténèbres sans un bruit.
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De nouveau le même éclat, accompagné, cette fois, du fracas familier de deux sabres laser s'entrechoquant.
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Le phénomène se reproduisit. Mais cette fois l'éclat de lumière révéla, au travers des ténèbres, deux silhouettes sombres, immobiles.
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Cette fois ce fut une voix qui émergea du vide.
"Belle soirée pour une balade sur les toits, n'est-ce pas?"
Et la voix déchira le voile, chassant la nuit et le silence pour laisser place à une scène trop familière. Une ombre sur un toit, tournant le dos à une blonde agressive qui, déjà, se jetait sur lui, sabre à la main. La suite était violente, le récit d'une victoire écrasante, le film d'une défaite humiliante. Du début à la fin, l'ombre était dominée par l'adversaire, ne faisant que reculer, que prolonger l'opprobre, jusqu'au moment fatidique où elle s'effondrait sur le sol, sans une once de conscience à laquelle se raccrocher.
"Belle soirée pour une balade sur les toits, n'est-ce pas?"
La scène recommençait. La provocation, l'assaut, la réaction. Tout était identique, jusqu'à ce moment où l'ombre créa son double. Là un détail changea. Au lieu d'attaquer, le double puisait dans la Force pour prendre l'avantage en déstabilisant les appuis de la blonde. Mais bientôt l'histoire reprit son cours normal. L'ombre, trop mal en point, reperdait du terrain, et cette fois-ci elle ne tomba pas inconsciente, mais sans vie, une lame écarlate dans le cœur.
Et ainsi, la scène se répéta encore et encore. À chaque recommencement un détail changeait, une réaction infime, une façon de contre-attaquer. Et à chaque fois l'ombre prenait un peu plus l'avantage sur son ennemie. Chaque fois un peu plus, mais jamais totalement.
"On arrive..."
Cette fois, la voix venait d'ailleurs. Elle était à la fois lointaine et partout autour, balayant la scène sans fin, réinstaurant les ténèbres pour un instant, avant que l'ombre n'entre ouvrent les paupières, juste une seconde, car elles étaient comme deux chapes de plomb sur ses yeux. L'homme reprenait peu à peu conscience, sentant sur lui le souffle chaud et nauséabond d'une créature qu'il ne parvenait pas encore à distinguer clairement. Pour être précis, rien n'était clair. Tous ses sens étaient endormis, étouffés par un état entre somnolence et inconscience. Il était, à vrai dire, tout juste assez lucide pour être surpris d'être encore en vie. Quant à savoir où il se trouvait et dans quelle situation, il en était loin.
Combien de temps se déroula jusqu'à ce qu'on le sollicite une nouvelle fois ? Il était incapable de le dire. Son corps était encore endormi, son esprit dans le brouillard. Si bien qu'il sentit à peine les mains puissantes qui le saisirent par les bras pour le déplacer. Grommelant sous son masque... Sous un masque. Il ne le réalisait que maintenant. La sensation sur son visage n'était pas la même, la façon dont il entrevoyait son environnement n'était pas altérée comme d'habitude. Quelle que soit la chose qui couvrait sa face, ce n'était pas son masque. Mais la panique ne vint pas, il n'en avait pas la force. Tout comme il était incapable de ramener ses jambes sous lui pour en faire un appui stable, forcé de les laisser traîner mollement sur le sol tout le temps où il était déplacé. Jusqu'au moment où il fut jeté sans ménagement devant une nouvelle silhouette, floue, elle aussi.
Il se retrouva à genoux, le buste affaissé sur lui-même, la tête baissée, sa nuque incapable de la redresser. Il prit alors conscience qu'il n'avait pas mal, malgré toutes les blessures que le combat lui avait infligées, il ne souffrait pas plus que ça. Il avait à peine ressenti le choc de ses genoux sur le sol. Alors l'évidence s'imposa à lui. Non contente de l'avoir vaincu sans effort, l'humaine l'avait drogué, et c'était au travers de l'épaisse brume médicamenteuse qu'il percevait le monde qui l'entourait.
Ainsi, la conversation dont il fut témoin n'était pour lui qu'un brouhaha lointain dont il ne pouvait comprendre le fond. Mais malgré son état à peine conscient, il était encore capable de jauger le rapport entre son adversaire et la silhouette inconnue. Cette dernière était le maître, la première l'apprentie, et cette constatation venait s'ajouter à l'affront déjà infligé, renforçant ce sentiment de faiblesse qui l'avait envahi au cours du combat. Mais déjà il sentait deux paires de mains le soulever du sol sans ménagement pour le traîner de nouveau, l'éloignant de l'entretien entre professeur et élève.
Ignorant où il se trouvait, où on l'emmenait, le prisonnier ne pouvait se raccrocher qu'à une seule certitude, une sinistre conviction. Son calvaire ne faisait que commencer...
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