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-Vous êtes la honte de la nation.

Installé à l'extrémité de la longue table sculptée dans le marbre, je me tiens au siège de Via Fondation. Les têtes des dirigeants et actionnaires de la société qui a par le passé privatisé les réseaux routiers de Kuat sont engoncées dans leurs épaules. Cette fois-ci, ils comprennent qu'ils n'ont plus le manche. Le document que leur a rédigé ma délégation circule de mains en mains, et je les vois, la mine décomposée, y apposer leur signature. Le dos droit, je scrute les regards lâches et fuyants de la vingtaine de personnes attablée.

-C'est à cause de personnes comme vous que Kuat est au plus bas. Vous n'avez pas respecté les lois de nos institutions. L'heure où nous avions une façon de diriger laxiste est loin derrière. Vous avez commis une faute grave. Un crime contre l'État stratège et contre nos concitoyens, en vous enrichissant sur le dos des pouvoirs publics.

Le document me revient. Un bref instant, je scrute les griffonnages en bas du contrat. Sans broncher, je relève la tête en direction du président de Via Fondation.

-Vous avez signé, Jolen Neissil ?

-Hm... Oui...

L'homme est pris dans la confusion. Enfin, la balance commence à se rééquilibrer. Les institutions publiques sont craintes. Kuat ne doit plus être ce no man's land libéral qui permet aux sociétés de pérenniser leurs propres fonds au détriment de l'économie de la nation.

-Je ne vois pas votre signature. Signez.

Je sors de mon veston un stylo, le pose devant moi et appuie mon doigt sur la table à deux reprises. Un peu hésitant, le dirigeant vient fébrilement à moi et, d'une main tremblante, ratifie le traité.

-Rendez-moi mon stylo.

Je le reprends vivement et m'extirpe du siège.

-Vous allez payer les conséquences de vos fraudes. Les voies de communication de Kuat appartiennent à Kuat seule.

Je tourne les talons et quitte les lieux, suivi de Melana Sdötir, adjointe chargée du redressement productif de Kuat-City. Au sortir du bâtiment, elle enfourne ses lunettes de soleil et laisse échapper un petit rire.

-Eh bien, à ce niveau-là, ce ne sont même plus des négociations.

-C'est bien le but. Il ne faut pas commencer à rentrer dans une démarche qui nous ferait perdre du temps inutilement.

-De toute façon, ils ne peuvent pas se retourner contre toi.

-Ils étaient dans l'illégalité. Pour repartir sur de bonnes bases et construire nos projets, il faut déjà déblayer la vermine qui s'est entassée au cours des précédents mandats.

-C'est vrai. Et dire que la princesse n'avait qu'un mot à dire pour empêcher tout ce qui a été commis...

-Ne te trompe pas d'ennemi, Melana.

-... Oui.

Nous montons dans le land-speeder et j'enclenche les réacteurs. Nous circulons dans les rues engorgées, tandis que la nuit laisse lentement tomber son voile, sur la capitale de la belle Kuat.

-Tu as besoin de repos. Je te raccompagne ?

-C'est toi qui a besoin de repos. Tu n'arrêtes pas un instant. Il faut que je regagne mon cabinet. J'ai encore une montagne de dossiers à boucler, il faut que j'avance dessus.

-J'aime entendre ça Melana. On ne lâche rien. Il y a tout à faire, maintenant.

Arrivés à l'hôtel de ville, nous nous séparons à une bifurcation. Dans le couloir, mon nom résonne, alors que je passe devant l’entrebâillement d'une porte.

-Ulrich, pardonnez-moi, c'est urgent !

Le secrétaire de mon adjoint au service du Maintien de l'Ordre semble alarmé.

-Nous avons un clandestin un peu particulier et...

-Ils sont tous particuliers si on les écoute. Ne faites pas de détail et laissez la milice faire le boulot.

-Il prétend être Jedi...

La nuit a saisi la capitale, et je m'engouffre dans sa noirceur. J'ai un mauvais pressentiment. Alors que je file dans mon land-speeder noir, cerclé par une escorte de 8 miliciens en speeder, mes doigts tapotent nerveusement sur mon pantalon. Nous arrivons face au commissariat du 6ème arrondissement, lieu où a été interpelé le clandestin. Je quitte le véhicule et fais signe aux hommes qui garantissent ma protection de m'attendre face au grand bâtiment. Alors que je monte les marches, que mon écharpe écarlate vole au vent et bat à intervalles réguliers sur le tissu de ma veste croisée à six boutons, les gardes royaux à l'entrée effectuent le salut national. Je suis accueilli à l'intérieur par le commissaire Nazil Eston, qui me serre la main et me conduit dans le couloir des personnes mises en garde à vue.

-Merci d'être venu, monsieur le maire. Nous avons là un cas qui justifie pleinement votre action.

-Exposez-moi la situation, commissaire.

Alors que nos pas claquent sur le sol nacré du couloir, l'homme me tend le pommeau de l'arme Jedi, dont je me saisis immédiatement.

-Nous avons capturé le clandestin dans l'astroport secondaire de Kuat-City, alors que nous nous étions mis à la poursuite d'un nef sans droit de passage. Il assume pleinement être un jedi, et comme vous pouvez le voir, ça ne fait pas de doutes.

-Vous l'avez interrogé ?

-Pas encore. Ma première action a été de solliciter votre venue.

-Vous avez bien fait.

Je jette un regard à la hampe du sabre laser, sans m'apercevoir qu'au fond de moi, une voix tente de se faire entendre, et clame que je l'ai déjà vue. Deux miliciens en fonction nous attendent, mains sur la ceinture, au niveau de la cellule du Jedi. Mon sang bouillonne. À quelques mètres du point d'arrivée, mes poings se serrent et mon visage se durcit.

-Il va falloir lui faire cracher la raison de sa présence ici.

Alors que le commissaire acquiesce en me suivant de près, j'arrive au niveau de la cellule. Les gardiens font glisser une carte magnétique dans une encoche prévue à cet effet, et la vitre blindée s'enfonce dans le mur. J'avance d'un pas dans le box et dresse mon regard en direction du détenu. Un feu ardent s'empare de moi. Une implosion dans ma poitrine, une décharge dans mon échine, une fusion douloureuse dans mon crâne. Celui qui fait face à moi n'est autre qu'Orme Aryssie.

L'arme de celui qui m'avait juré protection tombe lourdement au sol. Les yeux écarquillés et la bouche entrouverte, je laisse apparaître au combattant du Temple une expression complètement désemparée.
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— Du détergent industriel ?
— E2345. Du détergent industriel E2345.
— Mais euh... Pourquoi est-ce que quelqu'un voudrait faire de la contrebande de détergent ?


La responsable de la sécurité avait l'air un peu perplexe. Certes, son poste dans un astroport secondaire de Coréllia ne lui amenait que rarement des affaires beaucoup plus palpitantes qu'une rixe dans le troquet du coin, mais enfin, elle s'était tout de même attendue à des choses plus exaltantes, quand un Jedi s'était présenté à elle, que la traque impitoyable des détergents industriels de contrebande. D'un autre côté, en considérant la carrure de l'adolescent qui lui faisait face, elle supposait qu'il ne devait pas avoir de missions beaucoup plus dangereuses.

— Des bombes, du poison. On fait plein de choses avec du détergent. C'est courant et pas cher. Mais si c'est courant, c'est facile à détecter. Alors si vous l'achetez par les voies normales, on peut remonter jusqu'à vous. Si vous l'achetez sur le marché noir, vous ne payez pas nécessairement moins cher, mais la discrétion est assurée.

Et ce fut cette brillante initiative qui conduisit Orme à s'infiltrer très discrètement dans un vaisseau suspect, dont le manifeste de vol était étrangement lacunaire, mais que personne n'avait songé à inspecter de plus près, parce que le scanner n'avait repéré aucune arme d'aucune sorte dans sa soute. On supposait qu'il n'y avait là qu'un marchand peu consciencieux qui finirait par fournir les documents adéquats.

Depuis les élections à la Chancellerie, Orme multipliait les petites missions. Son Maître était constamment occupée par ses importantes fonctions et, l'âme en morceaux, le Padawan n'avait pas le courage de rester étudier et méditer au Temple. Il avait besoin d'occuper son esprit, d'analyser des documents, de remonter des pistes, de se battre, fût-ce dans des circonstances aussi anodines, ennuyeuses, fastidieuses que celles qui entouraient un modeste trafic de produits chimiques.

Au Temple, on ne lui demandait pas de comptes. Personne ne s'étonnait dans l'humeur soudainement taciturne qui s'était abattue sur lui. Il avait fini sa crise d'adolescence, voilà tout : il ne rentrait certes pas tout à fait dans le rang, mais il avait appris à ravaler ses opinions et garder le silence quand quelque chose lui déplaisait. Telle était l'opinion commune, fondée sur des générations de Chevaliers anonymes que la discipline de l'Ordre était parvenue à formater. Orme se gardait bien de détromper qui que ce fût.

Le cargo s'était envolé finalement et, assis dos à l'un des containers, le Coruscantien se plongea dans une méditation. Il avait perfectionné sa maîtrise de la technique — elle qui avait toujours été nécessaire à sa santé physique était devenue plus précise encore pour son précaire équilibre mental. Le succès n'était pas toujours au rendez-vous ; parfois, des souvenirs d'Ulrich surgissaient en pleine transe, plus vifs qu'à l'état de vieille, et Orme prenait conscience de la violence de son abandon, de la trahison, et du deuil impossible qui s'imposait à lui.

Ce jour-là, dans le vaisseau qui partait vers une destination inconnue, le Padawan percevait confusément, aux limites de son esprit, des événements qui tentaient de se signaler à lui. Il essaya de se concentrer, de mieux les percevoir, d'entendre cet avertissement que la Force paraissait vouloir lui adresser, mais sa maîtrise était loin d'atteindre les pouvoirs de prédiction et ses sensations restèrent au seuil des confuses intuitions.

La descente du vaisseau dans l'atmosphère le tira de sa méditation. Rendu nerveux par cette demi-prescience, il se releva et rajusta le long manteau blanc. Les combinaisons plus près du corps qu'Ulrich était éphémèrement parvenu à lui faire adopter avaient été bien vite reléguées au fond des placards et le jeune homme s'était rabattu sur ses hauts compliqués, formés de multiples bandes de tissu superposées et qui, en dissimulant sa peau, le coupaient du monde.

Orme s'approcha d'une écoutille et, après quelques secondes à crapahuter dans un conduit, se laissa tomber sur le tarmac de l'aéroport et au milieu de sept douaniers qui braquèrent aussitôt ses armes sur lui. Manifestement, il n'avait pas été le seul à concevoir des soupçons sur la cargaison du vaisseau. Tout allait bien ; le malentendu serait bientôt levé.


— Du calme. Jedi en mission.

Cette phrase magique qui, sur bien des planètes de l'Univers, était un laisser-passer absolu fut accueillie avec une palpable hostilité et, sans obtenir plus d'explications que des ordres lapidaires, Orme fut dépouillé de son arme, entravé de menottes magnétiques et poussé dans un speeder qui s'élança dans la ville. Songeant machinalement qu'à chaque fois ou presque qu'il mettait les pieds sur une nouvelle planète, on tentait de l'assassiner ou de l'emprisonner, Orme essaya de déterminer un peu plus précisément sa situation, mais, quand il lui parut évident que de nouvelles questions n'auraient guère pour réponse que des coups, il adopta un prudent silence.

Quelques minutes plus tard, il se trouvait dans une cellule, seul. Bien. Ce n'était pas la pire situation qu'il eût jamais connue, mais il y avait indubitablement du potentiel. A en juger par la relative propreté de la cellule, la fonctionnalité des locaux, le basic excellent des forces de l'ordre, il n'était pas sur une planète reculée et il y avait des institutions bien réglementées. On y était néanmoins hostile aux Jedis — à moins que l'on supposât qu'il n'était pas un Jedi.

Toujours était-il qu'il y avait de la marge plutôt pour la parole que la force et que l'évasion était d'avance exclue. Il fallait attendre l'interrogatoire qui viendrait infailliblement pour clarifier les choses et, en attendant, tenter de déduire avec les informations dont il disposait sa situation présente. Par exemple, essayer de replacer l'accent de ses geôliers. Il l'avait entendu quelque part — mais sur Coruscant, on entendait toujours tous les accents de la Galaxie, et il n'était pas aisé de les reconnaître spontanément.

L'adolescent était ainsi occupé à éplucher ses souvenirs linguistiques, assis par terre, dos au mur, quand une perturbation de la Force le tira de son enquête intérieure. Une perturbation qu'il eût reconnue entre milles, quoiqu'elle fût, ce jour-là, différente de celle qui lui était familière, une perturbation qui apportait à ses questions perplexes une réponse immédiate et certaine. Un mot s'échappa de ses lèvres, dans un souffle :


— Kuat.

Quelques secondes plus tard, la porte de la cellule coulissa et ses yeux noirs se posèrent sur la silhouette de son ancien amant. Orme s'était imaginé son instant — parfois, bêtement, il avait supposé des excuses, et un baiser, et des explications improbables qui eussent tout effacé, beaucoup plus souvent, il avait supposé qu'une sourde rage s'emparerait de lui. C'était autre chose, en réalité : une immense, une insurmontable tristesse, colorée d'amertume.

Le regard d'Orme passa d'Ulrich au commissaire, du commissaire aux gardiens. Ils étaient bien entourés. D'une voix lointaine, il articula presque mécaniquement :


— Monsieur le Maire...

Avec d'immenses efforts, Orme força sa voix à adopter un ton à peu près neutre, tandis que son coeur essayait de s'arracher de sa poitrine.

— Je crois qu'il y a un malentendu. Mon dessein n'était pas de pénétrer sur Kuat.

Et il rajouta, un ton plus bas :

— Nous avons bien compris que notre présence était indésirable.
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Les griffes d'une ombre qui fait écho à mon propre passé lacèrent ma poitrine. Je suis là, devant lui, figé. Je ne cille pas aux quelques mots qu'il énumère, quoique mon regard révèle une expression bien éloignée de la sévérité que j'aborde habituellement. Les hommes de haute fonction ne peuvent se laisser aller. Les hommes de haute fonction, qui ont connu la réussite en arborant un masque dur et digne, en arrivent à un point où ce masque ne doit plus les quitter à un seul instant. Alors, il finit par fusionner à votre peau. Il ne fait plus qu'un avec vous. Mais je le sens se morceler. Je ne suis plus de ceux qui peuvent se laisser aller. Je ne suis plus de ceux qui peuvent montrer ne serait-ce qu'une once de leur émotion.

Tout contenir en moi. Après tout, cela n'a pas été bien difficile. Voilà bien des années que le jeune homme que j'étais ne dévoilait rien de lui. Mais les circonstances faisaient aujourd'hui que j'avais perpétuellement des regards braqués sur moi, et que la moindre de mes gestuelles devait faire écho à une chose bien précise. Ainsi, on attendait de moi que je sois l'homme strict, le leader à la main de fer, celui qui ne ploie jamais. En réalité, je ne brûle en ce moment que d'un désir. Celui de m'effondrer, de me résorber sur moi-même, de me noyer dans les spasmes de ma propre douleur. Je comprends alors qu'il faut choisir. Je suis confronté face à ce que l'on peut insidieusement nommer un dilemme. Déchoir, perdre ma constance et ma légitimité dans l'un des poumons disciplinaires de la ville, ou bien maintenir cette force qui m'est propre, face à celui qui survient là où je ne l'attends pas.

Je ne suis pas de ceux qui fuient. L'avoir été pendant ces temps affreux, au sortir du crasseux centre d'expérimentations de Hapès, m'a bien prouvé à quel point je ne suis pas de cette trempe. Fuir m'a toujours été si insupportable. C'est pourquoi, après cette terrible épreuve psychologiques qui m'avait poussé dans les derniers retranchements de mon âme, j'eus besoin de me révéler. De déployer toute la rage de vaincre qui sommeillait en moi. Je haïssais cette vie d'exilé, de fugitif, je n'aurais pu me résoudre à effectuer une sereine transition en direction d'une pathétique normalité. Il fallait que je quitte tout, et que je combatte pour mes idéaux. Pour moi-même. Pour l'intégrité propre de ma vie. Au fond, me relever si subitement n'avait été qu'une politesse vis-à-vis de moi-même. Je vaux mieux que le destin qui semblait être prédestiné à ce que j'étais alors devenu en ces temps. L'ombre de moi-même, le paranoïaque garçon qui fuyait l'Ordre Jedi, qui fuyait son père, qui se fuyait lui-même. Et alors que je savais encore hier n'être qu'à l'aube de mon ascension, voilà que je me trouve pris au dépourvu par la seul présence de ce personnage, et que les fondements de mon esprit se rebellent.

C'est toujours l'effet qu'il a eu sur moi. Depuis cette soirée sur Ondéron, jusqu'à ces jours passés à Coruscant, après nos retrouvailles. Il est le seul à avoir eu cette emprise sur moi, cette force d'affronter mes préceptes, ce courage de bouleverser le menhir que je suis. Il est celui qui a jadis déraciné mon paradigme. Il est celui qui ce soir, menace une nouvelle fois, de révolutionner ce que je souhaite cette fois être inchangé.

Alors que celui que je suis devenu ne fuit jamais, alors que celui que je suis devenu affronte, je choisis l'alternative la plus sinistre. Celle qui me dénigre. Celle qui fait honte à mes propres convictions. Ce pas en arrière, je viens de le faire. Ce regard qui s'affaisse au sol, c'est moi qui l'ai ordonné. Je prends une large inspiration, pour tenter vainement de chasser la violence de ce cœur qui bat à tout rompre. Et dans un souffle...

-Laissez-le ici.

Je tourne les talons et m'aventure à contre-sens du couloir. Le commissaire, manifestement déboussolé par ma réaction, laisse échapper un vague, mais discipliné "Oui monsieur le maire."


Voilà plus d'un quart d'heure que j'ai regagné mon bureau au plus haut étage de l'hôtel de ville, exposé à la façade principal. Le bâtiment est ancien et la décoration y est indubitablement monarchique. Mais à l'heure qu'il est, je n'ai que faire de ce confort et de cette reconnaissance que j'ai récemment gagné au prix de mes efforts. La lumière n'est pas allumée. Qui cherche à se dissimuler dans l'ombre de son ombre n'est nullement à la quête d'être éclairé. Mon pouce frotte férocement mon index. Je suis acculé. La mine sombre, j'ai les bras croisés et le regard absent. Ma respiration est rapide. Les employés de la municipalité ont tous quitté les lieux. Pas de réunion, ce soir. Pas de salarié qui prendra son repas plus tard pour terminer son travail. Non. L'endroit est désert. Je suis seul.

Subitement, je sens mon doigt voler en direction de mon holopad, sujet à une impulsion qui n'est que partiellement contrôlée. Il est des fois où il faut savoir se faire violence, et s'extirper de la léthargie de la misère. L'hologramme du commissaire du 6ème arrondissement apparaît, et illumine la pièce d'une lueur bleutée.

-Monsieur le maire ?

-Amenez-le moi.

-Bien, monsieur le maire.

Une fois la transmission interrompue, je prononce doucement le mot "lumière." Le logiciel de reconnaissance vocale fait son œuvre, et les discrets luminaires incrustés au plafond éclairent la pièce. Je croise mes mains sur la table. Je n'ai plus qu'une chose à faire. Penser. Pourquoi est-il venu sur Kuat ? A-t-il tenté de me retrouver, comme ce fut le cas plus d'un an auparavant ? Non... Il l'aurait fait avant. Je me suis assuré bien avant mon élection que la sphère publique me rencontre. Alors, pourquoi. Est-il venu pour m'assassiner à la manière des Jedi ? Cette simple idée me donne la nausée. Je ne sais pas. Je ne sais rien. Et je n'ai pas la force de percer le mystère. La seule chose à faire n'est pas de penser. Elle est d'attendre.

On toque à la porte. Je ne cille pas. Mes mains jointes soutiennent mon visage.

-Entrez.

Un chef de section, accompagné de deux miliciens, m'apporte le jeune homme vêtu de blanc.

-Bonsoir, monsieur le maire. Son arme est en sécurité.

Ma main balaye l'air d'un geste désinvolte. Les factionnaires comprennent. Ils s'en vont, referment la porte derrière eux et leurs pas résonnent dans le couloir. Ils s'éloignent. Je ne quitte pas des yeux celui dont j'ai ordonné la présence.

-Tu peux t'asseoir, dis-je d'un ton détaché, comme s'il incombe l'évidence que j'estime qu'il n'a pas à suivre la démarche disciplinaire qui règne ici sur Kuat.

Cette curiosité mêlée de sentiments que j'ai peur de nommer m'impose de garder le silence.
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Laissez-le ici. Avec amertume, Orme entendait ces mots tourner et retourner dans son esprit. Il se rendait que sous sa résignation finalement très superficielle, sous le ressentiment froid qu'il avait tenté d'assembler, sous la colère plus vive et plus tumultueuse même, il était resté quelque chose de beaucoup plus pur et de beaucoup plus innocent de leurs fugaces jours heureux et qu'il avait imaginé, tout au fond de lui, la scène magique où Ulrich lui sourirait, se déferait de ses gardes et lui tendrait la main — au-delà de ces instants, son imagination cachée n'était pas allée, parce que les conséquences d'un semblable coup de théâtre eussent été trop étranges pour que le fantasme parût probable, et alors le plaisir du rêve était gâché.

Tout était plus clair, désormais. De rêve, il n'y en avait plus. Sans doute avait-il senti un certain trouble en Ulrich quand il l'avait aperçu, mais c'était la surprise, très probablement, et rien d'autre. La surprise seule suffisait à expliquer cette passagère incertitude qui, pour quelques secondes, avait rompu la curieuse assurance d'autocrate qui était devenue celle de son ancien compagnon, tel qu'il l'avait aperçu dans les média galactiques, juste avant de décider de détourner pour toujours son regard de tout ce qui pouvait se passer sur Kuat, pour ne pas souffrir de cette lointaine rencontre des images.

En dehors de la surprise et de vagues souvenirs, il ne restait plus rien en Ulrich des sentiments qu'il avait jadis professés et qui paraissaient désormais si lointains à Orme. C'était à peine si le Padawan pouvait donner quelque souffle, quelque air de vraisemblance, à ce qui lui restait de Coruscant ; il ne parvenait plus à reconstituer les phrases douces qu'Ulrich avait pu lui dire alors, ni à sentir sur sa peau le passage des mains du jeune homme, à concevoir que ce corps qu'il venait de voir sangler dans l'autorité de la Nation avait été un jour si proche du sien, animé de désir pour le sien, de cette sensation si humaine, si douce, si tendre, qu'avait été son désir.

A nouveau, et comme bien souvent depuis quelques mois, Orme se sentit ridicule. Il avait l'impression d'être l'une de ces héroïnes de mauvais feuilletons holographiques, de ceux que l'on passait parfois sur les vols commerciaux pour distraire les voyageurs et que la plupart regardait d'un oeil éteint, l'une de ces jeunes filles que la roublardise perverse d'un bellâtre de seconde zone parvenait à tromper et troubler, qui s'abandonnait à lui, se repentait pendant une heure trente puis trouvait quelqu'un d'autre, un prince charmant authentique venu d'une planète lointaine et exotique, mais dont les traits incarnaient l'idéal physique des planètes du Noyau — sauf que lui n'avait pas trouvé de prince charmant.

Finalement, l'existence s'était chargée de visser dans son crâne ce que le Code Jedi n'était pas parvenu à lui inculquer : les sentiments étaient une faiblesse. Quelle n'était pas l'ironie dans la situation, quand c'était précisément ce genre d'articles du credo des Chevaliers de la Force qu'il avait sagement remis en question, lors de leur première rencontre ! Comme Ulrich devait le trouver faible, stupide, aisément manipulable, à présent ! Comme il devait rire sous cape des faiblesses que le Padawan avait naïvement confessé, de ses doutes et de ses incertitudes de jeune homme ! Tout un entraînement de Jedi, et il n'était que cela, à la fin : un adolescent pitoyable.

La porte s'était refermée, la cellule bruissait de silence — une violente quinte de toux le prit. Il s'appuya sur le mur, inspira profondément, retrouva la maîtrise de son corps. Se laissant glisser à nouveau au sol, les yeux fermés, il entreprit de calmer le tumulte qui s'était allumé dans son coeur. Il savait pertinemment qu'il devait songer à présent à s'échapper, réfléchir aux moyens de son évasion, mais son esprit ne parvenait pas à nouer des pensées cohérentes.

Les heures passaient. Sans s'en rendre compte, il avait glissé dans une sorte de méditation, suivant le seul sentiment de sa tristesse — il n'avait pas bougé d'un millimètre, sa respiration avait adopté un rythme surhumain, le plateau de repas, la bouillie plus exactement, qu'on lui avait glissé en guise de ration de survie, était demeuré intact — et quand la porte s'ouvrit à nouveau, les gardiens crurent d'abord qu'il était mort. Les yeux de la Sentinelle se rouvrirent pour se poser sur eux.

— Le maire veut vous voir.

Il était donc venu le temps où Ulrich exercerait en plein sa cruauté. Docilement, Orme se releva. Sans ménagement, les deux hommes l'empoignèrent, pour le guider à travers les coursives, jusqu'à un speeder, qui s'éleva dans les airs et fila dans les couloirs aériens de la capitale. Le Padawan ne prenait même pas la peine de saisir l'occasion qui se présentait peut-être à lui de s'enfuir, quoique ses gardes, face à un Jedi qui ressemblait tant à un ange égaré dans le monde des vivants, ne se sentissent pas contraints à une très grande vigilance.

Mécaniquement, il se laissa traîner dans le dédale de la mairie, jusqu'au plus haut étage, à peine conscient qu'à mesure qu'ils progressaient, le luxe, discret, élégant, typique d'Ulrich, se faisait plus certain. Seule la voix — celle d'Ulrich — à nouveau — enfin ? — seule la voix qu'il connaissait bien le tira tout à fait de son état second. Une soudaine tension nerveuse parcourut ses muscles et son esprit et, quand les gardes sortirent, s'il n'avait certes pas retrouvé sa superbe, du moins avait-il reconquis un peu de sa vitalité.

Immédiatement signalée par une nouvelle quinte de toux. Certaines choses ne changeaient pas.

A l'invitation de s'asseoir, le Padawan répondit :

— Trop aimable...

Il avait tenté de donner à son ton l'air d'un mordant sarcasme, mais il n'était pas très doué d'ordinaire pour ce genre de piques verbales et, dans ces circonstances, il n'avait réussi à faire entendre qu'un peu de sa tristesse. Le jeune homme se laissa tomber sur l'une des chaises qui faisaient face au bureau d'Ulrich — que son regard examinait, qui examinait tout, sauf Ulrich.

Lui-même, étrangement, n'avait pas beaucoup changé. Il y avait fort à parier que les soins attentifs dont il était perpétuellement l'objet, la discipline ascétique qui régissait son existence et les méditations profondes dans lesquelles il se plongeait, toutes mesures nécessaires à sa survie, ralentissaient considérablement sa physiologie. Toujours était-il qu'à dix-neuf, il paraissait tout droit sorti des souvenirs d'Ulrich, des mois dans le passé.

— Tu as...

Sa main gauche se serra sur l'accoudoir du fauteuil — il s'interrompit — réprima une nouvelle quinte de toux. Les yeux perdus à travers la baie vitrée qui donnait sur la capitale illuminée dans la nuit, il reprit :

— Tu as des trafiquants de détergents sur ta planète. E2345, le détergent. Enfin, apparemment, tout le monde s'en fout, si j'ai bien compris, mais enfin, j'te l'dis quand même, parce que ça fait pas très sérieux, tous ces contrebandiers.

Les raisons authentiques qui l'amenaient sur Kuat, précisément parce qu'elles étaient d'un prosaïsme parfait, avaient quelque chose d'étrange, et il n'était pas besoin d'avoir été élevé dans la religion de la Force, obscure ou lumineuse, pour s'interroger sur la coïncidence. La voix d'Orme avait été un peu lointaine, parce que la violence de la situation le jetait loin du monde, dans une sorte de pas de côté un peu halluciné.

— C'est une chouette bureau. Ça vaut l'coup de... de...


Troisième quinte de toux, plus violente que les précédentes. Orme commençait à regretter de n'avoir pas touché à sa nutritive bouillie.
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Je hausse un sourcil. Ça paraît complètement improbable, mais c'est vrai. De tous les scénarios que je m'étais imaginé, aucun n'est vrai. Les premiers mots d'Orme sont absurdes. Il me parle comme si rien ne s'était passé. Comme si rien n'était jamais arrivé. Un pincement désagréable saisit mon coeur. Je me remémore ce garçon perdu dans ses pensées, qui agit d'une façon totalement imprévisible. C'est bien lui, il n'y a pas de doutes. Je me retrouve dans l'une des situations les plus étranges de ma vie, et lui, il me parle de détergeant.

Je ne pense pas que ce soit parfaitement inconscient. Après tout, il est impossible que je n'ai laissé aucune trace à Orme. Peut-être est-il devenu lâche. Un pauvre lâche qui n'affronte pas la situation, et préfère se cantonner à une conversation tellement normale qu'elle est burlesque, étant donné le contexte. Une sensation étrange me parcoure l'échine, comme pour m'interdire de penser ce qui vient de me traverser l'esprit. Comme pour me rappeler que je n'ai aucune leçon à lui donner en termes de courage.

Alors c'est ça, finalement, le lâche, c'est moi ? Non. Je ne suis pas un lâche. J'ai vaincu mes peurs, et je lutte désormais sur le terrain politique. J'ai su rallier à mes idéaux la capitale de Kuat. J'ai su le faire en employant un discours intègre et dur, mais malgré tout, j'ai acquis ce que je convoitais. Je sais aussi que la bataille ne fait que commencer, et que mes ambitions démesurées ne me laisseront pas éternellement à ce simple poste. J'aspire à beaucoup plus grand.

Ces idées nauséabondes, cette remise en question contre-productive que j'ai à son égard, je sais ne pas les avoir chassé. Je sais à quel point je me sens coupable quand je songe à lui. Mais j'ai toujours su enfermer ces sentiments dans la boîte de Pandore enterrée dans mon âme. Aujourd'hui, je sens ses parois plus fragiles, et son contenu, plus hostile que jamais. Elle ne doit pas céder. Surtout pas. Surtout pas ce soir.

Ayant rayé l'option de ma lâcheté, et par conséquent, la sienne, j'en viens à penser que sa façon de parler ne peut venir que d'une chose. Il se protège, tout comme je le fais, à son propre niveau. C'est plus facile pour moi. Je peux lui montrer ce que je suis devenu. Je peux lui montrer de l'indifférence. Lui, le fait à sa façon. Cela m'agace. Il n'emploie finalement pas le chemin de la facilité comme les pérégrinations de mon esprit me le laissaient à entendre. Il se couvre lui aussi d'une armure, pour mieux cacher ce qu'il ressent en cet instant présent. Car c'est obligé qu'il ressente quelque chose. Non...?

Après tout, peut-être ne ressent-il plus rien. Peut-être que la réponse est là. Peut-être exécute-t-il une mission au service de l'Ordre, et qu'après avoir appris à me haïr des mois, l'image d'Ulrich Andersen a fini par tomber en désuétude dans son esprit. Peut-être lui suis-je devenu indifférent.

De toutes les possibilités envisagées, la dernière est bien la pire. Je comprends à quel point, malgré mes idées de grandeur morale, un simple petit homme bouffi d'aigreur et de sentiments primaires. Je veux faire souffrir, sans souffrir moi-même. Mais voilà qu'Orme tousse. Il tousse, comme il a toujours toussé. N'est-il pas guéri ?

Je me souviens de ces crises qui nous plongeaient tous deux dans le malheur. Lui dans la souffrance physique, moi dans la souffrance de le voir souffrir, et lui, dans la souffrance de me voir souffrir de lui. Finalement, la réponse est bien là. Dans l'amour, dans la haine ou dans l'indifférence, ce monde est tapissé de souffrance. Le sang qui pulse dans les veines des hommes n'est rien d'autre que la plus infâme des souillures de l'univers. Se tirer mutuellement vers le bas. Toujours. Sans jamais en finir.

De quoi a-t-il besoin pour arrêter ? Je cherche dans les couloirs de ma mémoire ce qui parviendrait à le calmer. "Rien", me souffle une petite voix dans les tréfonds de mon âme. Mais ai-je vraiment envie de l'aider ? Le néant. Aucune voix pour me répondre. Je suis livré à moi-même.

-Arrête.

C'est tout ce que je trouve à dire. Sans doute pense-t-il que je lui impose le silence, et que je ne vais pas tarder à le mettre dehors. Ce que je veux, c'est tout simplement qu'il arrête de tousser. Je le connais. Je sais à quel point tousser lui est douloureux. Je sais à quel point sa santé est fragile.

-Arrête de tousser.

Je ne me rends qu'à moitié compte, fort heureusement, que j'affiche une moue d'enfant contrarié, et que l'autorité que j'affiche avec Orme est bien éloignée de celle dont je fais montre sur le terrain de l'ordre du publique. Cette sommation que je viens de lui faire. Ce n'est pas celle du maire de Kuat-City, mais bien celle du jeune homme qu'il a connu un an auparavant. Je ne sais pas quoi lui dire. Je suis quelqu'un qui ne se censure jamais, parce que je sais toujours à quel point j'ai raison face aux autres. Je sais défendre les idées en lesquelles je crois, et je me sens même capable de défendre celles en lesquelles je n'accorde aucune crédibilité. Cela dit, je n'en suis pas encore au point de défendre l'indéfendable. Je saurais expliquer à n'importe qui les raisons qui m'ont poussé à me détacher de lui. Mais je ne pourrais pas le faire face à lui. Non. Ce serait trop douloureux. Il m'amènerait de trop à me remettre en question. Trop. Trop. Ça toujours été trop, avec Orme. J'ai toujours été dans la démesure la plus excessive. Et cette fois, je préfère ne pas m'aventurer sur un terrain dangereux. Seulement, je suis tiraillé. Je me sens incapable de lui parler à cœur ouvert, et je me sens incapable de lui parler à cœur fermé. Le malaise me gagne. Au moins, lui, a eu le courage de parler en premier, même pour dire des absurdités.

-C'est affreux. Je sais pas quoi te dire.

Je lui tends l'outil qui l'incitera à me faire sortir de ma lâcheté. Ou bien... celui qui m'enfoncera plus profondément encore dans ce sentiment de faiblesse, s'il réagit en pensant que je parle de sa toux. Ou bien du détergeant. J'espère, sans espérer, un peu de lucidité de sa part, inhabituelle, il faut bien le dire.
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Non, Orme n'était pas guéri. Son existence avait du reste quelque chose d'un peu paradoxal — il était à contre-emploi des préceptes jedis, en bien des manières. La vérité, c'était que dix-neuf ans constituait déjà, pour lui, un âge extraordinairement avancé, et que sans les midichloriens qui abondaient dans ses veines, sans les enseignements du Temple, il n'eût pas dépassé l'enfance. Suivre la Force, pour lui, était-ce donc accepté que son corps avait été dès les premières minutes inadapté au monde, ou au contraire se plonger dans cette énergie vitale inaccessible au commun des mortels pour grappiller toujours un peu plus de temps ?

Ce qui était sûr, dans cette lutte paradoxale, c'était que la guérison était hors de question. Les Soigneurs, du reste, ne lui en avaient jamais donné la moindre illusion. Personne ne s'était risqué à calculer son espérance de vie, tant elle dépendait des progrès hasardeux qu'il ferait dans la maîtrise de la Force, et personne n'avait eu l'idée absurde de lui affirmer qu'un jour, les techniques médicales, jedis ou traditionnelles, le tireraient définitivement d'affaires — c'eût été affirmer, en quelque manière, que l'on pourrait ressusciter les morts.

Il y avait une chose dont Orme ne s'était jamais rendu compte cependant, c'était que les aléas de sa maladie dépendaient étroitement de son état d'esprit. Comme tous les Padawans, il avait grandi dans une relative indifférence sentimentale et il lui avait fallu attendre Ulrich pour sentir dans son âme autre chose que la quiétude conquise par la méditation — pour se sentir alternativement vivant et agonisant, littéralement et métaphoriquement. Dans ce bureau, sur Kuat, sa maladie elle-même était devenue le symptôme de quelque chose d'autre, le signe que son avertissement sur les détergents ou que ses commentaires avortés sur la décoration intérieure n'étaient qu'un vernis craquelé.

Ainsi la voix d'Ulrich mit-elle presque aussitôt un terme à l'accès de toux. Orme se figea, le regard posé sur son ancien amant, le coeur suspendu entre deux battements. Pour la première fois depuis des mois, son esprit était entièrement détaché du passé et seul avait compté cet intérêt, brutal, maladroit, mais cet intérêt sincère, du moins le croyait-il, manifesté par Ulrich à son endroit. Ce n'était pas son scénario de conte de fées, mais précisément, cela lui en paraissait plus réel, parce que plus douloureux et compliqué.

Il ne savait pas quoi dire ? Orme, lui, avait préparé bien des discours, en imaginant de semblables retrouvailles. Mais il avait été bien plus éloquent, le soir, dans sa chambre au Temple, au milieu de ses larmes d'adolescent délaissé, bien plus vindicatif, qu'il ne l'était désormais en face d'Ulrich. Lui non plus ne savait plus quoi dire. Plus quoi penser. Il se sentait idiot — comme d'habitude — et désemparé. Tout doucement, d'une voix qui n'était plus celle de la fausse désinvolture, il murmura :

— C'est vrai, mon histoire de détergents, tu sais. J'veux dire...

Ses yeux ne se détachaient plus d'Ulrich désormais, comme désireux d'envelopper le nouveau maire de Kuat de leur profondeur noir.

— J'suis pas venu ici exprès. Et certainement pas pour te faire du mal. Et j'ai jamais... Jamais eu envie. De te faire du mal.

Cette confession était l'une des manifestations inattendues de cette vérité qui échappait à bien des supérieurs hiérarchiques d'Orme, toujours préoccupés par les possibles déviances de l'atypique Padawan : qu'Orme Aryssie vivait du Côté Lumineux, intuitivement, sans effort, que c'était l'expression la plus naturelle de son être, malgré ses turbulences, ses détours, ses angoisses et ses complexités. Même humilié et abandonné, il n'avait songé qu'à faire des reproches, mais jamais, réellement, sincèrement, à exercer une brutale vengeance.

— J'sais pas... J'suis peut-être juste... Trop faible. Ou trop stupide. J'suis probablement censé vouloir t'ouvrir en deux pour m'avoir abandonné comme un jouet cassé ou pas assez intéressant. Pour avoir souligné à loisir combien l'Ordre auquel j'appartenais et donc moi-même était un ramassis de dégénérés.

Bon, il avait malgré tout quelques reproches à faire et tout lumineux qu'il fût, il ne pouvait prendre la parole aussi sincèrement sans laisser son coeur déverser une partie de sa douleur. De toute évidence, non seulement il n'était pas guéri, mais il n'avait toujours pas appris ses leçons de diplomatie que ses Maîtres avaient pourtant si à coeur de lui enseigner. Fidèle à lui-même, il s'exprimait avec la vivacité de son accent coruscantien et de ses comparaisons plus ou moins inattendues — et, lui qui avait toujours vécu à l'égard des règles, trouvait sans doute plus aisé qu'Ulrich d'entamer cette conversation hors de tout précédent.

— Tu vois, j'suis tellement, tellement bête, que la moitié du temps, j'm'imaginais plus tôt que t'allais sortir d'où ne sait où, et me dire que tout cela n'était qu'une comédie, que tu attendais juste d'être en sécurité, pour revenir me chercher... Tu sais, j'm'imaginais que t'allais poser tes mains en bas de mon dos, que t'allais m'attirer vers toi, et m'embrasser, et voilà.

Il détourna finalement les yeux et conclut avec un sourire amer :

— En fait, t'as fait d'moi une demoiselle en détresse. J'espère que tu fais pas le même effet à tes administrés, parce que sinon, elle est mal partie, la renaissance nationale...


On avait certes connu des demoiselles en détresse moins combattives et plus inoffensives.
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Spoiler:

J'aurais sans doute préféré le voir s'énerver. Il ne sort pas de ses gonds. Il est parfaitement calme, assis en face de moi. Et je ne peux pas m'emporter. Non. Je ne peux pas m'emporter sous prétexte de me faire gueuler dessus. Il ne fait que m'asséner les réalités, toutes plus dures les unes que les autres, de notre histoire commune. Je lutte pour ne pas baisser les yeux. Je bataille pour ne pas me faire submerger par les marées sombres du remord.

-Orme...

Je prononce son prénom pour la première fois, depuis ce qui me semble être une éternité. La situation est affreuse. Cette barrière invisible qui nous sépare... A-t-elle seulement lieu d'exister ?

-La vie est faite de choix.

J'entreprends de me lever, et je tourne le dos à mon hôte. Les mains dans le dos, je projette mon regard au travers de la fenêtre. Dans la nuit noire, les véhicules circulent les uns après les autres. J'ai la sensation d'avoir déjà vécu ce moment... Si seulement cela pouvait être le cas. Au moins, je saurais comment me tirer d'affaire.

-Elle est faite de choix difficiles.

Alors, c'est tout ? C'est ça, l'éloquence d'Ulrich Andersen ? Je me fais insulter dans mon bureau, et je rétorque comme un faible, en semi-justification ? Confronté à Orme, je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Toute ma dextérité dialectique me quitte. Ma verve se réfugie dans les abîmes. Il m'attaque sur des sujets sensibles. Il m'attaque sur un terrain pour lequel je sais ne pas pouvoir en réchapper la tête haute. La bataille est perdue d'avance. Le goût amère de la défaite se fait déjà sentir.

-Ça n'a pas été facile non plus pour moi, au début. Mais je crois déjà te l'avoir dit. Je ne suis pas de ceux qui vivent dans le regret. Me séparer de toi a été une violence difficile. Mais nécessaire.

Je prends une inspiration, dépose ma paume sur la vitre, et me retourne vers le padawan.

-Ça n'aurait pas pu continuer ainsi. Dieu sait que je trouvais mon compte dans cette relation. Toi et moi, on sait qu'à tous ces moments passés... On ne s'est pas mentis. On ne s'est jamais menti.

C'en est trop. Mes yeux tombent au niveau de mon bureau, incapables d'affronter le visage de l'ange.

-Mais je n'avançais pas. Je n'aurais jamais pu avancer. Quand je me retrouvais seul, je tournais en rond comme un crétin. Je n'attendais que ton retour. J'étais devenu une pauvre petite chose dépendante. Et cette fois-là... Quand tu as eu cette mission, qui s'est éternisée. Je me suis résolu à me prendre en mains. Toi, tu avançais. Moi, je stagnais. Il fallait faire quelque chose. Il fallait que je trouve le remède. En fait...

Je déglutis péniblement.

-Non. Je ne pouvais pas me résoudre à vivre à travers toi. Alors, il a fallu que je me prouve à moi-même que j'étais encore capable de quelque chose. Que ma vie n'était pas derrière moi. Que je n'étais pas ce pauvre garçon à qui tout était arrivé en l'espace d'un mois, et après, plus rien. J'avais besoin de m'endurcir. De devenir fort. Et à ton contact... Avec toi... Bon sang, regarde-moi. Dès que tu es là, je ne suis plus capable de rien. De rien d'autre que... Que de balbutier, baisser les yeux ou... ou...

Je soupire.

-C'est vrai. Ensemble, nous sommes forts. Nous l'étions. Sans toi, je n'étais rien. Mais à quoi bon nous unir... Cette force, cette symbiose que nous avions, ce n'est qu'une chimère. Un rêve d'enfant. Tout simplement parce que nous ne menons pas le même combat.
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Orme ne s'énervait pas — tout du moins n'entrait-il jamais dans des rages brutales et irréfléchies. Son tempérament était celui de la tristesse mélancolie et tout le feu de son caractère était réservé à l'action, aux moments d'intense existence, alors que ce désastre sentimental le laissait au contraire désemparé. Il n'y avait rien, rien à quoi se raccrocher, rien pour se hisser hors du gouffre, aucune branche pour combattre le courant, et c'était comme compléter sa propre et inéluctable mort.

Pourtant, le discours d'Ulrich parvint presque à susciter chez lui une brutale expression de colère. Orme observait son ancien compagnon avec un visage sidéré, comme s'il ne parvenait pas à concevoir que de pareilles paroles pussent franchir ses lèvres. Le Padawan eût compris, sans accepter, un discours sur le pouvoir, ou sur la société, un de ces discours politiques qu'il connaissait à Ulrich, il eût compris la bravade, mais la sorte de résignation que son interlocuteur lui proposait lui paraissait tout simplement inconcevable.

Le Coruscantien répéta à voix basse, comme pour lui-même :


— ...une chimère...

Puis, brutalement, ses yeux noirs se relevèrent vers Ulrich.

— Non mais ça va pas ? La vie est faite de choix. Super. Si j'veux un cours sur la résignation et le détachement, merci bien, j'ai ça au Temple à longueur de journée. Tu peux m'dire que tu m'as jeté parce que j't'intéressais pas assez, que tu perdais ton temps avec moi ou j'sais pas, mais m'accuser de t'avoir retenu et empêcher de faire c'que tu voulais, c'est injuste. C'est moi qui t'ai sorti de ta tanière sur Coruscant, j'te rappelle. Moi qui t'ai dit de te battre. J't'ai jamais demandé de rester à la maison pour préparer le repas du soir.

Choisir c'est pas difficile. C'est pourri comme principe. Choisir, c'est la voie de la facilité. C'est aller vers le moins et le plus simple. C'est tenir les choses ensemble qui est difficile. Me parler, ça c'était difficile. Réfléchir avec moi à notre avenir, ça c'était difficile. Décréter dans ton coin que c'était incompatible sans me demander mon avis, c'était facile. Faire de la politique, te réfugier dans ton personnage, c'était facile.

Moi, j'suis difficile. Parce que j'rentre pas dans le tableau. Parce que j'suis un Jedi, parce que j'suis pauvre, parce que j'suis un idéaliste, un ermite, un ascète. Parce que j'suis tout le contraire de toi, le contraire de tes qualités, le contraire de tes défauts et qu'on a exactement rien de semblable. T'as fui ce qui était difficile, mais essaye pas d'me faire croire que c'était par courage. J'suis pas un de tes électeurs, t'as rien à m'vendre.


Orme s'était levé en parlant, incapable de rester sagement assis et il s'était rapproché d'Ulrich. Près de son ancien amant, il reprit, mais d'une voix plus calme, dans un murmure presque doux :


— Et me parle pas de chimère. Je sens ton coeur qui joue au chasseur de combat dans ton torse depuis que je suis arrivé. Je peux pas te regarder sans avoir envie à la fois de t'étriper et de t'embrasser. C'est pas chimérique, ça. Improbable, compliqué, grotesque, même, peut-être. Mais pas chimérique. J'suis bien placé pour savoir... Pour savoir qu'il y a des choses qui paraissent ne pas devoir exister et qui existent quand même. Alors, bien sûr, elles toussent, elles crachent le sang, elles ont besoin de soins constants. Mais enfin, elles existent.

Si je suis vraiment une chimère, c'est pas compliqué, Ulrich...


D'un geste de la main, l'adolescent désigna le bureau et ses communicateurs.


— Tu dis quelques mots, ils viennent me chercher, on me torture un peu, on me fait disparaître. Personne sait qu'je suis sur Kuat, en plus. C'est un choix facile à faire. Et ce sera bon pour montrer ta détermination...

De toute évidence, si Orme n'avait pas changé de visage en quelques mois, il avait acquis une détermination nouvelle, une détermination dont il ne s'était pas aperçu lui-même, couvée, cachée sous la douleur et un abandon de façade, mais qui plongeait dans les profondeurs de son être, dans sa spécificité : exister pour contredire la nécessité du monde.
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Comme un roi promis à un destin funeste, je suis assis sur mon siège face à Orme, l'opposant qui hurle une vérité que je ne peux contredire. Je ne sais que faire face à cet ouragan.

-Arrête... J't'en prie...

Ma main ébouriffe mes cheveux à plusieurs reprises et mon regard se prosterne aux pieds du padawan. Il continue son discours. Un discours qui m'agresse, car je me sais désarmé face à ses arguments. Je suis une proie. Bien plus vulnérable que d'aucun le croient, lorsque l'on s'attaque directement à mes faiblesses. Je saisis la parole à sa grotesque conclusion.

-Te torturer ? Bon sang, tu dis n'importe quoi. Garde les pieds sur terre !

Mon poing se serre et je me lève à mon tour de mon bureau.

-Ça te plairait hein ? Ça te plairait que je t'expédie hors d'ici avec fracas. Ça te fournirait l'ultime preuve à tes convictions que je suis devenu tout ce que tu rejettes. Tu serais heureux de me voir personne, parce qu'enfin, tu pourrais te dire que tout est fini. Qu'il n'y a plus aucun doute à avoir. Ça te conforterait de savoir que je me retire dans un monde que tu hais. Je serais devenu un individualiste fini, et tout serait fini. Ah oui, ça, tu en crèves d'envie.

Ma main vole violemment en arrière et percute le dossier de la chaise. Elle s'écrase contre le sol dans un bruit mat.

-Eh bien non, Orme. Je ne suis pas une ordure. Je suis exactement le même qu'avant. On a toujours eu du mal à se comprendre. Alors ce soir, rebelote. On va en chier, mais on va rester. Parce que tu sais très bien qu'aucun d'entre nous ne veut quitter cette pièce, au fond. Putain mais ça rimerait à quoi !? Et qu'est-ce que tu fous là, toi, d'abord ? Qu'est-ce que tu fous ici ? Tu pouvais pas atterrir ailleurs ? Tu viens me pourrir ma soirée avec ces conneries. Tu viens semer le doute dans quelque chose que je croyais réglé.

Je sors de mes gonds. Je ne peux plus me contenir. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, à ce qu'on dit. Eh bien je crois qu'à cet instant, la mélancolie et la douleur profonde exultent en colère.

-Mais à quoi ça rime tout ça... À quoi ça rime... La galaxie est pas assez grande pour que tu te perdes ailleurs ? Je croyais t'avoir mis derrière moi. Je croyais que c'était fini, tout ça. Qu'est-ce que t'es allé foutre chez moi ? Allez... Je peux pas le croire. Tu m'emmerdes d'être ici, tu m'emmerdes de tout foutre en l'air. Tout fout le camp. Tout fout le camp...

Oui. Tout fout le camp dans ma tête. Je suis baissé, accoudé à ma table, le visage enfoui dans ma main. Je hoche la tête dans des petits signes de protestation, accablé par ce destin. Et, après la tempête, j'élève une petite voix, presque blessée, érayée par quelques tremblements aigus..

-J'suis trop attachée à toi... C'est ça la putain de réalité.

J'ai la sensation que tout le sel de l'océan se forme dans mes orbites. Je ne peux retenir l'infâme brûlure. Je sens glisser entre mes doigts tremblants un filet aqueux, réceptacle de tout mon désarroi. Je me redresse, les mains posées sur mon bureau, les yeux rougis braqués sur Orme. La pâleur de mes iris se noie dans ces marées convulsives de chagrin.

-Je t'avais prévenu que je savais pas quoi te dire. Toi, tu crois que je me suis complus dans cette posture. Mais ça a pas été aussi facile que tu le prétends. J'ai besoin de toi. Et je pensais à toi... Tout le temps... Je me demandais si j'avais fait le bon choix. Je sais que si j'étais resté avec toi, rien de tout ça n'aurait été possible. Ici, j'ai tout conquis. Les idées... les moeurs... même la princesse. La petite merde violentée dans une prison de Hapès que tu as connu il y a un an a obtenu le soutien de la représentante de la monarchie de Kuat. Cette même personne a bataillé. Et combien de fois, elle s'est imaginée à tes côtés... Dans un monde paisible... Mais elle chassait ses souvenirs, et regagnait bien vite la réalité. Cette réalité qui veut qu'avec toi, elle n'aurait rien pu faire. Elle ne t'en veut de rien, cette personne. Elle sait tout simplement qu'à tes côtés, elle se laisse aller, elle perd toute combativité, toute agressivité, elle perd les seuls attributs qui payent dans ce monde. Toute rage de vaincre. Toute motivation. Elle se laisse bercer dans un doux rêve qui n'en finit pas. Mais au final, est-ce que c'est ça que j'attends de ma vie ? C'est passer des années à tes côtés, et ne pas me battre pour mes idéaux ? Je suis né pour faire changer les choses. Il y a des gens qui naissent pour les subir. Je ne suis pas de ceux-là. Il y a des gens qui ont besoin de moi. Qui ont besoin de croire en un nouvel espoir, et d'oeuvrer pour un monde nouveau. On fait tous des éloges sur l'amour. Mais est-ce que ce n'est pas ça, au fond ? Une conquête purement individualiste ? Il n'y a rien de plus égoïste que de combattre pour l'amour. Y succomber, c'est ne faire aucun sacrifice de sa personne. C'est oublier toutes les priorités au bien-être commun. C'est vivre heureux, un peu pour l'autre, beaucoup pour soi. Et ça s'arrête là.
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Torturer, torturer : Orme allait un peu vite en besogne, c'était certain. Mais les besoins de la vivacité rhétorique, la nécessité de souligner avec véhémence la force de son propos, tout cela excusait bien quelques figures de style un peu vives. Du reste, le Padawan n'était pas entièrement certain d'errer très loin de la vérité. Il se souvenait fort bien de l'Obscurité ressentie chez Ulrich des mois plus tôt déjà et il n'osait même imaginer le chemin parcouru depuis par son ancien amant sur cette route dangereuse, ce qu'il avait sacrifié, jour après jour, de lui, de leur existence commune, dans sa quête d'une autre réalisation.

Orme se tut néanmoins, puisqu'on lui en intimait l'ordre, et il s'assit sur le bord du bureau, à côté d'Ulrich, peu désireux de conserver sa position d'invite docile ou de suspect interrogé, de l'autre côté du meuble. Naturellement, les répliques lui brûlaient les lèvres et il avait envie de demander à Ulrich comment il était possible de garder les pieds sur terre quand il venait de le laisser croupir pendant des heures en prison. Par exemple. La liste des détails qui rendaient leur situation irréaliste était assez longue pour que le Padawan se crût fonder à douter des impressions les plus légitimes et des principes les plus fondamentaux.

La suite du discours lui coupa l'envie de parler. Il se rendait compte du fossé d'incompréhension qui le séparait d'Ulrich. Que son ancien ami pût supposer qu'il lui plaisait de voir en lui une ordure, qu'il pût même croire qu'il vît en lui une ordure, qu'il pût lui prêter des sentiments si simplement mesquins, dépassait tout à fait le Padawan. Orme se connaissait de multiples défauts, il s'en attribuait même beaucoup qu'il ne possédait en aucune manière, mais la haine, le mépris ou la colère insidieuse ne faisaient certes pas partie des nuances de ses émotions.

Mais du long discours par lequel Ulrich tentait de le convaincre que leur relation était une pauvre chose sans valeur au regard de ses grandes ambitions politiques, à moins que le maire tentât d'abord de se convaincre lui-même, Orme, malgré l'exception qu'ils incarnaient, malgré le bureau qui dominait la ville, la guerre souterraine dans la galaxie, son sabre laser qui attendait quelque part et des années d'entraînement jedi, Orme eut finalement une réaction tout à fait primaire, tout à fait adolescente et tout à fait normale.

D'une voix fort contrariée, il répéta :

— T'as conquis la princesse ?


Puis il foudroya Ulrich du regard — un vrai regard noir, lavé de toute la frustration des mois de séparation, purgé de la complexité de leur situation, de la politique, de l'équilibre de la Force, des Destins, des combats, des secrets, des manoeuvres, de la mystique, juste un regard jaloux et un brin possessif.

— Bah c'est bien. J'espère qu'elle est jolie au moins.

Orme retrouvait l'une de ses grandes spécialités : les déclarations d'affection par des voies très détournées. Avec une mine vexée qui sapait un peu l'intensité de leur précédent affrontement, Orme poursuivit son hommage involontaire, contrariée mais vibrant aux sentiments qui l'unissaient à Ulrich.

— Faut dire, princesse, ça en jette. J'veux dire, elle, elle mange pas des sandwichs, j'parie. Puis elle sait quoi faire quand elle va à l'opéra. Et elle s'habille pas n'importe comment. T'as raison, c'mieux qu'un prolo' de Coruscant.


Orme, qui avait fait des efforts considérables pour oublier, ces derniers mois, toute espèce d'information relative à la politique kuatienne, s'imaginait donc une princesse de récit holonet, avec une grande robe scintillante, qui se promenait à pas lents dans son manoir avec des airs évanescents et posait une main légère et presque translucide sur l'épaule d'Ulrich, le soir venu, pour lui dire avec de longs discours et des formules controuvées que le dîner était servi. Une pimbêche, en somme.

La pimbêche avait le mérite de simplifier le problème et d'amener Orme à une conclusion à moitié stupide, à moitié perspicace :

— En fait, c'est juste que tu m'trouves pas assez bien pour toi. Si t'avais pensé que j'servais à quelque chose, on aurait discuté de tous ces trucs et tu te serais pas barré comme un voleur, sans chercher à trouver des solutions avec moi. Mais t'as juste décidé qu'avec moi, c'était bon qu'à courir dans les champs d'fleurs plutôt qu'à vivre dans la vraie vie. C'est bien. J'vois qu'j'suis facile à cataloguer. En même temps, c'pas comme si j'avais pas l'habitude.
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