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Les mains croisées dans le dos, et l’air pensif, Litale marchait à pas lents dans les couloirs du centre médical. C’était pour lui, chacun le savait, une manière de réfléchir à quelque problème un peu pressant et c’était pour les autres, mais il l’ignorait, une espèce de torture insoutenable. En tout cas, les Guérisseurs, et particulièrement les plus jeunes, quand le Maître passait et repassait près des lits, des salles d’apothicaire ou des enclaves de lecture, se sentaient mis à l’épreuve, car il était après tout toujours possible que, sortant de ses réflexions, le Maître relevât la tête et posât un regard critique sur ce que l’on faisait.

Il fallait dire que nulle part ailleurs que dans le centre médical la réputation de Litale n’était mieux assise : il y avait passé de longues années, dès son accession au grade de Chevalier, et une partie non négligeable des remèdes ou des techniques que l’on employait maintenant, il l’avait inventée, ou perfectionné, ou simplement importée — mais même ces importations, venues des quatre coins de la Galaxie, et qui faisaient du Temple d’Ondéron un conservatoire des sagesses curatives les plus diverses, n’avaient de simplicité que l’apparence, que c’était à des dangers considérables que le Maître s’était parfois affronté pour mettre la main sur telle ou telle plante, telle ou telle recette cachée.

Bien sûr, certains Chevaliers moins informés de la manière dont les Guérisseurs constituaient leur savoir étaient parfois un peu surpris, quand, en poussant les portes du centre médical ou, dans le pire des cas, en les faisant pousser par d’autres, plus valides, devant eux, il y découvrait un jeune homme qui avait à première vue l’âge d’être un Padawan en fin de formation et vers lequel pourtant les Guérisseurs tournaient de temps à autre des regards interrogateurs, devant les blessures les plus compliquées.

D’ailleurs, Litale s’arrêta brusquement, releva les yeux, et la Guérisseuse en formation sur laquelle venait de se poser ce regard verdoyant sembla se ratatiner un peu.

— Ce n’est pas comme ça ?

Litale haussa les épaules.

— Je ne sais pas. Essayez toujours.
— Oui, euh, enfin…

Celui qui venait de parler d’un air mal assuré, c’était un Padawan à la jambe cassée, cassée en trois endroits différents, autant que Litale pouvait en juger, un Padawan qui n’avait pas spécialement envie de servir de cobaye à l’apprentissage d’une jeune femme qui n’avait pas l’air très sûre d’elle. « Essayez toujours », c’était quand même facile à dire qu’on n’était pas celui qui risquait de boiter toute sa vie.

— Vous souffrez, jeune Padawan ?
— Sans blague.

La Guérisseuse poussa le Padawan du coude et souffla :

— C’est Maître Ond.

Le Padawan ouvrit des yeux ronds. Maître Ond, il en avait entendu parler et, honnêtement, à la description du Sage Jedi maître botaniste et guérisseur, il s’était attendu surtout à un vieux barbu. Pas à… Boucle d’Or. Il se reprit bien vite et répondit beaucoup plus respectueusement :

— Ça fait mal, oui.
— Parfait.

Il n’avait pas l’air de trouver cela parfait, lui. Litale lui adressa un sourire compréhensif.

— Si votre jambe était morte, vous ne souffririez pas. La souffrance est une manifestation de la Force. La manifestation d'une rupture, certes, mais une manifestation cependant. Préféreriez-vous ne pas souffrir et ne pas être vivant ? Certes non.
— Je préférerais être vivant et ne pas souffrir.
— C’est le cas, si vous prenez les choses dans leur ensemble : votre vie n’a pas qu’un temps.

Le Padawan essaya de donner l’impression qu’il avait parfaitement compris. Ce qui ne l’empêcha pas de demander :

— Mais elle va me soigner, quand même ?
— Bien sûr.
— Si la souffrance est importante, pourquoi est-ce qu’elle me soigne ?
— La pluie est importante sur Ondéron pour faire pousser la végétation. Mais si il pleuvait tout le temps, les plantes pourriraient, n’est-ce pas ?
— Euh… Oui.
— Alors voilà.

Un nouveau sourire et Litale sentit s’approcher d’eux une présence familière. La Guérisseuse, elle, se sentait surtout perdue.

— Mais ça veut dire que je peux lui faire mal et que ce n’est pas grave, tant qu’à la fin je trouve la bonne manière de faire ?
— Ah non, c’est pas ça que ça veut dire !

Le Padawan tourna un regard suppliant vers Litale.

— Pas vrai, Maître, que c’est pas ça que vous vouliez dire ?

La silhouette bleutée de Maître Berryl se dessina enfin à côté d’eux. Lui, on n’avait aucun mal à croire qu’il était celui qu’il était.

— Bonjour, Maître.
— Bonjour, Maître.

Litale tourna le regard vers Pendragon et lui adressa un sourire.

— La Guérisseuse Jel’kil ici présente demande si elle peut torturer un Padawan pour les besoins de son apprentissage.
— Mais pas du tout !
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Les mains jointes sous ses amples manches, Berryl parcourait le centre médical avec grand intérêt. Il était après tout lui-même guérisseur sur les bords - à un moindre niveau, certes - et voyait comme une évidence de se tenir au courant des dernières avancées médicales. Il serait stupide, par exemple, de continuer à utiliser cette panacée qu'était le kolto si l'on en trouvait un succédané plus puissant sous prétexte que l'on en ignorait l'existence. Enfin, l'exemple ne tenait pas, comment trouver meilleur qu'une panacée qui était par définition meilleure que n'importe quel traitement ou médicament ? Peut-être en la synthétisant, ce qui éliminerait le problème des réserves réduites du médicament miracle...

Et puis, c'était toujours agréable de voir des padawans et de jeunes chevaliers se dédier à soigner les autres. Du point de vue du Corellien, tout Jedi prenant une autre voie que celle du sabre était une petite victoire en soi.
Mais bon, encore une fois, un sabre était malheureusement bien pratique lorsqu'on partait aux confins de l'univers connu chercher telle plante aux vertus potentiellement curatives. Pour découper ladite plante ou éclairer le chemin, notamment.

Dire que le Jedi était connu dans le Centre serait loin de la vérité. Il n'était guère plus qu'un visiteur régulier que certains guérisseurs reconnaissaient de temps à autres - même un maître a parfois besoin de soins et il y en avait toujours un ou deux en train de se faire rafistoler après une mission ou une réunion mouvementée. Un jeune consulaire était d'ailleurs allongé sur un lit, un bandage sur la tête ; pas le meilleur souvenir à rapporter d'une première mission diplomatique.

Plus loin, le Corellien pressentait la présence d'un guérisseur qu'il commençait à connaître. Et, comme par hasard, au milieu de ce qui semblait être une discussion agitée concernant des soins. Comme c'était étonnant.
Souriant d'amusement devant la scène, le Jedi s'inclina tour-à-tour devant chacun.

"Maître Ond, guérisseuse, padawan, ravi de vous rencontrer."

Maître Ond. Le plus âgé des padawans - ou le plus jeune des maîtres, selon le point de vue. Il s'agissait essentiellement de jeunesse extérieure, car à l'intérieur l'apparent jeune homme en aurait remontré à nombre de chevaliers. Jeune ou pas, c'était un maître après tout. Un titre qu'un Jedi pouvait ne jamais atteindre de sa vie...

"La Guérisseuse Jel’kil ici présente demande si elle peut torturer un Padawan pour les besoins de son apprentissage.
-Mais pas du tout !"

Berryl haussa un sourcil de surprise. Proposition sérieuse ou boutade pince-sans-rire ? Le maître ne connaissait pas encore assez son confrère pour en juger. Mais tout de même, ce serait cynique de la part d'un guérisseur. Il semblait cependant au Corellien que maître Ond excellait dans l'apprentissage par l'essai bien plus que par l'exemple. Une méthode qui avait ses mérites, notamment celle de responsabiliser l'apprenti en le confrontant aux conséquences de ses actes. Et cela, il ne pouvait que l'applaudir.

"Ma foi, je mets personnellement la torture au même niveau que l'esclavagisme : inutile et déshumanisante autant pour la victime que pour le bourreau." fit le Corellien en se frottant le menton. Mais comme l'incorrigible facétieux qu'il était, il ajouta avec un grand sourire au padawan : "Toutefois, mon jeune ami, j'ose espérer que vous comprenez la nécessité de subir une petite douleur maintenant sous les soins hésitants de notre guérisseuse ici présente, afin qu'elle s'améliore et vous en épargne une plus grande lorsque vous souffrirez vraiment..."

Le Jedi observa la jambe du pauvre padawan à travers la Force, et grimaça. Fracture, sans doute multiple à en juger par les pulsions de douleur que les nerfs envoyaient le long de la jambe.

"... ce qui semble être le cas maintenant. Mademoiselle Jel'kil, je ne saurai trop vous conseiller de vous mettre à l’œuvre pour soulager ce pauvre hère de la façon qui vous semblera la meilleure." lança-t-il en se tournant vers l'apprentie guérisseuse. "Si cela peut vous rassurer, je pense que même lui couper la jambe serait une amélioration par rapport à son état actuel. Donc n'hésitez pas et faites au mieux de vos capacités. N'oubliez pas que le patient compte sur vous pour le rétablir, vous devez toujours avoir son bien-être en objectif principal."

Le Corellien hocha la tête en souriant d'un air rassurant à la guérisseuse, haussa un sourcil interrogatif, puis leva l'index.

"Pour éviter tout malentendu, je ne préconise pas de couper la jambe de ce pauvre padawan, bien entendu. C'était un exemple. Inutile de lorgner sur la vibroscie."

Remettant à nouveau ses mains dans ses manches avec son habituel sourire, Berryl se plaça près de son confrère pour laisser toute latitude à la guérisseuse d'officier. Il fallait bien laisser les jeunes travailler un peu, après tout.

"J'ose espérer que je n'ai pas trop interféré dans votre leçon, maître, après tout je suis un simple consulaire et non un guérisseur expérimenté. Est-ce votre padawan ? Ou bien faites-vous simplement profiter de votre expérience ?"
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Après sa toute récente accession au grade de Maître, Litale en était encore à sonder les bonnes ou mauvaises volontés de ses confrères et consoeurs du même range. Sans surprise, il avait jusque là constater que sa récente promotion ne faisait pas que des heureux : trop jeune, au goût de nombre de maîtres expérimentés qui avaient dû attendre bien des années avant de se voir décerner cet honneur, trop hétérodoxe, aux yeux de certains, les mêmes et d’autres, qui ne voyaient pas particulièrement l’Ordre Jedi comme un instrument de révolution sociale.

Dans ce paysage que l’esprit politique de Litale dessinait petit à petit, il n’était pas encore certain de l’endroit où situer Maître Berryl. S’il avait bien compris, ils partageaient beaucoup : deux consulaires, deux adeptes des méthodes peu sabreuses, deux personnalités atypiques. Mais Litale se méfiait quelque peu des rumeurs : il connaissait assez celles qui couraient sur son compte pour se laisser aller à croire celles qui décrivaient d’autres. Alors, pour l’heure, il retardait son jugement.

Mais le discours posément provocateur de son confrère, qui achevait de plonger l’infortuné Padawan et sa Guérisseuse dans la perplexité, le fit sourire et, quand Pendragon se retourna vers lui, Litale secoua la tête et murmura :

— Pas mon Padawan, non. Depuis qu’Aria est devenue Chevalier, je n’en ai pas repris.

Ce n’était qu’une question de temps et, de toute façon, comme de nombreux maîtres à l’égard de leurs anciens protégés, comme le sien pour lui-même d’ailleurs, Litale continuait à suivre d’un œil attentif, quoique plus lointain désormais, les aventures de la jeune femme.

— Profiter de mon expérience, c’est peut-être beaucoup dire.

Après avoir pris une profonde inspiration, la Guérisseuse avait replacé ses mains au-dessus de la jambe du Padawan, qui n’avait décidément pas l’air rassuré du tout, et une pâle luminescence commença à envelopper le membre blessé.

— Je ne suis pas sûr que la leçon du jour ait été bien enregistrée, cela dit.

Pourtant, après avoir calmé la douleur, la Guérisseuse, manifestement plus sûre d’elle désormais, commençait les soins avec des gestes précis et efficaces et le Padawan, de son côté, se détendait petit à petit. C’était qu’il avait bien cru, pendant un instant, ne plus jamais pouvoir tenter ce fameux mouvement bondissant au sabre, qu’il avait vu exécuté par l’un de ses camarades et qui, définitivement, était d’une élégance à faire pâlir d’envie tous les autres.

Litale les fixa encore un instant, avant de préciser ce qu’avait été, selon lui, le contenu fondamental de la leçon :

— L’humour dans l’adversité.

Bien sûr, il avait été question de beaucoup d’autres choses : de la place des émotions négatives dans la vie d’un Jedi, de la nécessité de prendre des initiatives même quand l’on manquait de règles et de la complexité parfois peu réjouissante de la Force. Mais Litale préférait généralement souligner les petites choses incidentes que les grands concepts : parler de pluie plutôt que de mystique et d’humour plutôt que de grands enseignements. Au moins au début.

Il fit un geste vers le couloir qui continuait jusqu’à une vaste terrasse dominant une partie de la jungle et où certains patients venaient parfois méditer, lorsqu’ils avaient besoin de plus de temps pour se rétablir.

— Mais je vous remercie de votre salutaire intervention. Vous m’accompagnez ?

Les deux Maîtres se détournèrent de leurs cadets pour reprendre leur marche dans le Centre Médical.

— Vous venez ici, parfois, m’a-t-on dit. C’est tout à votre honneur.

En quelques pas, ils étaient déjà sur la terrasse. Litale plissa un instant les yeux, sous le soleil soudain, pour les lever vers le ciel. On devinait vaguement un peu de la silhouette de Dxun, effacée dans le ciel. Litale connaissait bien la lune d’Ondéron, avec sa flore et sa faune… intéressantes. Il baissa à nouveau le regard vers son interlocuteur et sourit.

— Beaucoup de Jedis préfèrent les salles d’armes que le centre médical. Je suppose que les soins et les plantes sont moins excitants. Moins… spectaculaires, surtout.

Le jeune Maître posa les deux mains sur la rambarde qui délimitait le pourtour de la terrasse et se pencha un peu avant pour observer la végétation qui, en contrebas, encadrait les jardins du Temple.

— Vous êtes… Consulaire, c’est cela ?

La robe bleue de Pendragon évoquait certes les Gardiens de l’Ordre, mais Litale était à peu près sûr de ce qu’il avançait.

— Mais vous avez une spécialité, sans doute. Je crains qu’elle ne m’échappe. Je n’en suis, tel que vous me voyez, qu’à apprendre les rudiments de mon nouvel… entourage. Il faudra supporter mon ignorance.

Litale se détourna un instant de sa contemplation pour adresser un sourire complice à Pendragon. Les Maîtres constituaient un Ordre au sein de l’Ordre, et les Conseils plus encore un Ordre au sein de l’Ordre au sein de l’Ordre, et Litale n’était pas du genre à dissimuler cette petite réalité hiérarchique sous de vagues considérations unitaires : dans l’Ordre, chacun avait son rang et ses spécialités, qui organisaient les relations sociales, et il aimait pouvoir situer un peu ses interlocuteurs dans ces réseaux complexes et parfois inavoués.
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Hochant la tête, Berryl laissa là la séance de torture soins pour suivre son confrère. Le jeune homme était assez intrigant, plongeant sans vergogne le Corellien dans la mêlée pour ensuite le féliciter de son intervention, comme si Berryl avait agit de lui-même. On ne devenait pas maître pour rien, même aussi jeune... et ce maître-là semblait apprécier la lune d'Ondéron.

"Je suis adepte de la solution pacifique, les passes d'armes quoique parfois indispensables m'ennuient. Ici, les lieux sont plein de vie, de connaissances, tout le monde travaille ensemble dans le même but : soigner les gens." fit le Jedi en écartant es bras pour englober le Centre. "Alors qu'en y réfléchissant bien, les terrains d'entraînement ne nous poussent qu'à nous battre les uns contre les autres. Et puis, j'ai moi-même longuement étudié de la végétation, récemment."

Souriant d'amusement, le Corellien remit les mains dans ses manches. Longuement était le mot, une décennie passée dans la jungle, les marais ou le désert laissait beaucoup de temps pour observer les fleurs au bord du chemin.

"Consulaire jusqu'à la moëlle, en effet. Quand à ma spécialité..."

Berryl haussa les épaules. Il ne s'était jamais vraiment encombré de se donner une "spécialité". Il usait de ses compétences quand il le jugeait nécessaire, voilà tout.

"Je dirais que je suis un spécialiste de "l'autre solution". Très utile, pour un diplomate .En tant que guérisseur, vous en êtes forcément partisan également."

Souriant encore un peu plus, le Jedi pointa un guérisseur occupé à consulter divers ouvrages, probablement en quête d'un remède nouveau pour une quelconque affliction.

"Regardez celui-ci, par exemple. Il va chercher, encore et encore, trouver un ancien remède à améliorer, ou bien des hypothèses sur les propriétés soignantes d'une plante ou d'une pierre. Cet endroit est un exemple parfait de "l'autre solution" : aucun guérisseur ne peut se limiter à ce qu'il a appris, il lui faut toujours remettre en question les traitements, les méthodes de diagnostic et ses propres compétences pour trouver d'autres manières, encore meilleures, encore plus efficaces, de faire les choses quand les méthodes habituelles échouent. Et puis, je suis Corellien, et les Corelliens ne font rien comme tout le monde. "

Autour d'eux le Centre bourdonnait d'activité comme une ruche géante, des hommes, des femmes et d'autres créatures encore non spécifiées pour Berryl allant et venant plus ou moins hâtivement dans tous les sens. Malgré le remue-ménage incessant, il émanait une sorte de paix de toute cette activité, la certitude qu'une telle agitation signifiait l'efficacité des lieux et de leurs occupants. C'était rassurant, dans le fond.

"Je comprends très bien votre "ignorance", également. J'ai moi-même un peu de mal à cartographier la situation politique interne de l'Ordre après une si longue absence. Qui par ailleurs explique que vous ne me connaissiez guère, vous étiez sans doute encore un padawan lorsque je suis parti." Berryl répondit aimablement au sourire du jeune homme par le sien, poursuivant : "J'ai peur malgré tout que vous n'ayez des difficultés avec moi. Je ne brigue aucun siège du Conseil, voyez-vous, pas plus que je dédie mon existence à l'éradication du côté obscur. Oh, bien entendu, il n'est pas question de rester passif lorsqu'il se manifeste, mais je ne suis pas à sa poursuite, comme certains de nos plus zélés confrères."

Bien entendu, le Jedi ne se livrait pas ainsi sans raison : observer les réactions de ses interlocuteurs à de tels propos était pour lui un excellent moyen d'avoir un aperçu de sa nature profonde. Irritation, surprise, amusement, confusion... chaque réaction, ouverte ou masquée derrière une autre, était un indice pour le diplomate. C'était plus compliqué concernant les maîtres, bien entendu... enfin, parfois. Dans la sécurité du Temple, il était facile de baisser légèrement sa garde devant un discours surprenant.

"Mais tout cela ne fait que donner crédit à certaines des rumeurs qui courent sur moi, bien entendu. Je ne suis pas un imbécile, tout maître est sujet à divers racontars plus ou moins proches de la vérité. Et vous, maître Ond ? Vous, le jeune Jedi sur lequel l'Ordre se repose autant sinon plus que les marginaux comme moi, quel est le degré de vérité sur les rumeurs à votre égard ?"

Le Jedi se retenait presque de rire. Non pas que la situation soit hilarante, mais il n'y pouvait rien : il aimait taquiner les gens pour les sonder. Et puis, un maître aussi jeune prétendant ignorer ce qu'on disait de lui dans son dos était soit un menteur, soit bien peu taillé pour sa nouvelle position...
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Ceux qui lui avaient parlé de Pendragon ne s’étaient guère trompés en estimant que les deux Maîtres partageaient beaucoup. Certes, il était rare de trouver, à ce niveau de la hiérarchie de l’Ordre, d’individus ouvertement belliqueux, mais certains calmes n’étaient que de façade, Litale le savait très bien, et bien des Maîtres estimaient que les Jedis devaient remplir assidument leur rôle de Guerriers de la Lumière ou, plus littéralement encore, de Généraux — une attitude un peu paradoxale, aux yeux du jeune Maître.

Litale haussa un sourcil dans un air faussement surpris, après avoir suivi avec une attention extrême les propos de son interlocuteur.

— Des rumeurs ? Sur mon compte ? Allons donc. Je ne suis pas assez connu pour cela.

Il avait eu un sourire en coin : s’il y avait bien un domaine dans lequel il excellait, quand il était sur Ondéron ou dans un autre temple jedi, c’était de prendre la température des lieux et, surtout, de se situer dans les sympathies et les inimitiés de l’Ordre. Son sens politique à lui seul eût suffi à lui attirer la méfiance de bon nombre de Chevaliers idéalistes, persuadés que l’Ordre n’était qu’une pure quête d’idéaux sans aucune ambiguïté et aveuglés — selon Litale — par des discours fraternels souvent plus ambigus qu’ils ne le paraissaient.

Le jeune Maître observa un instant Pendragon, comme s’il tentait de décider jusqu’à quel point lui faire confiance puis, sans se départir de son sourire, il répondit plus ouvertement :

— Mais enfin, j’ai bien eu vent de deux ou trois inquiétudes que mes opinions pouvaient parfois susciter.

Deux ou trois, c’était un bel euphémisme. Récemment, il s’était mis en tête de collecter les surnoms plus ou moins flatteurs que certains Chevaliers et Padawans, moins habiles à gérer les conflits de l’Ordre et leurs propres conflits intérieurs que les Maîtres, s’ingéniaient à lui donner. « L’Hérétique » était le gagnant toutes catégories, selon les apparences. Litale secoua la tête.

— Je crains que mes ambitions réformatrices n’aient pas toujours bonne presse, à la fois parce qu’elles sont des ambitions et parce qu’elles sont réformatrices.

Tout le monde était convaincu que Litale briguait un poste dans l’un ou l’autre des trois Conseils de l’Ordre ou, à défaut, dans une partie clé de l’administration des affaires des Temples dans la Galaxie, par exemple à la tête de la division médicale des Guérisseurs. Et personne n’avait tort. Litale n’était pas devenu Maître si jeune pour s’arrêter en si bon chemin.

— Je crains que beaucoup de nos frères et sœurs aient une vision pour le moins simpliste de la manière dont l’Ordre opère à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. À en entendre certains, nous sommes une institution coupée du temps, qui n’évolue pas dans l’Histoire, sans rien à construire, ni sans aucun défaut. Ils sont prompts à voir dans l’ambition le signe d’un tempérament néfaste, parce qu’ils sont persuadés que l’Ordre, qui existe depuis des temps immémoriaux, est parfait et que par conséquent, il n’y a rien de mal qu’il faudrait y changer.

Naturellement, une appréhension fine, contrastée, nuancée et réaliste de leur situation n’était pas donné à tout le monde : l’Ordre était une machine complexe à l’histoire complexe dans la République, qui était une autre machine complexe à l’histoire complexe, au sein d’une Galaxie, troisième machine complexe à l’histoire complexe. Il était bien plus aisé de se reposer sur les dogmes de l’Ordre et de les servir sans trop se poser de questions et, à bien des égards, c’était ce à quoi la formation des Padawans les préparait.

— Mon avis est très différent. Je ne crois pas que l’Ordre soit hermétique à l’Histoire et que la manière dont elle évolue doive toujours le laisser, lui, parfaitement identique à ce qu’il était. Il y a beaucoup de points de nos traditions et de notre fonctionnement, dont je veux bien croire qu’ils aient été nécessaires jadis, mais que je souhaiterais à présent voir changer.

Litale esquissa un sourire dont l’ironie était tournée contre lui-même. Pendragon avait insisté sur leurs âges respectifs et le jeune Maître glissa :

— Mais enfin, vous savez, je suis jeune et les jeunes gens sont toujours terriblement révolutionnaires. Quand je serai plus âgé, je serai probablement plus paisible.

Difficile de ne pas y voir une allusion à ce que Maître Berryl avait dit de sa propre quiétude à l’égard de la politique interne à l’Ordre. Quant à savoir si cette allusion était une accusation très voilée ou une simple remarque, c’était une autre histoire. Mais Litale n’avait pas l’air de vouloir manier le ton du reproche.

— En somme, je ne suis pas sûr que l’Ordre s’appuie beaucoup plus sur moi que sur vous.

Il se présentait en réalité beaucoup plus seul qu’il ne l’était : il y avait des Chevaliers et peut-être des Maîtres pour partager une partie de ses opinions et qui n’étaient pas fâchés de trouver en lui quelqu’un avec les compétences et la motivation pour les porter un peu plus loin au sein de l’Ordre. Le fait même qu’il y eût des rumeurs à son propos prouvait bien qu’il n’était pas si anecdotique que cela dans le paysage idéologique du Temple.

— Toujours est-il que vous et moi partageons une certaine méfiance à l’égard de l’humeur parfois bien belliqueuse de ceux qui nous entourent. Je crains de frustrer souvent les Padawans auxquels il m’arrive de donner cours en leur refusant une démonstration de sabre.

Que certains fussent au courant qu’il était l’un des maîtres du Soresu ne faisait sans doute qu’aggraver la frustration.

— Peut-être qu’il y a quelque chose à changer dans nos programmes éducatifs. Est-ce quelque chose qui vous intéresse, d’ailleurs ? La pédagogie ? Vous m’avez l’air doué pour cela, à ce que j’ai pu en apercevoir à l’instant.
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Le Corellien se frotta la barbe, hochant à l'occasion de la tête, lâchant quelques "oui, tout-à-fait" de circonstance. Jeune, réformateur, doué et ambitieux, un mélange qui préparait tout autant le meilleur que le pire.
Du point de vue de Berryl, un cas intéressant, donc.

"Je suis grand amateur de pédagogie, en effet. Nous sommes pour la plupart destinés à transmettre un jour notre savoir et nos compétences, et tandis que vous avez choisi le centre médical pour ce faire, j'ai pour ma part décidé d'officier dans les salles de classe."

Sur ce point au moins, la ressemblance entre les deux maîtres était évidente. A moins que le jeune homme ne fasse tout cela rien que par vanité, ce qui était tout de même peu probable. Mais pas impossible.

"Je comprends bien votre point de vue, et je le partage en grande partie. Cependant, je trouve que l'Ordre lui-même est la preuve de son évolution. Certes, nous conservons d'anciennes traditions qui n'ont plus beaucoup à voir avec l'époque actuelle, mais c'est notre rôle de gardiens du savoir qui veut cela. Non, le plus intéressant est plutôt de voir comment, de génération en génération, l'Ordre a peu à peu changé jusqu'à devenir ce que nous connaissons aujourd'hui."

L'opinion du Jedi était même plus poussée que cela : si l'Ordre était aussi immuable que certains semblaient le croire, il aurait disparu depuis bien longtemps. Une entité, fut-elle physique ou communautaire, ne pouvait survivre qu'en s'adaptant à son environnement - et tel était l'enseignement du Temple, indirectement.

"De même, je n'ai aucune méfiance envers nos camarades plus martiaux. En vérité, je les pense indispensables. Berryl tapota le sabre accroché à son côté, souriant. Je n'utilise certes que rarement mon sabre, mais je veille à ce qu'il soit toujours en état. Je ne doute pas que vous fassiez de même."

Une certitude plutôt facile, quel Jedi aurait osé porter un sabre sans l'entretenir convenablement ? Même les padawans apprenaient très vite à prendre soin de leur arme, et à raison : rien de pire que d'avoir le bras arraché par un sabre instable qui explose.

"Voyez-vous, dans une société idéale, tout le monde suivrait les règles et s'y soumettrait sans broncher. Malheureusement, la République n'est pas idéale. Voilà la raison même de l'existence de gardes, d'armées et de Jedis. Le regard du Corellien se fixa sur son jeune collègue, son sourire un rien moins naïf. Nous sommes là car certains ne suivent pas les règles et doivent donc être forcés."

Le Corellien s'appuya sur la balustrade, observant l'activité en contrebas. Il était mal placé pour répudier l'usage du sabre, très mal placé. Sans compter qu'il en avait toujours apprécié le maniement - il l'appréciait simplement encore plus dans le vide.

"Alors en effet, certains chevaliers ont des idéaux et une vision de leur devoir plus ou moins naïfs, simplistes. Je reste toutefois persuadé de leur importance dans les engrenages du Temple : si chacun de nous était capable de remettre l'Ordre en question, nous serions encore plus passifs que ce qu'on nous accuse déjà d'être. Il y a des moments... La main du maître serra brièvement la rambarde. Il y a des moments où il faut dégainer son sabre."

Le Corellien se retourna vers Litale, tout sourire. Autant faire bonne figure.

"Et pour maintenir l'équilibre, il est également nécessaire d'avoir des marginaux comme moi pour pousser l'Ordre à envisager des changements, et des Jedis de caractère tels que vous pour les réaliser. Chacun a sa place, et je pense sincèrement que c'est ce que nous devrions enseigner à tous les jeunes initiés. Peut-être alors le fait d'être affecté aux Services ne serait plus un échec, mais juste une opportunité..."
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