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Viens demain, à 9h du matin, heure locale. Je serai au 633-L de la tour Oxygène, 8ème arrondissement du secteur 43 de Coruscant. Ne préviens personne.

Le garçon aux ricochets.

Spoiler:

[Seuls les administrateurs ont le droit de voir cette image]

Fugitif. C'était désormais ce mot qui adhérait à ma peau. J'avais dû vendre en vitesse mes quatre résidences, à un prix n'équivalant pas deux fois leur valeur réel. Ma résidence secondaire de Kuat, mon appartement à Iziz et mon duplex de Coruscant avaient été cédés pour quelques millions de crédits, alors qu'en forme, et avec quelques jours supplémentaires, j'aurais pu en tirer une bonne douzaine. Mais le temps, je ne l'avais plus. Mon patrimoine était à présent constitué de ce 185m², dans la strate supérieure de l'œcumenopole, que j'avais acquis sous une identité falsifiée. Comme chacun sait, au noyau de la galaxie, les beaux quartiers ne se faisaient pas tant dans certains secteurs plutôt que d'autres, mais davantage par le degré d'élévation des différentes architectures.

Au 633ème étage de cet édifice qui en comportait près de 800, j'observais depuis la fastueuse baie vitrée le flux des amas de métal qui défilait sans interruption, dans les couloirs aériens. Des centaines d'airspeeders et de navettes de transports grouillaient dans le ciel de la cité monde. Et je toisais inlassablement chaque aéronef, nourrissant le même espoir. Celui qu'il soit, quelque part dans les nuées, dans l'un de ceux qui s'infiltraient au compte goutte au spatioport, situé à une dizaine de kilomètres de mon nouveau foyer. Peut-être qu'après tout, il ne viendrait pas.


[Seuls les administrateurs ont le droit de voir cette image]


Vêtu d'un confortable T-shirt en soie blanche orné de détails en satin, dans un pantalon noir, j'étais, en compagnie de ma tasse de thé, installé sur mon fauteuil en cuir brun, orienté face à la baie vitrée. Dos à moi, à une quinzaine de pas, la porte. Blindée. Sous un coussin qui ornait le fauteuil, un pistoler blaster. Sur la commode, à côté de mon lit, dans la chambre par laquelle on accédait depuis le corridor qui menait au séjour, dans lequel je me trouvais, un autre pistolet blaster. Pas encore victime d'une paranoïa trop profonde, j'apparentais cela à des mesures de sécurité élémentaires. Mais ce qui pouvait être élémentaire pour moi, ne l'était sans doute pas pour n'importe quel autre occupant de cet immeuble.

Je repensais au courrier électronique que je lui avais envoyé. Même dans celui-ci, j'avais pris soin de ne pas signer le message de mon prénom, et avais fait le nécessaire pour de détruire l'adresse de messagerie, créée à l'occasion de l'annonce du rendez-vous que je fixais. Si j'étais certain qu'il avait démasqué mon pseudonyme, je frémissais à l'idée qu'il ne vienne pas. Il était déjà 9h05.

Cela faisait bientôt trois semaines que j'avais quitté sa chambre. Que j'avais fait ce choix stupide de ne pas rester avec lui, de prendre ma douche dans mes propres locaux, m'assoupir deux heures supplémentaires, et me réveiller avec cet ordre de mission. Puis, y aller, tête baissée, en compagnie de Luke. Ces événements me revenaient en mémoire beaucoup trop souvent. Toutefois, ils avaient au moins le mérite de se substituer la journée à des réminiscences bien plus obscures qui elles, agitaient mes nuits.

J'ai toujours eu l'intime conviction qu'à chaque seconde de notre vie, des millions de choix s'offrent à nous et, qu'à tout moment, quelle que soit notre action, notre pensée, ou nos paroles, elles influaient d'une façon irrémédiable sur notre avenir. La culpabilité tissait sa toile autour de moi, comme l'araignée enrobe sa proie avant de la dévorer. 9h08. S'il ne venait pas aujourd'hui, il ne viendrait jamais. Après tout, peut-être que les échos les plus funestes qui circulaient à mon égard étaient parvenues à ses oreilles. Si ce n'était celui de ma mort, peut-être était-ce celui de ma trahison. Et si ce n'était celui de ma trahison, peut-être était-ce celui de mes crimes.

Criminel. Il était usuel que, pour assouvir mes volontés, je fasse usage de corruption -ce que je m'évertuais à qualifier "d'échange de bons procédés"- mais cette fois, j'avais du sang sur les mains. Et, si mes assassinats étaient liés à des actes de légitime défense, j'avais la saveur infecte de celui qui s'auto-proclame le droit d'ôter la vie à autrui. Le destin m'avait conduit à des actes auxquels je n'étais pas préparé. 9h11.

Pour véritablement effacer toute trace de ma propre personne, j'avais dû licencier mes financiers et mes notaires, et j'avais rompu tout contact avec mes avocats. Ayant pris soin de retirer tous mes investissements, mes économies étaient à présent en stagnation. Quelle affreuse sensation que la stagnation. Si mes ailes avaient cessé de s'étendre, j'avais en plus dans la bataille perdu quelques plumes.

Ayant effacé mon holocompte des cyber-fichiers, je n'avais aucun moyen de vérifier si j'avais donné l'adresse correcte à celui qui devait me rendre visite. Malgré le fait que je m'étais assuré à une demi-douzaine de reprises l'exactitude des informations, à présent, il n'y avait plus aucun moyen pour moi de revenir en arrière. 9h13. Les minutes défilaient décidément beaucoup trop vite. À mesure qu'elles s'écoulaient, elles entrainaient avec elle une partie de mes espérances, et mon peu d'optimisme se voyait amputé d'une nouvelle brindille, puis bientôt d'une branche, et... Le son strident de ma sonnette retentit. Frémissements.

Je me dirigeai alors vers la porte, et m'immobilisai face à elle. Un instant, je fermai les yeux, et laissai s'échapper une longue expiration, pour mieux dissiper mon appréhension. Ma main glissa alors sur le digipad, solidement ancré contre le mur. L'épais battant métallique coulissa.
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Mademoiselle Albertine est partie ! Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie !
Marcel Proust, Albertine disparue, Le chagrin et l'oubli



***
Deux semaines auparavant

Il revient de mission. D'abord, il entre dans sa chambre, il enlève ses vêtements, il examine quelques plaies qui ne sont rien, il allume un datapad, il prend des médicaments, il regarde ses messages : il n'y a rien. Il met des vêtements propres, il sort de sa chambre, il frappe à sa porte : il n'y a rien. Il marche dans le temple, il interroge les gens, il consulte les fichiers : il n'y a rien. Il a l'impression qu'il lui manque plusieurs litres de sang.



***
Une semaine auparavant

La lame dorée vrombissait légèrement contre le cou du Twi'Lek. Quelque part dans les profondeurs de Corellia, un Ange Vengeur fixait son regard noir dans celui d'un criminel. Comme d'habitude, il avait semblé fragile d'abord. Cinq minutes plus tard, il était craint. Mais ce jour-là, il ne venait pas pour traquer — en tout cas, pas les criminels — pas pour arrêter, traduire devant la justice ; ce jour-là, il n'était pas en mission. Il voulait simplement des informations. Et il semblait mal avisé de ne pas lui en donner.



***
Trois jours auparavant

Orme cracha un peu de sang et s'essuya la bouche d'un revers de manche. Sa tenue, jadis d'une blancheur immaculée et presque céleste, était maculée de boue, de traces rouges déjà séchées, et déchirée en plusieurs endroits. Le sabre-laser du jeune homme gisait dans la poussière à quelques mètres de là et, devant le Padawan, le dépassant d'une tête au moins, le chasseur de primes le toisait de toute sa hauteur. Il était certain, bien sûr, d'avoir déjà gagné.

Orme ferma les yeux. Le chasseur de primes supposa que c'était un geste de faiblesse. Mais il n'avait pas beaucoup quitté l'empire des Hutts. Il n'avait pas vu beaucoup de Jedis. Il avait entendu des histoires de confrères, des gens plus expérimentés que lui, certes, mais dont il était persuadé qu'ils paraient leurs aventures de beaucoup de circonstances extraordinaires pour se donner plus de mérite. Vraiment, il n'avait pas vu beaucoup de Jedis.



***
Coruscant — 09:00


Orme changeait pour la treizième fois de navette. Sa quête solitaire ne lui offrait pas les moyens habituels de l'Ordre. Ce n'était pas que l'Ordre le désapprouvât exactement. A vrai dire, il ne s'était pas beaucoup étendu sur les motifs de son départ. Une affaire personnelle, avait-il dit. Il était assez âgé maintenant et Ellana Caldin assez permissive et occupée pour que ce genre de libertés lui fût occasionnellement accordé. Mais pas de speeder à emprunter, cette fois-ci : les transports en commun.

Depuis le début de sa recherche, il avait épuisé l'essentiel de ses maigres économies. Il avait fait ce sacrifice sans hésiter. Il n'avait pas hésité non plus en apprenant qu'Ulrich était un traître, un criminel, que savait-il encore ! Après tout, la moitié de la République n'était-elle pas convaincue, depuis les derniers événements, que l'Ordre Jedi était composé des gens les plus suspects ? La rumeur publique comme la parole des journalistes n'inspirait à Orme qu'une confiance très limitée.

Il s'était mis en chasse, par intuition d'abord, confirmé dans ses soupçons ensuite. Ulrich avait disparu. Mais Ulrich n'était pas facile à retrouver. Orme avait fait jouer ses relations, rappelé des services rendus, contracté des dettes d'ailleurs et il avait appris, oh, beaucoup de choses, des circonstances particulières sur des affaires variées mais rien qui se rapportât très précisément à l'endroit où pouvait bien se trouver son amant.

Son amant. Il ne songeait plus à Ulrich autrement. Ils ne s'étaient pas revus pourtant pendant trois semaines, rien de plus, entre eux, n'était arrivé, et pourtant, en songeant encore et encore, dans ses rares moments de répit, aux quelques heures qu'ils avaient passées ensemble, Orme avait peu à peu dissipé son aveuglement, avait ses désirs, ses aspirations, ses émotions et ses rêves et avait décidé de nommer les choses comme elles devaient l'être, sans crainte, sans faux-fuyant.

Orme avait grandi en trois semaines sans doute plus qu'en deux ans. Il restait un Ange échappé des nuages, mais l'Ange avait acquis ses méthodes, ses principes, avait cerné ses propres règles, construit son identité. Cette quête ne l'avait pas nécessairement éloigné de l'Ordre. A plus d'une reprise, Orme avait constaté combien son enseignement avait été utile. Une reconnaissance véritable s'était développée en lui. Plus hétérodoxe que jamais sans doute, transformant ses principes d'indépendance en actes, il était pourtant également plus Jedi que jamais.

Enfin, il avait reçu le message. Il eût cherché des semaines, des mois, des années peut-être encore. La Force et l'énergie du combat le soutenaient. Mais, en lisant ces quelques lignes, en songeant que cette quête touchait à sa fin, il avait ressenti à la fois un immense soulagement et une immense fatigue et, pour la première fois, il s'était rendu compte du long et difficile chemin qu'il avait parcouru.

Il avait soigné ses dernières blessures, il avait lavé son pantalon blanc, sa tunique blanche aux multiples replis, son log manteau blanc — blanc, comme un ange, il voulait paraître à Ulrich. Il avait attendu la veille chez ses parents à Coruscant et, depuis le petit matin, il avait voyagé dans les transports en commun, montant progressivement les infinis niveaux du monde-capitale. 630, 631, 632, 633.

C'était l'immeuble, c'était l'appartement, c'était la porte. Orme sonna. Dégagea une mèche de cheveux. Lissa un pli. Se redressa. Croisa les mains derrière son dos. Décroisa les mains, les mit dans ses poches, les sortit de ses poches, croisa les bras, décroisa les bras, croisa les mains derrière son dos — encore. Du calme. Tout allait bien. La porte s'ébranla. Et le battant coulissa. Et il était là.

Orme le regarda comme s'il avait été la chose la plus agréable qu'il eût jamais vue. Il avait envie de bondir sur lui, de l'embrasser, de le caresser, de le serrer simplement dans ses bras — de tout. Mais peut-être était-il blessé, réticent, traumatisé, comment savoir ? Il fallait se contrôler, rester sage, calme, et surtout, ne pas sourire comme un imbécile heureux. Orme se glissa dans l'appartement et, tout bas, comme si sa voix pouvait perturber l'atmosphère du lieu, murmura :

— Un problème de porte. Dans la septième navette. C'pour ça que j'suis en retard. Faut dire, t'es pas facile à atteindre. Quelle idée aussi. Tu sais que sur Tatooine un type m'a juré qu'il t'avait vu t'envoler dans le ciel d'Alderaan au milieu d'un halo de lumière ? C'tait un cinglé, bien sûr, drogué jusqu'aux yeux, mais la vache, qu'est-ce qu'il cognait fort. Et puis franchement, faudrait fournir de meilleurs hologrammes à la presse, parce que tu fais un fugitif beaucoup plus mignon en vrai que dans les reportages.

Orme inspira profondément, fit un effort pour ravaler sa fébrilité et, avec un sourire un peu nerveux, conclut :

— Mais là, j'vais arrêter d'parler, hein, sinon j'vais avoir l'air vraiment trop bête...
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Instinctivement, à sa seule vision, un transcendant désir me parcourut. Celui de l'embrasser. Mais il ne fallait pas brusquer les choses. Nous ne nous étions pas revus depuis trois semaines... Trois semaines qui avaient pour moi paru une éternité. Tant de choses avaient changé. Et puis, avant, quand tout allait mieux... Nous n'avions jamais fait ça. Je me contentai alors de laisser mon regard s'éclaircir. L'enchaînement de ses phrases façonna sur mon visage un sourire qui, bien que léger, lui exprimait tout l'amour que je lui portais.

L'amour ? Oui... Il me semblait que l'on ne pouvait se résoudre à appeler cela autrement. Quel sentiment m'aurait poussé à ne voir que le visage d'Orme, quand mes pensées, dans les moments les plus difficiles, se tournaient vers ce qui pouvait m'accorder le plus de réconfort ? Quel sentiment, autre que l'amour, pouvait m'encourager à prendre le risque de l'accueillir chez moi, en ces circonstances...

Fugitif. Alors, il savait. Avec les proportions que cela avait pris, l'inverse m'eût étonné. Et le fait qu'il accepte mon invitation, et plus encore, qu'il se mette à ma recherche, engrangea en moi deux sentiments antagoniques. S'il me disait être allé sur Tatooïne, et comme je savais qu'Orme aimait à, pour conter son passé, ne raconter qu'un événement parmi d'autres anecdotes, sans doute pour alléger les circonstances, je compatis à la difficulté et à la détresse qui avaient dû se dresser à lui comme des écueils. Et pourtant, je ne pu m'empêcher de me réjouir que quelque part, dans l'univers, lorsque j'étais au plus mal, il mettait toute sa volonté à me retrouver.

Je fermai alors la porte. Orme s'était résolu à me faire un compliment, avant même que je ne lui glisse quel que mot que ce fusse. Je l'invitai donc à me suivre au long du corridor.

-Ah.

Avant qu'Orme ne s'installe sur mon fauteuil, je retirai le blaster, dissimulé par le coussin sur lequel il était prêt à s'asseoir.

-Ça m'ennuierait que tu te fasses mal alors que je viens à peine de te retrouver...

J'observais de nouveau le spectacle en mille actes, jamais terminé, du ciel de Coruscant. Comme si je n'étais pas résolu à vraiment croiser le regard d'Orme. Comme si je ne croyais pas en sa venue. J'avais espéré si longtemps le retrouver, que sa présence me paraissait avoir la saveur d'un rêve. Infinie belle et agréable, mais si difficile à croire. J'entrepris alors de prendre la parole, pour expliciter des choses plus dignes d'intérêt que le fait qu'un tir de blaster aurait pu manquer de lui griller les fesses. Alors, le regard toujours rivé dans le lointain...

-Tu m'as tellement manqué...

Mes doigts approchèrent sa main, et se glissèrent tendrement entre les siens. Je passai ma main libre sur mon front, comme pour estomper le sang et la transpiration invisible qu'avaient causés ces trois semaines.

-Je peux pas croire que t'es venu. Tatooïne tu dis ? T'as vraiment...

Il avait vraiment.

-Merci. Maintenant, je suis là. Mais ça va être plus compliqué... T'as l'air de savoir que... D'ailleurs, la prochaine fois, évite de déclarer que je suis un fugitif quand la porte est encore ouverte... Mais maintenant, tu peux me traiter de criminel. Les murs sont insonorisés.

Sa venue me paraissait si irréelle, que je n'étais finalement pas à la hauteur de ce que je m'étais fixé pour sa venue. Je ne savais même pas s'il était de bon ton de rire de mon propre cas. Mais sans doutes, les effluves des sentiments s'exprimeraient de façon plus explicite par la suite. Comme pour toute chose, il nous fallait un temps d'adaptation. Et j'avais la sensation que deux mondes se confrontaient et, si le noyau restait inchangé, à leur surface, l'on pouvait distinguer une myriade d'évolutions, plus ou moins saines, plus ou moins obscures.
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Orme n'arrivait pas à ne pas se demander s'il était assez bien coiffé. Des pensées futiles et graves traversaient son esprit et son désir d'apparaître sous son meilleur jour se mêlait au besoin de savoir ce qui s'était passé, d'apprendre d'Ulrich les détails d'une affaire qui pour lui demeurait encore très trouble. Il ne forcerait pas cependant les confessions — ce n'était pas son genre et il avait assez de bon sens pour deviner que ce serait inutile.

Le jeune homme emboîta le pas à son camarade dans cet appartement dont l'opulence lui apparaissait d'autant plus étrange qu'il avait passé les trois dernières semaines dans les bouges les plus douteux de la galaxie. Il songeait seulement à cet instant que c'était peut-être dans les hautes sphères qu'il aurait dû développer son enquête et un vague sentiment de culpabilité, familier ces derniers jours, le saisit, de n'avoir peut-être fait tout ce qu'il fallait comme il le fallait.

Aucune remarque ne franchit ses lèvres, aucun signe d'étonnement ne se peignit sur son visage, quand Ulrich retira un blaster du fauteuil. En bonne Sentinelle, Orme était souvent beaucoup plus surpris quand les gens ne se montraient pas paranoïaques que quand ils prenaient les précautions les plus détaillées pour leur propre sécurité ; habitué à soupçonner le crime et la violence partout, il n'était surpris de les trouver nulle part.

De toute façon, pour retrouver Ulrich, il n'en était plus à une petite blessure près. Il avait évoqué un détail pittoresque de son aventure en balayant d'un revers de phrases les développements les plus sombres de sa quête. Il songeait que pour Ulrich, il restait peut-être ce Padawan fragile rencontré au bord d'un lac et, d'une certaine façon, il craignait un peu que son compagnon découvrît trop vite, trop tôt, quel guerrier, quel traqueur méthodique et parfois un peu expéditif il pouvait être.

Un frisson parcourut sa peau quand la main d'Ulrich rejoignit la sienne et ce fut avec le soulagement d'une immense impatience qu'il mêla ses doigts à ceux de son ami. Il avait rêvé de cela bien des nuits, de plus encore, et ses réticences physiques, lui semblait-il, avaient été totalement démolies par un désir frustré et inquiet. Doucement, mais avec fermeté, il attira son compagnon près de lui sur le fauteuil, se décalant un peu, mais pas trop, pour que leurs corps fussent près l'un de l'autre.

Orme esquissa un sourire aux dernières remarques d'Ulrich. Plaisanter des choses graves lui paraissait, à lui, une très bonne médecine. Il passa un bras autour des épaules de son compagnon, pour le serrer un peu plus contre lui. Quelque chose dans son attitude avait changé. L'assurance du guerrier s'était communiqué au reste de son être — guerrier, il l'était devenu pour Ulrich aussi, il avait cessé de séparer sa vie personnelle, d'ailleurs presque inexistante, de son rôle de Jedi et désormais, il enveloppait son compagnon d'une protection diffuse.

Appuyant sa tête contre celle du jeune homme, il se mit à observer lui aussi le spectacle familier du ciel qui l'avait vu naître. Malgré les circonstances difficiles qui les avaient conduits là, partager ce morceau de son enfance avec Ulrich était un plaisir doux et réconfortant. Il avait craint parfois que sa recherche fût totalement vaine, les soirs après de longs combats, et que le seul souvenir qu'il pût garder du jeune homme fût leur unique soirée.

Après quelques instants de silence, sa voix douce s'éleva à nouveau.

— Je t'ai cherché, tu sais. J'ai fait jouer tous les services qu'on me devait, j'ai contracté des dettes, j'ai remué les pierres et exploré les tavernes. Je me suis battu tant que j'ai pu pour toi. Mais...

Les yeux noirs se détachèrent du ciel pour se poser sur Ulrich.

— Je suis désolé de ne pas avoir réussi.

D'une certaine façon, il semblait que cette recherche effrénée n'eût pas laissé de traces sur Orme. Ses yeux ne s'assombrissaient pas à l'évocation de ces mystérieuses dettes et il paraissait n'avoir rien accompli qu'il regrettât. Mais plus profondément encore, l'aura dans la Force du jeune homme ne s'était pas obscurci, comme si les sentiments violents qui l'avaient agité nécessairement tout au long de ces jours funestes n'étaient pas parvenus à ébranler son âme.

Et rien dans son discours, ni l'inflexion de sa voix, n'indiquait qu'il considérât cette obstination exceptionnelle ; il en parlait comme de la chose la plus évidente du monde, comme si les quelques heures à peine qu'il avait passées avec Ulrich justifiaient entièrement, et pour n'importe qui, de se lancer dans une semblable odyssée.
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Si Orme avait visiblement gagné en courage et en prise d'initiatives durant ces trois semaines, là où le risque aurait été de voir ces accomplissements réduits à néants, un croisement encore nuancé, mais qui ne saurait tarder à apparaître, dans la courbe de nos évolutions personnelles, montrerait bientôt à Orme de nouvelles craintes qui avaient chez moi bourgeonné, fleurs noirs, prenant leurs racines sur des terres calcinées. Son bras sur mon épaule, la proximité de son corps, tout était prétexte à entrebâiller la poussiéreuse porte de la tendresse dans mon cœur. Ce fut effectivement le cas, mais de nouvelles craintes surgirent. Des craintes qui n'avaient jusque là pas même fait pointer leur ombre, dans les tumultes de mon imaginaire. Mais maintenant, je les sentais croître en moi.

Il ne fallait surtout pas que son corps entre en contact avec la peau de mon ventre. Instinctivement, je croisai les bras, pour mieux protéger cette surface de mon abdomen. Mais pour ne rompre en rien la jonction rassurante qu'il avait érigé entre nous, je m'approchai de lui, et collai mon visage sous son menton, une joue contre son torse, les yeux fermés. Coruscant... La terre qui l'avait vu naître. Peut-être qu'un jour, je pourrai lui faire découvrir Kuat. Avec de la chance, il n'y serait jamais allé, et j'aurais alors le loisir de lui faire découvrir toutes les choses qui me font aimer ce monde. Mon esprit me résonna. Non, cela ne relevait pas du domaine de la chance, mais bien de celui de l'inconscience. Impossible de poser pied sur Kuat pour le moment.

-Ça me touche énormément Orme... C'est moi qui suis désolé. J'ai vraiment pu te prévenir de rien.

Peut-être était-il temps de lui fournir quelques explications.

-Ce message que je t'ai envoyé hier... J'étais établi ici seulement deux jours auparavant. Si tu avais cherché ici, tu n'aurais rien trouvé. Il n'y avait rien d'autre qu'un appartement vide. Je l'ai fait meubler rapidement, et je me sens bien, là. Mais je vais sûrement pas rester longtemps. C'est dangereux. Si je m'écoutais, je te kidnapperais, et je t'obligerais à rester ici. Mais il faut pas que tu restes trop longtemps. On sait jamais. Je veux pas te mêler à mes problèmes. Ça t'apporterait beaucoup d'ennuis.

Enfin, j'avais retrouvé ce qui m'avait manqué durant ces trois semaines. La présence physique d'Orme. Sa tendresse. L'assurance qui germait en moi, une fois dans ses bras.

-Par où commencer... Ça a dû te faire peur ce que tu as lu ou entendu sur moi. Je... Je veux que tu sois prêt à entendre quelque chose. J'ai vraiment tué.

Se succéda à ma tirade hésitante cette dernière phrase tranchante, concise, mais pas totalement construite, comme si je me refusais à encaisser la réalité. J'avais tué, mais je ne précisais pas quoi, ni qui, bien qu'Orme fût lucide sur le fait que je n'avais pas donné la mort ni à un papillon, ni à un cactus.

-Et pourtant, t'es quand même venu. Peut-être dans l'espoir que tout ça est faux. Si jamais on m'attrape, j'adopterai la stratégie que m'indiquera mon avocat, et s'il le faut, si c'est ce qui peut me permettre de rester libre, alors je mentirai. Mais toi, il faut que tu le saches. Je peux pas te mentir. Et je veux pas. C'était un soldat des forces spéciales de Kuat. Mais seulement... Il était là pour nous tuer.

"Nous" tuer... Décidément, il y avait bien des pièces de cet ensemble qui devaient paraître obscures à Orme, et les rassembler de façon cohérente me demandait un effort incroyable, dû au coup des émotions de cette retrouvaille, mais également aux difficiles confessions qu'il me fallait mener à bien.

-Quand j'ai quitté ta chambre, au matin. Tout est parti de là. Je supporte pas ma tête au réveil, et je voulais pas te la faire subir. Donc je suis retourné dans mon dortoir, j'ai pris une douche, et j'ai un peu somnolé. Et puis après, j'ai eu cet ordre de mission. Si j'étais resté avec toi, j'aurais pas trouvé la volonté de te quitter, et j'aurais envoyé valser mes plans. Du coup, j'ai rejoint Luke Kayan, l'apprenti du vieux fou en cavale. Comme moi. On a reçu une missive qui nous ordonnait de nous rendre sur Coruscant, pour tuer Karrba. Un hutt, à la tête d'une petite mafia.

Si j'avais annoncé l'impardonnable, le fait que j'avais effectivement commis un meurtre, j'avais confiance en Orme. Ainsi, ma justification ne se fit ni précipitée, ni anxieuse. Il fallait qu'il sache. Qu'il comprenne. C'était tout ce qui importait. Mais je savais qu'il m'écouterait. Car lui-même savait que c'était important pour moi.

-Tuer, c'est pas vraiment les préceptes Jedi hein... On s'est rendus compte que l'ordre venait pas directement d'un grand ponte de l'Ordre Jedi. Il avait été rédigé par mon père. Je crois pas t'avoir parlé de lui. Il est ambassadeur de mon pays, auprès du sénat. On a à peu près les mêmes idéaux politiques, mais il supporte pas que j'ai hérité des dons de ma mère. Il me déteste. Fais pas fausse route, si je rejette l'Ordre, c'est pour ses préceptes. Je suis fier d'avoir la Force en moi. Mon père n'a rien à voir là-dedans. Je préfère te le préciser, parce qu'un médecin avec qui je discutait m'a un jour dit que j'avais un complexe œdipien. Ça m'a énervé, et je l'ai traité d'incompétent. Mais c'est pas le sujet. En fait, la République a infiltré l'Ordre Jedi a un tel point qu'ils ont dû faire passer une loi en douce, ou trouver une faille législative, pour avoir le droit de légiférer sur les ordres donnés aux apprentis du Temple. Avec Luke, on a voulu en avoir le cœur net, et on y est allés. On s'est fait prendre comme des bleus. J'ai retrouvé Vel, là-bas. Elle a la force en elle, mais ne l'utilise pas du tout de la même façon que les jedi, je préfère te le dire d'emblée. Je l'avais rencontré, au bord du grand lac d'Aldera. Et vraiment... C'est une femme exceptionnelle. On s'est énormément rapprochés en peu de temps, comme si on était faits l'un pour l'autre.

Devant l'ambiguïté de mes propos, je me décidai à rectifier le tir.

-C'est une façon de parler. Mon truc c'est les garçons hein... Enfin non. Mon truc, c'est toi. Mais t'es pas un truc pour autant. T'es vraiment mieux qu'un truc.

Comme chaque rencontre est vouée à quelque peu influencer le comportement de chacun, je m'apercevais qu'il m'arrivait à présent de formuler mes pensées de façon assez similaire à Orme. Pour le moins, se dissimulait dans ma tirade, aussi maladroite pusse-t-elle paraître, ma fidélité indéniable envers mon compagnon.

-Et donc, voilà, on la rencontrait par hasard, dans cette boîte de nuit. Apparemment, elle était aussi là pour Karrba. Ça sentait le piège à plein nez, et nous, on a foncés dedans. On s'est donc infiltrés dans les quartiers du hutt. Et là, ça a été l'embuscade. Si on omet les pourceaux qui protégeaient la limace, qui s'est fait éventrer par Vel, il y avait des soldats des forces spéciales de Kuat. Avant que la bataille commence, j'ai vu le premier d'entre eux apparaître, et pointer son arme sur elle. Je lui ai pris son arme et... et puis je l'ai abattu. J'ai pas eu le temps de trouver ça bizarre. Il y a eu un combat. Et tous les trois, on a combattu. Contre beaucoup de soldats. Je pouvais pas faire grand chose avec mon sabre d'apprenti, mais j'ai pu en assommer quelques uns. Puis à un moment, j'ai perdu conscience. Quand je me suis réveillé, j'étais dans un vaisseau, attaché. Il y avait Vladimir Rasmussen. Un officier de Kuat, et proche de mon père. On s'est disputés violemment, il m'a craché à la figure, et est parti. C'est là que j'ai commencé à craquer nerveusement. Je savais pas où j'étais, ni ce qui m'attendait, mais il m'a bien signifié qu'il me ferait passer pour un traître à ma patrie. Et vu que mon père a beaucoup de contacts... Tout était prévu. Quand je suis sorti du vaisseau, je suis arrivé sur Hapès. Et t'as bien fait de ne pas te mettre à ma recherche. C'est ce qu'ont fait Vel et Luke. Eux, ils m'ont trouvés, mais t'as pas à te remettre en cause. Ils avaient eu des traces plus fraîches de ma disparition, et savaient qui étaient ceux qui l'avaient mis en œuvre. Et ils se sont fait avoir, eux aussi. Une fois sur Hapès, ils m'ont cherché dans le vaisseau que je venais de quitter. Et quelques instants plus tard, je les retrouvais inconscients, dans ma cellule.

Je marquai une pause.

-Je vais m'arrêter là. Je me sens pas bien à l'idée de tout ressasser. Mais maintenant, tu sais où j'étais, et pourquoi j'y étais.
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Orme écoutait attentivement le récit de son compagnon. Il n'avait pas imaginé qu'il vînt si tôt et de manière déjà si complète. Peut-être se fondait-il trop sur son propre caractère pour juger celui d'Ulrich, sur ses propres habitudes de dissimulation, de concision et d'évitement. A la place de son compagnon, il n'eût jamais raconté toutes ces choses, ne fût jamais rentré dans ces détails, moins par volonté formée de mentir que par une sorte d'indifférence aux particularités des aventures.

Car Orme avait des anges non seulement la délicatesse apparente, mais encore leur caractère de fer, parfois tranchant qui n'était pas toujours très distinct de l'inhumanité. Sa fermeté psychologique n'était pas étrangère à sa réputation sulfureuse au sein de l'Ordre, mais il fallait l'attention des Maîtres, à même d'examiner chaque détail du parcours du Padawan, pour débusquer sous ses airs distraits et son langage populaire, sous les craquelures très superficielles de sa psyché, cette vérité difficile à cerner.

Ainsi, qu'Ulrich eût tué une personne ne choquait pas Orme. Ses propres mains n'étaient pas vierges de tout sang. A chaque fois, bien sûr, il percevait comme un échec une mort qui, avec plus d'habileté, peut-être un peu plus de chance aussi, eût été inutile, mais il ne regrettait pas son acte. Sur le terrain, il y avait des nécessités. Des décisions parfois difficiles à prendre. Et s'il s'entrainait dur au sabre laser, ce n'était pas pour donner des spectacles de gala.

Le jeune homme avait presque un peu de mal à comprendre que cet acte perturbât autant Ulrich et la fragilité de son compagnon lui fit percevoir avec culpabilité sa propre solidité. Pourtant, dans l'enchaînement des événements que décrivait Ulrich, il ne parvenait pas à trouver de la place au doute ou au remord. Son camarade n'avait pas eu d'autre choix et dans cette défense qu'il lui construisait, ses sentiments ne prenaient pas de part — pure affaire de raison.

La suite du récit ne le surprit guère non plus. Les quelques semaines qu'il avait passées en compagnie du Grand Maître de l'Ordre lui avaient montré les liens douteux qui unissaient les Jedis à la République, souvent bien malgré eux, et il croyait désormais volontiers que les machinations les plus diverses se mettaient en place. Ses propres théories étaient du reste beaucoup trop élaborées pour qu'il ne crût pas possible qu'elles fussent employées dans la réalité.

En revanche, les quelques louanges accordées à Vel le crispèrent beaucoup plus que le reste du récit. Comment ça, une femme exceptionnelle ? Et de quel droit ? Comment ça, faits l'un pour l'autre ? Fort heureusement, les précisions de son compagnon apportèrent un trouble d'une autre sorte dans l'esprit du jeune homme. Jamais Ulrich et lui n'avaient parlé si clairement de leur relation — il était vrai qu'ils n'en avaient guère eu le temps.

Si c'était une chose de s'être rendu compte, pendant l'absence de son camarade, de la nature de l'affection qui l'avait porté, cette nuit-là, vers lui, c'en était une autre de l'entendre ainsi exprimée si clairement et avec un tel air d'évidence. Quelque sombre que fût le récit qui entourait cette déclaration, Orme ne pouvait s'empêcher de sentir un intense bien-être se répandre dans son âme et, instinctivement, son corps se pressa un peu plus contre celui d'Ulrich.

Les explications familiales lui parurent plus confuses que l'exposé d'un complot politique. Il y avait des domaines dans lesquels l'esprit d'Orme était régulièrement tenu en échec et les relations qui unissaient les personnes était l'un d'entre eux. Il n'avait d'ailleurs strictement aucune idée de ce que pouvait bien être un complexe d'Oedipe. La suite des événements, plus factuelles, était plus accessible et il n'y eut pas jusqu'au silence d'Ulrich qu'Orme n'entendît.

Le jeune homme resta un moment silencieux. Les problèmes étaient vastes, il le comprenait, et il comprenait aussi qu'il ne devait pas en juger l'effet sur Ulrich à la lumière de celui qu'ils eussent eu sur lui. Sa foi inébranlable ne nourrissait pas les mêmes doutes que ceux de son compagnon. L'exercice n'était pas aisé pour le Coruscantien. Finalement, d'une voix encore un peu lointaine, il murmura :

— Je vois.

Il se détacha de son compagnon pour s'agenouiller en face du fauteuil, cherchant de son regard noir le regard d'Ulrich. Il plongea la main dans les profondeurs de sa tunique et en sortit son sabre laser, une arme remarquable, fort éloignée des sabres d'apprenti, et dont les qualités et particularités témoignaient d'un art du combat recherché.

— Je sais que j'ai l'air d'un chiot égaré parfois. Souvent. Et quand on s'est rencontré, ce soir-là, tu m'as vu sous mon meilleur jour peut-être. Un peu hippie, disons. Tout calme. Mais tu sais, c'est pas tout à fait moi. Pas entièrement, j'veux dire. Ce soir-là j'ai eu peur, et j'ai peur depuis, que ce qui te plaise chez moi, ce soit ça. Le gentil garçon tombé des Lunes. Mais euh... Comment dire ?

Machinalement, il fit tourner son sabre entre ses doigts, opération difficile avec un modèle standard mais que les particularités du sien rendait possible.

— Je suis un guerrier. Un chasseur. Pas vraiment un coeur tendre. Sauf avec toi, mais toi, t'es spécial. Juste, je me considère pas comme un gardien de la paix dans la galaxie. Les gardiens de la paix portent pas d'armes. Bref. Les guerriers se battent, et quand on se bat, on tue. J'le fais pas de gaieté de coeur. Ni avec indifférence. Mais c'est une nécessité.

Et les champs de bataille ont plus d'une armée. Parfois, on fait des alliances de circonstances dont on préférerait se passer. J'vais pas t'reprocher ça. Et pourtant, je te jure, j'traquerai le Côté Obscur jusqu'au fin fond de la galaxie si je l'devais.


En une seconde, le sabre disparut dans les replis de son vêtement.

— T'es quelqu'un d'bien Ulrich. C'est banal à dire, mais on vit une époque troublée, et les époques troublées obligent aux choix difficiles. Parfois, elles ôtent le choix. T'as pas à te justifier d'vant moi. Tu dois pas avoir peur d'me choquer non plus. Franchement, j'ai plus de raison de pas vouloir te dire les choses que j'ai faites en missions que toi.

Pour le reste...


Orme se releva pour s'asseoir à nouveau sur le fauteuil près de son compagnon.

— Tu m'racontes que c'que tu t'sens capable de m'raconter. Le reste viendra ou pas. J'suis là de toute façon. Bon évidemment, maintenant que j'sais que tu t'balades avec des femmes exceptionnelles et ce bellâtre de Luke, j'vais m'sentir obligé de m'recoiffer toutes les cinq minutes pour être à la hauteur, j'te préviens, ça va être insupportable.

Orme esquissa un léger sourire, dans l'espoir un peu vain sans doute de détendre l'atmosphère.
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Alors qu'Orme se montrait en protecteur, un frisson me parcourut. Traquer le côté Obscur. Jusqu'au fin fond de la galaxie. Mes bras se croisèrent. Alliance de circonstance ? C'était bien plus que cela. Arme au poing, Vel n'était pas seulement une alliée de poids. Elle était le soldat, véhiculant des principes identiques aux miens. Le bras d'une vengeance commune. Je croisai de nouveau les bras. Si mon ange gardien était si déterminé à vouer sa vie à la lutte qui opposait les Jedi de l'Ordre à ceux dont le lame est celle du sang, devais-je finalement, le considérer comme hostile ?

Une bête enfouie nageait dans les eaux sombres de mon âme. Elles s'agitaient de nouveau, et leur surface devenait trouble. Orme était à la bonne école. Apprenti de la maîtresse suprême de l'Ordre, j'espérais en lui qu'il ne perçoive pas ces effluves confus qui émanaient de moi. Si nous avions longuement discutés de nos lignes idéologiques, il était à présent pleinement conscient que je n'avais plus rien d'un padawan. Et comme les plus érudits le savent, un être qui posséderait en lui la Force, en se détournant de la lumière, acquière d'autres valeurs, qualifiées d'obscures. Mais à mes yeux, c'était bien en cette institution maudite qui m'avait façonné au combat et à des principes erronés que je voyais s'étendre les ailes noires de l'obscurantisme. Je ne su donc à cet instant, si Orme me déclarait sa ferveur à me protéger, ou bien, me mettait en garde, et m'indiquait que si je passais de l'autre côté, il n'hésiterait pas un instant à me combattre.

J'envisageais les troubles à venir, dans notre relation naissante. La crainte m'envahissait. Ma cicatrice me brulait, et je brulais du désir de renverser cet Ordre, aussi aveugle que Luke, le padawan qui m'avait accompagné. Si le garçon souffrait de cécité, c'était bien la ligne idéologique des Jedi qui, selon moi, était porteuse du même mal. À l'heure du combat, dans cette geôle maudite, j'avais senti monter en moi cette rage. Cette colère. Ce plaisir libidineux à tuer. Et c'est ce qui m'avait valu la victoire. Je ne savais pas comment amener les choses.

-Orme... Vel est comme moi. Intérieurement. Son âme est le miroir du mien.

Et Vel, l'infante de la rétribution, avait pourtant passé sa jeunesse aux côtés de l'Ordre Jedi. J'avais peur de la façon dont réagirait mon compagnon. Si ce n'était pas déjà chose faite dans les calculs de son esprit, il élaborerait sans doute un lien évident entre elle et moi. La possibilité que, moi aussi, je connaisse son parcours. Et qu'un jour, toujours sur le cheval de mes idéaux, je devienne bien un chevalier de justice, mais d'une justice que j'envisageais bien plus cohérente que celle que nous impose les grands pontes de l'oligarchie Jedi.

Mon regard s'affaissa au sol. La génuflexion d'Orme, signe d'allégeance, m'avait pourtant effrayé à l'heure où il déclarait se faire ennemi de toute parcelle du côté qu'il disait obscur, de la Force. Des nœuds se nouaient en mon ventre de façon improbable, au même rythme que mes appréhensions face à l'avenir émergeaient. Je ne pouvais me résoudre à laisser Orme sur ma route. Mais si je lui avais fait part de ma volonté de quitter le Temple, pensait-il sincèrement que la Force, celle qui pulsait dans mon âme, allait se plier aux dogmes que j'avais dans l'intention de fuir ?

-T'es un guerrier, et ça s'est toujours ressenti. Mais... tu sais, je ne sais pas de quoi est fait l'avenir. Encore moins le mien. Je veux juste que tu saches, que je ne te regarderai jamais comme on regarde un ennemi. Pour moi... On doit juste pas... On doit rester ensemble. C'est tout. Et peu importent nos divergences.

Mes mains tremblaient. Fallait-il regretter ce que je venais de dire ? Fallait-il espérer qu'Orme ne sois pas plus lucide que moi, sur mon propre futur ? Je ne savais pas de quoi serait fait mon lendemain. Mais je n'excluais pas d'un jour, reprendre les armes au nom de mes propres idéaux. Mais cela, il ne serait sans doute pas en mon pouvoir de le faire, séparé de l'ange, représentant de la funeste institution qui était à mes trousses. Toujours en position de fermeture, mes yeux étaient plongés dans son regard ébène. De retour à mes côtés, je craignais sa réaction. Il ne fallait pas avoir peur de le choquer, à ce qu'il paraissait. Sans en dire davantage sur les ambitions qui enfonçaient leurs racines d'airain dans mon cœur, je lui avais laissé suffisamment de pistes, pour qu'il craigne d'un jour m'avoir comme adversaire. Je mordillai la pulpe de ma lèvre inférieure. Il était impensable de le perdre. Impensable.
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Orme n'avait pas tenté de menacer, ni même d'avertir, son compagnon, car pas une seule seconde il n'avait envisagé qu'Ulrich pût devenir l'un de ceux qu'il était voué à combattre. Les sentiments qu'il portait au jeune homme, sans doute, aveuglaient son jugement et il était fort possible que toute autre Sentinelle eût considéré comme une évidence de cet antagonisme, mais peut-être un peu d'expérience parlait-elle encore en faveur d'Ulrich ; si Orme en effet était habitué aux combats, il y en avait de nombreux encore auxquels il n'avait pris part et, quoiqu'il s'y sentît porté comme naturellement, ils demeuraient, pour l'heure, une vue de l'esprit.

Ce n'était donc pas la perspective de devoir un jour s'opposer à celui qu'il prenait ce jour-là si volontiers entre ses bras, ce n'était pas le spectre de cette catastrophe encore lointaine qui assombrit son visage, et une émotion bien plus personnelle, bien plus futile peut-être, était responsable de ce léger changement. Au goût du Coruscantien, le nom de Vel revenait beaucoup trop souvent dans la conversation, et quelque assurance que son compagnon lui eût donnée, Orme ne pouvait s'empêcher de le trouver désagréable, sans même savoir ce qu'il désignait exactement, le visage qui le portait, si c'était une silhouette ou un caractère qui pût l'éclipser.

En sentant cette jalousie, Orme ne l'en trouvait pas moins ridicule et sa raison, avec ce qu'elle conservait d'indépendance, lui soufflait qu'il y avait peu d'apparences qu'Ulrich eût fait bien des choses compromettantes avec une jeune femme pendant une aventure dangereuse. Mais les aventures justement ne créaient-elles pas des liens ? N'y avait-il pas une solidarité des combattants qui quelque fois donnait naissance à des sentiments plus intimes ? Et puis, comment savoir si c'était la seule occasion où ils s'étaient rencontrés et si, déjà, leur relation n'était pas déjà bien avancé ?

Ces réflexions occupaient bien plus l'esprit du Padawan que la considération des adversités futures et c'était justement parce qu'il était loin de songer à Ulrich comme à un ennemi possible que ses pensées étaient si aisément entraînées en pareil terrain. S'il voyait bien qu'Ulrich et lui avaient peu en commun, il ne songeait pas qu'il pût en naître des difficultés idéologiques ou guerrières, mais s'inquiétait seulement que l'âme de la mystérieuse Vel fût justement si en accord avec celle dont il était lui-même si éloigné.

Son assurance vacillait un peu. S'il ne doutait pas de ses capacités de combattant et si, dans un combat singulier, excès d'assurance ou juste perspicacité, il estimait n'être pas dépourvu d'armes, s'agissant du charme, il était loin de nourrir la même tranquillité et il trouvait alors qu'il avait une bien faible résistance à opposer à la concupiscence sans doute voluptueuse de cette hypothétique femme fatale. Une moue perplexe passa sur son visage.

— J'sais pas.

Se rendant aussitôt compte que sa réponse pouvait être mal interprétée, il s'empressa de préciser :

— J'veux dire, p't'être que tu vas t'lasser. Enfin, te lasser, c't'un... c'est un bien grand mot. Peut-être que je n'ai eu qu'un vernis de choses plaisantes qui t'ont fait une première impression agréable, mais que le temps rapidement effacera tout. Parce que, parce que... On ne se ressemble pas. Et mon âme n'est pas "le miroir" de la tienne.

Orme n'était pas trop certain si ses explications étaient plus profitables que maladroites.

— J'veux dire, on ne s'est pas parlé très clairement à propos de... du fait que... tu sais, du... De.... Euh...

Pris au dépourvu par son propre discours, Orme ne parvenait pas à trouver des mots qui n'avaient jamais employés — ceux dont il avait besoin, lui semblait-il, pour décrire sa relation avec Ulrich étaient tout simples, et lui-même n'aspirait pas aux déclarations grandiloquentes de la littérature, mais même cette simplicité l'intimidait et il craignait encore, malgré les évidences, qu'Ulrich le détrompât soudainement et l'accusât d'avoir donné trop de prix à des gestes, des mots et des situations qui n'eussent pas eu, pour lui, la même valeur.

— Peut-être qu'on va m'éclipser à tes yeux, et que... J'suis peut-être pas assez beau... ou intelligent. Ou courageux. Ou expérimenté. Je sais pas.

Orme rougit de propos qu'il trouvait être futiles et déplacés, au sein d'une discussion par ailleurs étendue et grave. Il se releva sous l'effet de la nervosité, fit quelques pas dans la pièce et ajusta, machinalement, tel ou tel pli de ses vêtements.

— J'suis désolé. C'est ridicule. Et puis, c'pas la question. J'me fais des idées, sans doute. C'qui compte, c'est que je suis là pour te soutenir.


Ce disant, en évitant de croiser le regard d'Ulrich, il esquissa un rapide sourire et se mit à observer avec beaucoup d'application les coutures de sa manche.
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Spoiler:

Stupéfait, j'écoutais Orme, qui mettait sur la table un sujet bien éloigné de l'obscure discussion que j'avais posé. Alors que j'estimais d'une grande gravité les conséquences qu'auraient nos choix et nos divergences, lui me faisait part d'appréhensions étroitement liées avec notre avenir. Alors, il avait peur que je me lasse ? Je savais qu'au fond de lui, il savait très bien de quoi je parlais. Mais ce n'était pas une pirouette. Je voyais que mes propos étaient partie du propos idéal pour y infiltrer ses les sentiments qu'il prenait le plus à cœur.

Alors qu'il s'était levé, s'affairant à remettre en ordre les plis de ses atours, je n'étais pas dupe quant à cette petite diversion. S'il était important pour lui que nous en discutions, il fallait contourner le non-dit. Et s'il estimait que "parler très clairement à propos de... du fait que... tu sais, du... De.... Euh.." s'avère crucial, c'était le moment. Assistant à un choix décisif, j'étais conscient de cette adrénaline qui brûlait mes tempes, propre aux instants qui se prêtent au tournant d'une vie. Je n'avais pas le droit à l'erreur. Je me levai alors, et ralliai la position d'Orme. Dans son dos, j'approchai mon corps de lui, et façon à établir une jonction entre lui et ma poitrine. Mes bras l'entourèrent, et mon visage se pencha auprès de son oreille. Et dans quelques murmures...

-Je suis conscient de ça. Mais moi aussi, je veux être là pour te soutenir. Je comprends tes appréhensions. Je les ai partagé aussi. J'avais peur que tu ne viennes pas. Peur que tout ça se résume à un rêve, sur Iziz. Un acte oublié de ma vie. Et pourtant, un espoir était né, quelque part. Celui que tu reviennes. Celui que tout ça n'ait pas été vain. Tu sais, ça a pas été facile en prison. Mais dans les pires moments... C'était à toi que je pensais. Pour me redonner un peu de réconfort. Et ça me faisait peur. Je ne voulais pas que tu sois une chimère dans mon esprit. Et là, j'ai bien la preuve avec ta venue, et ce que tu me dis que... on a un peu plus qu'un tout petit espoir, tous les deux. Parce que vraiment, je crois que... Je crois que je t'aime. Je m'en suis rendu compte.

Je rivais une nouvelle fois mon regard en direction du spectacle interminable de Coruscant. Ce ciel qui se faisait chaque instant plus lumineux, à mesure de l'ascension du soleil du monde central. Ce silencieux ballet métallique, derrière le double vitrage de mon appartement. Je l'avais dit. Et ce n'était pas rien. Mes mains fébriles se maintenaient sur son abdomen, alors que mon souffle tremblant s'accélérait.

-C'est peut-être absurde. Mais l'absurdité a parfois du sens...

Mon menton se nicha alors au creux de son épaule, comme j'aimais à le faire. Pour chasser les doutes qui régnaient dans l'esprit d'Orme, j'avais choisi d'adopter la solution la plus extrême. Celle qui, j'en étais à présent sûr, percerait la coque de son cœur. Violemment, certes. Mais c'était un mal -si tant est qu'il n'en fût pas plutôt qualifié de risque- constamment nécessaire, pour congédier les ombres du mutisme et du non-dit.

-C'est dingue, j'avais vraiment pas prévu de te le dire.

Alors que j'employai un semblant de ton détaché, peut-être pour sauver la face en cas d'échec, mon cœur battait à tout rompre. Ce que je craignais ? Un silence pesant, accompagné d'une inaction totale de sa part. Il me semblât à cet instant ne jamais avoir avoué mes sentiments. Si j'avais autrefois connu l'amour, c'était par la douleur, et l'absence de réciprocité. Mais je me voyais tisser une véritable relation de fond, avec le garçon originaire du cœur de la galaxie, et pourtant constellé de toutes les étoiles de l'univers.
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Par égocentrisme peut-être, Orme trouvait que ce qu'il venait d'évoquer, maladroitement, avec des tours et des détours, était plus important que les vastes considérations idéologiques qui avaient d'abord fait la conversation, car il ne doutait pas que les sentiments en jeu, et ainsi la solidité de leur relation, pouvaient être le principal rempart qui les protégerait du reste du monde, de la division et de l'adversité — de l'éloignement.

Si Ulrich ressentait pour lui ce que lui-même ressentait pour le jeune homme, si une même douceur un peu inquiète animait ses entrailles quand il songeait à lui, alors, évidemment, ils ne seraient pas ennemis. Il y avait là autant de naïveté que de sagesse, et sa conviction procédait de l'inexpérience comme d'une foi réfléchie. Il manquait de noms et de phrases pour évoquer ces choses peut-être, mais elles n'en étaient pas moins certaines pour son esprit.

La pression du torse de son compagnon, contre son dos, fit naître des frissons au creux de ses reins. Comme ces contacts, qui pendant les premières années de sa vie lui avaient paru impossibles, lui avaient manqué ces dernières semaines ! Souvent, la nuit, son corps avait ressenti la blessure vague d'être séparé d'un autre corps, et cette sensation, pleine parfois d'un brûlant désir, parfois de simple tendresse, avait agité son sommeil.

Ses mains se posèrent sur les mains d'Ulrich. Vraiment, comment craindre que rien les séparât, quand cette étreinte semblait si naturelle ? Ce fut presque un convaincu déjà que le discours d'Ulrich prêchât et peut-être, malgré toutes ses réticences originelles, Orme était-il plus sensible aux actes qu'aux mots. Mais la dernière phrase que prononça Ulrich, elle, l'emportait certes sur tous les gestes et le pauvre coeur d'Orme s'emballa.

Bien sûr, il ne savait pas quoi répondre. Ces mots si simples, qu'il aurait pu répéter, adresser à son tour au jeune homme qu'il avait cherché au péril de sa vie et avec tant de ferveur pendant des jours et des jours, lui paraissaient compliqués et indicibles. Reflétaient-ils ce qu'il sentait lui-même ? Exprimaient-ils exactement cette solution de reconnaissance, de désir, de tendresse, d'impatience, d'obsession, de mille autres nuances de l'âme consciente, qu'était son être lorsqu'il pensait à Ulrich ?

En vérité, des mots pouvaient-ils être à la hauteur de la pulsation du sang dans ses veines, de l'infime contraction des muscles de son ventre, de la chaleur courant sous sa peau, de sa gorge sèche, de la sensation très particulière de l'air qui passait dans ses poumons ? Lentement, Orme détacha les mains d'Ulrich de son abdomen, pour se retourner vers lui.

Il esquissa un sourire timide et souffla :

— Bon euh... On se moque pas, hein. J'ai jamais été dans ce genre de situations.

L'une de ses mains se glissa au bas du dos de son compagnon, l'autre sur sa nuque et bientôt les lèvres du Coruscantien se posèrent sur celles du fugitif. Orme n'avait aucune idée de ce qu'il fallait faire, mais soit que la Force offrît des intuitions parfois moins chastes que ce que professait l'Ordre Jedi, soit que le coeur s'entendît à éduquer le corps, le jeune homme, abandonné à ses impressions les plus profondes, sût répondre à la déclaration d'Ulrich par une déclaration silencieuse, mais non moins sincère.

Comme ce premier moment devait être précieux, Orme ne songeait pas à l'interrompre sitôt ; d'ailleurs il apprenait vite, et s'enhardissait alors que les secondes passées, offrant à Ulrich un témoignage de ses sentiments où à sa innocence angélique se mêlait un désir longtemps tenu sous le boisson. Illusion de la chair ou certitude éprouvée par le réel, Orme sentit ses derniers doutes et ses dernières réticences s'effondrer.

Enfin ses lèvres libérèrent celles d'Ulrich, sa main vola de la nuque au torse du jeune homme et, avec un sourire timide, un peu confus, Orme détourna évasivement le regard et souffla :

— Ca veut dire moi aussi, hein.

Oui, car on était jamais trop clair.
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-... Waoh.

Alors, c'était fait. Je m'étais lancé à corps perdu dans cette bataille, mais le garçon de l'étang avait percé la faille béante de mon armure, une fois de plus. Dans le calme absolu de mon appartement, il m'apparut alors que le tumulte d'acier qui agitait le ciel s'accéléra encore et encore. Mes yeux s'étaient rouverts, à l'instant où les lèvres d'Orme avaient quitté les miennes. C'était un guerrier, il n'y avait rien à redire. S'il préférait les actes aux mots, ceux-ci étaient exécutés dans une maîtrise parfaite des choses de la tendresse et... à présent, je pouvais le dire. De l'amour.

Mon torse, sur lequel était posée sa main, vibrait en tout sens. Mon cœur martelait avec toute l'émotion du monde la volonté de se déraciner de mon être, pour rejoindre Orme Aryssie. Mes joues rosissaient, alors que mon regard était ancré dans le sien. Il me semblât alors que plus rien ne comptait. Ces appréhensions quant à l'avenir. Ces craintes, de ne pas être débusqué. Ces obscurs souvenirs qui rappelaient à mon esprit les expériences traumatisantes que j'avais vécu ces dernières semaines. Plus rien ne comptait, à part lui. Ses iris sibyllins. Ses gestes gracieux. Ses mains délicates. Son souffle rassurant. La pulpe de ses lèvres, et l'adresse avec laquelle il sut m'offrir une réponse plus belle encore que je ne l'imaginais, dans mes rêveries les plus radieuses. Au-delà de l'imaginaire, sans doute y a-t-il l'amour. Et d'une façon assez tragique, l'horreur. Mais parce que la fortune me souriait dans mon infortune, j'eus l'immense chance de me trouver dans la première situation.

Je n'avais pas anticipé cela. Je tentai de m'apaiser. Il n'y a rien de mieux pour cela que d'observer son propre corps. Une des rares belles choses que m'avait enseigné l'Ordre. Cette méditation pleinement consciente me permit de me rendre compte des choses suivantes. Des chatouillements étranges sur mon crâne, mêlés de plaisir et de désir. De fines gouttes de transpiration sur ma nuque. Mes bras gelés, presque amputés de l'éloignement d'Orme. Mais à quelques millimètres de ses doigts, une fournaise violente embrasait mon cœur. Je voulais que tout cela recommence. Que ces quelques secondes hors du temps, du rêve, mais aussi de la réalité, soient de nouveau miennes. Je pris conscience que, si mon âme toute entière réclamait mon hôte, une partie que l'on ne nomme pas s'appliquait à fusionner ce brûlant désir à celui de la chair.

Avec douceur, mes bras entourèrent Orme, et ma main se saisit de mon poignet, qui s'était laissé tombé plus bas que le bas de son dos. J'approchai alors mon visage du sien, en fermant une nouvelle fois les paupières. 1-0. Il fallait égaliser. Mes lèvres glissèrent avec fluidité sur les siennes et, pour la deuxième fois, la plus belle union d'amour qui fusse, depuis l'aube des temps, s'épanouit entre nous. Mon corps se pressa contre le sien, et de longues, longues secondes... d'interminables secondes s'écoulèrent, abomination faite à l'architecte du temps. Mon cœur était au bord de l'implosion.

Je me retirai alors sagement, sans pour autant congédier le désir par lequel j'étais épris. J'avalai alors ma salive, qui ne m'était plus totalement mienne, car s'y mêlait son doux venin, coulant dans ma gorge. Orme ne m'avait pas dit ce que j'attendais de lui. Mais si ce n'était par des mots, c'était bien de sa bouche que s'était glissée sa réponse. Mon regard s'égarait des les abîmes sombres de ses yeux. Mais je savais que, plus qu'aucun autre, j'étais seul à y discerner la lueur d'un espoir commun. L'espérance noire, au sens le plus lyrique du terme.

-T'as raison... C'est beaucoup plus explicite comme ça.

Je détournai alors le regard derrière moi. La réalité me rattrapait, lentement, mais d'un pas sûr. Je toisais le corridor silencieux, dans une certaine appréhension.
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Orme avait été un peu inquiet. Après tout, c'était son tout premier baiser et il craignait de n'être pas à la hauteur. Peut-être n'avait-il pas fait ce qu'il fallait. Peut-être y avait-il des secrets qu'il ignorait, des techniques que l'on apprenait il ne savait où, dans des monastères perdus probablement, une certaine façon, enfin, de s'y prendre, qui certainement n'était pas la sienne. Et alors Ulrich serait déçu — il tenterait de ne pas le montrer, bien sûr, mais cela se verrait — et tout était perdu.

Mais Ulrich n'avait finalement pas l'air si déçu que cela. Il était plutôt... plutôt... Orme retint son souffle. Ses yeux, qui s'étaient détournés un instant, par pudeur, n'avaient pas réussi à éviter ceux d'Ulrich et ils étaient absorbés désormais dans la contemplation de l'incendie qui s'y était réveillé, un incendie agréable, flatteur, et peut-être un peu intimidant. Orme se sentit brusquement fragile, mais cette fragilité n'avait rien de déplaisant.

Le jeune homme se pressait contre son compagnon et, une seconde, il semblait avoir abandonné ses airs de conquérant pour se faire à nouveau ange délicat, comme une nouvelle démonstration de son ambiguïté fondamentale, tour à tour assurée et timide, guerrière et cristalline. Son autre main avait rejoint sa jumelle sur le torse d'Ulrich et froissait légèrement le tissu de son vêtement, tandis que dans ses yeux vibraient un appel d'une voluptueuse innocence.

Il ne put retenir un léger gémissement de protestation quand la main d'Ulrich qui s'était égaré tout en bas de son dos reprit une position plus sage. Orme n'était pas certain des étapes qu'il était prêt à franchir dans cette seule journée, mais s'il y avait bien une chose dont il fût sûr, c'était qu'Ulrich avait désormais le droit, si ce n'était le devoir, de lui offrir des étreintes un peu moins chastes qu'elles l'avaient d'abord été.

Mais son compagnon ne tarda pas à plaider sa cause de façon fort convaincante, et les lèvres d'Orme s'abandonnèrent cette fois-ci aux entreprises des siennes. Des désirs plus profonds, et entièrement nouveau, s'éveillaient en lui. Les songes qui avaient habité ses nuits d'adolescent sans jamais remonter jusqu'à sa conscience brisaient les portes de sa pudeur et exprimaient dans son esprit les scènes les plus séduisantes.

Quand leurs lèvres à nouveau se séparèrent, Orme sentit à la fois la peur immense et l'impatience brûlante que lui inspiraient ces baisers. Les paupières closes, il avait posé sa tête contre l'épaule d'Ulrich et, l'esprit dépeuplé de pensées précises, il se laissait porter par le souvenir de ces sensations. La passion chez lui n'était pas un ouragan dévastateur mais une puissance sereine et tranquille, que les angoisses de sa jeunesse et de son inexpérience, quoiqu'elles lui parussent considérable, ne suffisaient pas à travailler.

Protégé lui semblait-il par l'étreinte d'Ulrich autant qu'il aspirait lui à le protéger, Orme goûtait à la quiétude propice aux méditations. La Force lui apparaissait sous un jour nouveau et certains de ses aspects, qu'il n'avait entrevus jadis que de loin, comme des concepts théoriques uniquement, prenaient pour ses sens mystiques une densité nouvelle, inattendue et, alors que pour beaucoup la passion était une voie du Côté Obscur, Orme venait de faire quelques pas sur le chemin de la lumière.

L'appréhension de son compagnon lui apparut d'autant plus vive. Quelque chose s'y mêlait des tourments subis par Ulrich ces dernières semaines. La conscience aiguisée d'Orme percevait plus nettement les perturbations de la Force qui entouraient son camarade et, alors que son esprit explorait ces contrées sombres, il sentit bientôt que son étrange méditation ne pouvait plus ainsi se soutenir et ses yeux s'ouvrirent brusquement.

— Ulrich...

Le jeune homme se détacha de son compagnon pour suivre son regard, puis ses yeux se reposèrent sur le visage du fugitif.

— Quelque chose ne va pas ?

C'était une affirmation beaucoup plus qu'une question. Orme sondait de ses yeux noirs les yeux de son amant.
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Une fois n'était pas coutume, Orme lisait en moi comme dans un livre ouvert. Si mes sens étaient aiguisés, lorsqu'il s'agissait de repérer un acte ou un autre, qui me permettrait de comprendre la psychologie d'une personne, j'étais nu, lorsqu'il s'agissait de percer son esprit à l'aide de la Force. Alors qu'il avait rompu notre contact physique, je me sentais séparé de mille mondes de l'être qui m'était cher. Mais il me sembla que, revêtant son armure de chevalier de lumière, il préféra, dans une grande sagesse, s'affairer davantage à mes inquiétudes qu'à notre union corporelle.

-Ça ne serait pas honnête de te dire que tout va bien.

Après un dernier regard jeté au corridor, je me plaçai à quelques centimètres de la baie vitrée. Au-dehors, les bruits se heurtaient au double vitrage, et j'observais le ballet d'acier avec insistance. Le soleil répandait les ombres des hautes tours sur les bas quartiers, presque invisibles à l’œil nu. Mes bras se croisèrent, et j'assistais aux premières loges à ce ciel tourmenté.

-Tu sais pourquoi j'ai choisi Coruscant ?

Sans vraiment lui laisser l'occasion de répondre, je poursuivis.

-J'ai horreur d'être enfermé. Je veux me sentir libre. Je ne sors pas vraiment, mais au moins, je peux voir que le monde continue de tourner. Que la vie ne s'est pas arrêtée. Ici, je peux me montrer à travers ma vitre sans inquiétude. C'est une vraie fourmilière. Parfois, on est obligés de se cacher, parce que des gens veulent nous causer du tord. Je me suis dit que le meilleur moyen de me dissimuler était de m'installer dans le lieu le plus évident. Personne ne pense à chercher là où est l'évidence.

Je marquai un temps. J'apposai ma main contre le double-vitrage, et laissait mon pouce caresser l'immense baie vitrée.

-Avant, j'avais une raison de me terrer ici. Je devais me battre pour mes convictions. Ne pas laisser cette injustice me porter de nouveau en prison. Mais maintenant, j'en ai une deuxième. C'est toi. Je peux pas les laisser me retrouver. Qui que ce soit. Maintenant que je t'ai retrouvé, je peux pas me résoudre à te laisser de nouveau. Et pourtant, je vais être obligé de te virer de chez moi à un moment donné. Et crois moi, ça me fait du mal. Mais je veux pas que tu sois impliqué dans tout ça. On va faire comment Orme ? J'ai tout le temps peur. T'es la seule visite agréable que j'attends. Hier, j'avais oublié que j'avais demandé à me faire livrer mes courses à domicile. J'ai failli tirer sur l'employé qui me les apportait. Quel est l'intérêt de fuir la prison, si je me fixe ici ma propre geôle ?

Mes pas me portèrent alors au fond de la pièce. Je saisis de mon frigo une bouteille, et entrepris de remplir deux verres. Je traversai en sens inverse la vaste salle, et en apportai un à Orme (celui des deux qui, naturellement, était imperceptiblement plus rempli, conformément à mes étranges manies du détail, en matière de courtoisie).

-J'ai oublié de te proposer à boire, tout à l'heure. J'espère que t'aimes l'eau pétillante. J'ai rien d'autre, et l'eau courante est vraiment affreuse.

Après avoir bu quelques gorgées de mon propre verre, je posai les yeux sur lui.

-Je suis vraiment heureux que tu ne me juges pas. C'est ce qui compte le plus pour moi. Mais maintenant, j'ai une nouvelle peur. Des choses qui nous dépassent pourraient nous séparer. J'ai peur aussi, que tu soies prêt à prendre trop de risques pour moi. Avant, c'était facile. J'étais un sale gamin embourgeoisé qui avait sa vie devant lui. Mais maintenant, trop de choses planent sur moi pour que...

J'abaissai mon regard. Est-ce que j'étais vraiment en train de signifier à Orme qu'il n'était pas raisonnable qu'on se revoit ? Impensable... Inimaginable...Irréalisable...

-Sérieusement, si l'Ordre Jedi débarque, tu serais prêt à me défendre ? J'ai pas le droit de t'imposer un tel dilemme. Je peux pas t'imposer ça. Et tout ça, ça me rend...

Fureur. Mon regard se durcit, et ma poigne se resserra sur mon verre. Un instant plus tard, je l'envoyai contre la baie vitrée où il se brisa, laissant retomber de multiples éclats. Un démon avait surgi. Celui de la haine. La haine de cette injustice trouble. Mais aussitôt après avoir fait son apparition, il s'enfouit de nouveaux dans les eaux sombres de mon monde. Je m'assis à terre, sur le plancher marmoréen de mon appartement. Une main sur mes genoux pliés, et l'autre, sur mon crâne. Tant de vérités m'étaient apparues, alors même que nous nous retrouvions. Une réalité infâme s'offrait à moi. Mon ventre se noua. Un petit droïde émergea alors d'une pièce annexe. Quatre fines tiges métalliques composaient ses jambes, et il se dirigea en direction des morceaux cassés.

-Faites attention, maître. Vous auriez pu blesser quelqu'un.

-T'es même pas vivant, ferme-la.

-Je dispose d'un programme d'intelligence artificielle nouvelle gé...

-C'est ce que je dis, ferme-la.

Alors que le robot exécutait sa tâche ménagère en silence, je tournai à nouveau mon regard en direction de mon convive.

-Autre confession: Ma chambre rangée, c'était grâce à un truc comme ça.

Ce brin d'humour, bien que déclaré d'une voix aussi froide que rigide, ne participa pas à chasser mes tourments. J'aimais Orme. À présent, je savais qu'il m'aimait aussi. Je savais l'espoir que je plaçais en cette relation. Et je croyais connaître la réciprocité de ces espérances. Mais la poursuite d'une telle relation m'apparaissait impossible. Tout cela avait un air de déjà vu. Je me remémorai l'opéra, donné à Iziz.
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Pendant un instant, Orme se demanda s'il embrassait si mal que cela pour que son compagnon nourrît les plus noires pensées après avoir échangé deux baisers. Mais ces considérations un peu futiles furent rapidement balayées par le discours d'Ulrich auquel, comme à son habitude, Orme prêtait l'oreille la plus attentive. Il était doué pour écouter plutôt que parler, et il y avait dans son attention soutenue, dans son regard perspicace, une sorte de réconfort sérieux et agréable.

Naturellement, leurs déclarations et leurs baisers n'avaient pas balayé, par la magie des sentiments, les problèmes qui se dressaient devant eux, et peut-être les avaient-ils compliqués, en leur donnant plus d'importance. Le Coruscantien se trouvait ramené brusquement à la rude réalité et il ne sentait que trop bien que le moindre des obstacles n'était pas les scrupules et les réticences qui s'élevaient dans l'esprit de son compagnon.

Orme prit le verre qu'Ulrich lui tendit pour le poser presque aussitôt sur la table basse. Quelques pas à l'arrière du jeune homme, il l'observait, les mains croisées dans le dos, et rien sur son visage, dans son regard, ne semblait indiquer que les propos d'Ulrich fussent susceptibles d'éveiller en lui la moindre inquiétude. Les étreintes n'avaient pas érodé son sens stratégique ni entamé son flegme d'homme d'action, et puisque ses craintes intimes avaient été dissipées, il était désormais parfaitement en mesure d'envisager avec efficacité la situation.

Ce fut à peine si le verre brisé lui arracha plus qu'un haussement de sourcils. Mais ce calme d'apparence était loin de l'indifférence et quand un droïde émergea de l'ombre, il ne fallut pas une seconde pour que le sabre-laser du jeune homme, propulsé par la Force, atteignit sa main et qu'une lame dorée vint vrombir à quelques millimètres du robot. Une nouvelle seconde s'écoula, la lame se rétracta et l'arme disparut.

Orme observa un instant le manège du petit droïde, probablement plus absorbé par ses réflexions que par les actions du robot, avant de pousser un soupir, de se tirer de sa contemplation et de venir s'asseoir en tailleur en face d'Ulrich. Sa voix, grave et douce à la fois, offrait une tranquillité qui tranchait avec la nervosité de son ami.

— Bon, écoute. Euh... J'sais pas comment te dire ça sans te vexer, mais j'suis pas vraiment doué pour ménager les egos, alors autant t'habituer tout de suite. J'vais pas t'parler de Kuat, parce que j'sais pas trop comment vous fonctionnez, mais pour l'Ordre Jedi, c'est assez clair : je crois qu'on s'en fout.

J'sais pas si par curiosité t'as déjà consulté la liste des Jedis renégats, de ceux dont on sait qu'ils ont sombré dans le Côté Obscur, de ceux qu'on soupçonne d'avoir arrangé leur disparition, des traîtres, des mégalomanes ou des fous, mais j'peux t'assurer qu'elle est trois fois plus longues que mes deux bras et quand le tas, y a de plus gros poissons que toi.

J'dis pas ça pour être désobligeant, hein, mais les Padawans dont on estime, à tort ou à raison, qu'ils ont tourné leur veste, ils se comptent pas sur les doigts d'une main. Les Sentinelles, en revanche, ça court pas les Temples, et entre eux les gouvernements locaux, la République et le Conseil Jedi, on croule sous les missions et on n'est loin de traquer tout le monde. Quand quelqu'un s'y met, il faut que ça en vaille la peine.

Tu sais, les incidents se multiplient, la République s'ingère dans les affaires de l'Ordre, le Côté Obscur est une menace permanente, y a beaucoup à faire, beaucoup à craindre et beaucoup à parer. C'est pas demain la veille que Bob l'Epurateur va dézinguer ta porte avec sa double lame jaune, j'peux t'l'assurer. Et puis les gens qu'on décapite sans poser d'questions, c'est des types qui massacrent par villages entiers. T'es encore loin du compte.


Les cliquetis du robot qui, ayant achevé sa tâche, se repliait dans son repère, forcèrent Orme à s'interrompre un instant. Il n'était pas fâché que le droïde s'en allât et, une fois de plus, sa confiance fort limitée dans les machines lui faisait considérer l'objet avec une certaine suspicion. Il reporta malgré tout son attention sur son compagnon et, sans lui laisser le loisir de répondre, poursuivit.

— La Galaxie est grande. Y a des criminels plus cons et moins riches que toi qu'on arrive pas à retrouver. J'peux pas être en permanence à tes côtés, ni toi aux miens. Et tu peux pas te cacher toujours. J'dis pas que demain tu dois sortir de ton appart' et courir au grand air. T'as vécu des moments difficiles et t'as tout à fait le droit de t'rouler en boule dans ta cave pour pleurer. C'est pas honteux. Mais dans une semaine, dans un mois, tu peux et tu dois passer à autre chose.

Quant à moi, j'suis là pour toi. Y a pas de dilemme. J'ai pas l'impression de violer mon devoir en étant ici. T'as pas à t'inquiéter pour moi. J'en ai p't'être pas l'air, mais j'suis un grand garçon, je sais ce que je fais et je sais prendre soin d'moi. J'te dis pas qu'ça va être facile, j'te dis juste qu'on est à la hauteur.
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Orme était sûr de lui. Ses propos, incisifs. J'aimais à côtoyer les personnes franches et honnêtes, qui n'enrobaient pas leurs phrases, et allaient directement au but. Il était bien de ces personnes. Et cela n'apportait que plus de cachet à ses mots doux, ainsi qu'à ses actes d'envergure -m'embrasser en était un. Il y avait du vrai, dans ce qu'il disait. Il parvint à me raisonner, dans une certaine mesure. Mais son développement donna naissance à certaines contradictions dans mon esprit. Il s'était mis à mon niveau, par terre, tout en restant calme, comme l'on raisonne un enfant capricieux. Une fois de plus, je me sentais pris de court. Il fallait croire que la part d'éducation qu'avaient raté mes parents, Orme se chargeait de la finaliser.

-T'as peut-être raison...

Je toisais le sol, comme l'eut fait un garnement, conscient d'avoir commis une bêtise. Je me remémorai cette nuit, dans sa chambre...

-C'était pas des paroles en l'air. On s'est jurés d'aller de l'avant, ensemble. Excuse-moi. Je perds un peu mes moyens en ce moment. Mais j'aurais jamais imaginé que les événements allaient se passer comme ça. T'es incroyable tu sais.

Dans le bon sens du terme. Je relevai mon visage.

-Même dans des moments comme ça, où je vois aucune issue, tu réussis à me redonner un peu confiance.

Je laissai un instant de silence s'installer entre nous. Mon regard se mêla au sien, une nouvelle fois. Quoique toujours inquiet, j'étais dans une certaine mesure apaisé.

-T'es vraiment quelqu'un de bien. Mais ce que tu dis, ça règle pas vraiment tous les problèmes. Mon père a le bras long. Et je ne crois pas que les menaces de Vladimir étaient anodines. Ils ont dû apprendre que je m'en étais sorti. Et je peux pas vraiment lutter contre eux. Ils ont la République de leur côté. Et l'Ordre Jedi sera pas là pour plaider ma cause. Mais c'est pas ce que je veux, de toute façon. Tant mieux. Je veux pas faire d'eux mes avocats. Tu sais ce que je pense de...

Ma main s'échoua une nouvelle fois sur mon crâne, alors que je laissais échapper un soupir.

-J'en sais rien. Je suis perdu.

Tant qu'Orme resterait, tout irait bien. J'en étais à présent convaincu.

-Et puis si tu me conseilles de finir criminel... Ça doit avoir quelque chose de sympathique de... de côtoyer un grand ponte de la mafia. Mais j'ai pas cette ambition. J'ai quand même des valeurs que je juge saines. Les malfrats dont tu parles, qui vivent toujours, avec ou sans argent, eux, ils ont un entourage, et ils agissent dans l'ombre. J'ai du mal à me résoudre à ça. Je suis dans l'impasse. J'ai envie de me battre. Mais même en payant à des prix indécents quelqu'un chargé de me défendre en justice, rien ne joue en ma faveur.

Un temps, de nouveau. Je parlais cette fois de façon bien plus sereine, et tentais d'analyser les écueils qui se dressaient sur ma route comme un adulte l'eût fait. Orme n'était pas étranger à cette quiétude, qui prenait le pas sur les tourments.

-Je sais pas ce que je vais faire. C'est pas moi ça, de rester tout seul ici, dans l'angoisse. Mais il faut que je prenne les choses en mains. J'ai juste à trouver une solution. Et je vais essayer de me forcer à croire que j'ai du temps devant moi. Et puis tu dois en avoir marre, d'essuyer mes complaintes. Je suis comme ça qu'avec toi. Je crois bien que tu l'as compris... Tu vas finir par te laisser, si je parais toujours faible, indécis et... pas vraiment à la hauteur que je voudrais paraître avec toi.

Je m'approchai alors d'Orme, et me retournai. Ma tête se posa sur l'une de ses cuisses.

-Ça te chagrine pas de voir le vrai Ulrich ?
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Il fallait un élève aussi particulier qu'Ulrich pour que la pédagogie toute personnelle d'Orme pût porter ses fruits. Le jeune homme ne comptait plus le nombre de fois où ses remarques un peu trop directes avaient définitivement froissé les camarades auxquels il avait proposé son aide pour s'entraîner au sabre-laser. A présent, il se demandait si Ulrich l'aimait parce qu'il était direct ou s'il supportait qu'il fût direct parce qu'il l'aimait.

Quoi qu'il en fût, il était heureux que son compagnon ne se formalisât pas de ses propos. S'il y avait bien un domaine dans lequel Orme était certain de ne jamais progresser, en toute bonne foi, c'était celui des belles lettres, et s'il ne manquait pas à sa façon de sens rhétorique, il savait qu'il ne serait jamais un grand diplomate. Qu'Ulrich pût supporter cela, et même y trouver une sorte de réconfort, était un bien nécessaire.

Le jeune homme était bien conscient que ses remarques ne pouvaient pas dissipé toutes les inquiétudes de son compagnon, et s'il n'avait fait rouler son discours que sur l'Ordre, c'était qu'il estimait, lui aussi, que les autres adversaires auxquels s'affrontait Ulrich étaient les plus considérables. Il ne trouvait pas non plus que son compagnon fût sans ressource de ce côté-là, mais les choix à faire étaient plus graves.

Bien sûr, Orme avait plus de sens stratégique que de sens politique, et si l'un et l'autre domaines n'étaient pas sans lien, il avait conscience que les solutions étaient plutôt dans l'esprit de son ami que dans le sien. A la place d'Ulrich, il savait pertinemment les décisions qu'il eût prises, mais ses aspirations et ses principes étaient fort différents de ceux du jeune homme, et Orme ne pouvait guère que le guider de très loin.

Il y avait au moins une partie de sa réponse contre laquelle il n'était pas désarmée. Après l'avoir laissé s'installer contre lui, Orme déposa sur les lèvres d'Ulrich un doigt qui lui intimait le silence.

— Chut. T'es bête. T'as le droit de te plaindre, mais pas de te plaindre de te plaindre. Et puis, t'es pas faible. C'est normal d'être indécis. J'suis tout le temps indécis, moi.


C'était parfaitement faux mais également sans importance.

— Tu me montreras combien t'es viril et décidé à un autre moment.

Pour la première fois de sa vie, Orme prit conscience du double sens de sa phrase. Cette découverte le laissa quelques instants songeur et il était aisé de deviner que ces songes étaient loin d'être désagréables. Se reprenant enfin, le jeune homme rougit légèrement et fit tous les efforts du monde pour dissiper les images peu innocentes qui avaient commencé à peupler son esprit.

— Oui, bon, bref. Qu'est-ce que j'disais ? Ouais. Bien sûr qu'il reste des tas de problèmes. Mais encore une fois, la Galaxie est grande. Tu peux pas à la fois dire que la République est infâme et te morfondre parce qu'elle te traite comme un ennemi. C'est pas facile, mais c'est quand même un peu c'que tu voulais. Disons que le hasard te force à te prendre toi-même au mot.

En parlant, Orme avait déposé une main sur le torse d'Ulrich, et désormais elle remontait lentement, pour caresser, avec douceur, le cou du jeune homme, sa joue, ses cheveux.
— Tu peux pas lutter maintenant. T'as pas vingt ans et t'as pas d'organisation pour te soutenir. Bah écoute, tu vas vieillir et tu vas te développer. La République, elle est pas partout. Elle n'est pas non plus indivise, univoque, comme un gros rouleau compresseur. T'es pas forcé d'être un criminel pour vivre discrètement.

Maintenant...


Orme s'interrompit. Il porta sa main libre devant sa bouche pour étouffer une quinte de toux et, pendant une seconde, son regard se fit un peu distant, comme s'il se sondait lui-même. Forçant un sourire à travers sa douleur, il reprit presque aussitôt la parole.

— Maintenant, t'es pas obligé de faire tout ça là à la seconde. Tu peux m'faire visiter ton appartement. Me montrer ton holofilm préféré. Me faire la démonstration de tes incroyables talents de cuisinier. Tenter de me battre au sabre laser pour reconnaître ma suprématie indéniable. J'sais pas. Prends...

Sa voix se suspendit de nouveau. Le jeune homme ferma les yeux, prit une profonde inspiration et conclut d'une voix malgré tout un peu altérée.

— Prends ton temps. Et commence par m'indiquer la salle de bain, tiens...

Ainsi certaines choses pendant ces semaines n'avaient-elles pas changé.
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Orme avait apposé son doigt sur mes lèvres. Me yeux s'écarquillèrent. Une fois de plus, ce sentiment de sûreté m'envahissait. Le garçon qui faisait chavirer mon cœur se montrait en protecteur. Sa phrase suivante m'arracha un sourire. Il s'était trahi. Je n'étais finalement pas seul à envisager des étreintes plus enivrantes encore que celles que nous avions eu jusqu'ici. Mais pour l'heure, le temps était à l'apaisement tout particulier que m'offraient ses caresses au long de mon torse, de ma joues, de mes cheveux. Une fois de plus, j'eus l'exquise sensation de lui appartenir. Si ne plus être maître de moi-même me répugnait, j'acceptais volontiers de me livrer à Orme, qui avait gagné ma confiance la plus aveuglée. Mais j’estimais ce partage juste, réciproque, et beaucoup trop exquis pour ne pas en prendre le risque. En vérité, si j’avais à de multiples reprises signalé à mon compagnon qu’il ne pouvait rester trop de temps chez moi, pour sa propre sécurité, je commençais à penser que s’il trouvait les mots, les gestes et les actes pour me convaincre du contraire, sa place ici était toute acquise.

Mu par la volonté de contredire Orme, lui expliquer plus à même mes positions sur la République, lui faire comprendre que je ne la jugeais pas en son intégralité comme étant profondément mauvaise, mais au contraire un support pour revenir à une union des nations, plutôt qu'un gouvernement fédéral, ces pensées s'évanouirent, lorsque je pris conscience du mal qui émergeait dans son corps. Mon sourire avait disparu. J'écoutai toutefois ses dernières paroles, sans pouvoir m'empêcher de constater à quel point il était fort, de chaque jour lutter contre ce qui me paraissait si effrayant. Je devais à tout prix ne pas agir comme je l’avais fait dans sa chambre. Ne pas le laisser dans ce silence blessant. Ne l’accompagner que par mon indifférence. Ombragé par ces tristes réminiscences, je décidai de faire preuve de plus de maturité, quand bien même voir Orme souffrir m’apportait une peine immense. Je me relevai alors, et le guidai à travers mon appartement, les doigts d’une main blottis contre les siens.

-C’est par là.

Nous traversâmes le séjour, pour arriver dans le corridor par lequel était passé le droïde ménager. Je fis glisser mes doigts sur un digipad engoncé dans le mur adjacent, et la porte à côté de laquelle nous nous tenions à présent d’ouvrit. Aux murs noirs comme le charbon, ma salle de bains disposait en son centre d’un jacuzzi taillé dans le marbre, à sa gauche, de la cabine de douche, et au fond de la pièce, droit devant nous, d’un grand miroir, étrangement similaire à celui qui tenait place dans ma cellule sur Hapès. Mais celui-ci, était propre, et ne souffrait d’aucune imperfection. Je lui indiquai d’un mouvement de ma main, qui avait à présent lâché la sienne, le lavabo, surplombé lui, par un miroir en forme de voûte, plus petit que l’autre. Je croisai les bras, un peu anxieux.

-T’as de quoi aller mieux, sur toi… ?

Je ne disposais, en termes de médicaments, que du strict minimum. Je ne savais pas vraiment s’il voulait que je le laisse seul, au moins le temps qu’il calme sa crise. Épris d’une vague crainte, à l’idée qu’il me demande de rester, il ne ferait aucun doute que je m’exécuterais, mais dans l’horreur d’être aux premières loges de sa douleur quotidienne.

-Les mouchoirs sont dans le placard sous le lavabo. Tu veux être seul, ou…

Je mordillai ma lèvre inférieure. Quelle initiative prendre, en pareil instant ? Peut-être que par pudeur, ou par égo, il me chasserait d’ici. Ou au contraire, par volonté de ne pas subir cette épreuve dans la solitude, peut-être me demanderait-il de rester. Mon esprit vaquait en direction des activités auxquelles nous pourrions nous adonner par la suite car, il employait toutes ses forces pour me déconnecter de cet atroce instant qu’était le présent, et me projeter dans une sphère plus douce, plus confortable. Mais rien ne me venait. Je ne parvenais pas à briser le sceau de mes pensées, qui allaient droit à l'affliction de mon compagnon. Inquiétude.
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Orme était convaincu qu'Ulrich ne pouvait trouver la solution à ses problèmes, et envisager celles qui se proposaient, qu'une fois qu'il aurait pris le temps de se remettre des épreuves passées. Sans doute la guérison ne serait-elle jamais totale, mais cela n'impliquait pas, selon lui, qu'il fût sacrifier entièrement ce temps de repos. L'on ne raisonnait jamais qu'avec un esprit clair et c'était cet apaisement, surtout, qu'Orme aspirait à procurer.

Ce qui impliquait naturellement d'ôter au jeune homme de nouvelles sources d'inquiétude et cette préoccupation s'ajoutait cette fois-là à l'habituelle pudeur qu'Orme mettait à ne pas exposer trop clairement l'inconfortable douleur de sa maladie. Elle n'avait pas évolué pendant les semaines qui les avaient tenu séparés et, fidèle à ce qu'il avait dit alors, Orme ne trouvait toujours pas qu'elle fût un mal bien considérable.

Il se leva et suivit Ulrich, la main dans la sienne, répondant d'un hochement de tête à la question de son compagnon. Les dimensions et l'agencement de l'appartement du fugitif retenaient à vrai dire beaucoup plus son attention que les soubresauts d'une crise qui n'avait pas la violence de celle à laquelle Ulrich avait jadis pu assister. Habitué à l'austérité de sa chambre au Temple ou à la modestie du foyer familial, Orme ne pouvait que poser un regard un peu étranger sur les choses qu'il découvrait.

Par exemple, cette baignoire. N'était-elle pas un peu curieuse ? C'était qu'Orme de sa vie n'avait jamais vu et encore moins utilisé un jacuzzi, auquel il était d'ailleurs douteux qu'il pût trouver beaucoup d'intérêt. Familier des missions de traque où l'on couchait dans des tavernes douteuses, les chambres qu'il avait connues à travers la galaxie offraient pour tout confort un lit douteux et une cabine de douche miteuse. Mais la quinte de toux qui le reprenait l'empêcha de se livrer à un examen plus approfondi.

Orme esquissa un sourire malgré tout et, avec douceur mais d'un air qui ne souffrait pas dispute, il poussa Ulrich vers la sortie.

— Juste cinq minutes. Ca va aller. T'inquiète.

A peine la porte s'était-elle refermée sur le jeune homme que l'air indifférent du Padawan laissa place à une certaine faiblesse. Orme s'assit sur le rebord du jacuzzi et déposa deux doigts contre son cou, pour prendre le rythme de son coeur. Alors ses yeux se fermèrent et, puisant dans les premiers enseignements du Temple, le Jedi se concentra pour combattre cet emballement involontaire et reprendre, petit à petit, le contrôle de son corps.

Contre les frémissements quotidiens de la maladie, cet exercice simple suffisait. Naturellement, il devait à l'Ordre une médecine à la fois si douce et si efficace et s'il n'avait été un Jedi, la vie eût été bien plus pénible pour lui. Les minutes passaient et la Force reprenait ses droits sur lui, apaisait son coeur, calmait son esprit. En un sens, la maladie du Padawan, qui le contraignait à garder un contact fréquent et vital avec la Force, avait contribué à faire de lui un excellent Jedi.

Enfin, il rouvrit les yeux, parfaitement apaisé. Pendant quelques secondes encore, il guetta les messages de son organisme — mais tout allait mieux. La crise avait été évitée. Il jeta un coup d'oeil dans le miroir, pour vérifier qu'il n'était pas trop pâle. Alors il ne put résister à la curiosité d'examiner le jacuzzi, tentant de deviner l'utilité des différents boutons. Bien sûr, le meilleur moyen eût été d'appuyer dessus, mais enfin, peut-être que...

Orme pressa l'un des boutons au hasard. Un léger vrombissement parcourut l'appareil. C'était tout ? Le bouton à faire vrombir ? Mais quel intérêt ? Le jeune homme se pencha vers les tuyaux de la baignoire, pour tenter de déterminer si son action n'avait pas eu un impact plus considérable et, comme il s'apprêtait à abandonner son enquête entièrement infructueuse, un jet d'eau parfumée heurta son nez et éclaboussa son visage.

— AYEUH !

Orme se redressa vivement et, d'un revers de manche, essuya son visage — sans grand succès. Conscient que son interjection contrariée avait inquiété peut-être Ulrich, il s'empressa cependant de sortir de la salle de bain, les vêtements un peu humides et le visage encore dégoulinant.

— Euh... J'ai p't'être tripatouillé ton bidule. Mais j'espère que j'ai rien cassé...
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Que diable avait-il pris à ce foutu architecte de concevoir des portes et des murs aussi insonorisés ? Est-ce que c'était ça, le comble du luxe ? Ne pas entendre l'être aimé en détresse ? Ce silence m'était insupportable. Orme s'était voulu rassurant, mais les secondes s'écoulaient avec terrible lenteur. Si le temps m'avait paru figé, lorsque nous avions mêlé nos lèvres l'une avec l'autre, ce n'était décidément pas le moment opportun pour que recommence cette indolence temporelle. Les bras croisés, mon regard était tourné au sol. Que pouvait-il bien se passer, derrière cette porte ? Des flots d'hémoglobine jaillissaient-ils de la gorge de l'ange protecteur, une fois de plus ? Ces pensées m'étaient insupportables. Oui, Orme s'était voulu rassurant. Mais Orme se voulait toujours rassurant, y compris dans les circonstances les plus tragiques. En tous les cas, lorsqu'il était directement affecté. La chose était parfois juste. Mais en ce qui concernait le mal qu'il contenait en lui, je ne croyais pas à ce manque de dangerosité dont il me vendait l'idée.

L'unique battant de la porte coulissa. Je me retournai hâtivement. Orme, dont le visage avait été aspergé d'eau, semblait en bon état, mais il me semblât qu'il s'inquiétait d'un tout autre phénomène. Instantanément, mes craintes se dissipèrent. Homme d'action, il savait par les actes, davantage me rassurer que par l'usage des formules et des mots. J'étouffai un petit rire. J'entrai alors dans la salle de bains. Le jacuzzi vibrait, et commençait à se remplir. J'appuyai alors sur le bouton, pour stopper l'afflux d'eau, et me retournai en direction de mon compagnon, armé d'un sourire en coin.

-C'est vraiment rien Orme.

Je lançai alors une œillade auprès du lavabo. Pas de trace de sang. La vitre n'avait pas même été nettoyée. Mon esprit en déduisit qu'il était parvenu à endiguer le mal.

-Tu connais pas ? C'est un jacuzzi. L'eau qui en sort par différents conduits est supposée te masser. Si tu restes un peu plus longtemps que prévu, tu pourras l'utiliser, si tu veux.

Je ne sus alors à cet instant quelle partie de ma phrase était la plus ambigüe. Était-ce le fait que j'invitais mon hôte à rester plus longtemps que prévu, ou bien, dans ma maladresse, cette proposition, sans doute héritée des tréfonds de mon subconscient, visant à lui faire partager ce moment de détente en ma compagnie ? En vérité, puisque ce seul principe de se prélasser dans une baignoire pour le plaisir, plutôt que pour se nettoyer le corps, devait lui paraître étranger, j'espérais en lui qu'il ne pense pas même au fait que plus d'une personne à la fois pouvait s'adonner aux joies d'un jacuzzi.

-Orme. Maintenant que t'es là... Dis-moi. T'es prêt à rester combien de temps ? Tu comptes revenir souvent ? Je t'ai dit que c'était dangereux... Et c'est vrai, ça l'est. Mais vraiment ici... T'es chez toi. Viens quand tu veux. Je devrais peut-être pas te dire ça. Mais j'ai besoin de toi. J'envisage déjà le moment où tu vas partir, et que je vais me retrouver seul. Je veux pas te quitter encore des semaines.

Assis sur le rebord du jacuzzi, les mains plaquée dessus, je toisais Orme avec tendresse. Mon doigt indiqua le placard, sous le lavabo.

-Et prends une serviette. Pour une fois, t'as vraiment l'air bête.

Mes lèvres se cambrèrent sous l'effet d'une émotion hybride. Semi-narquoise, semi-attendrie.
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Orme avait la maladresse attendrissante (ou désespérante) d'un chaton qui découvrait son nouvel univers. La plupart des objets, dans l'appartement d'Ulrich, des meubles les plus communs aux gadgets les plus sophistiqués, lui étaient étrangers, soit qu'en effet il n'en eût jamais vu de semblables, soit qu'ils fussent d'une toute autre facture, d'une toute autre qualité, que ceux auxquels il avait été habitué par une enfance modeste et une jeunesse de guerrier.

Son air légèrement coupable ne tarda pas à se muer en un léger sourire de soulagement quand son compagnon lui confirma qu'il n'avait rien fait de grave et que l'immeuble ne risquait pas d'exploser à cause de sa curiosité enfantine. Il fit un pas de côté pour laisser Ulrich pénétrer dans la salle de bain et se retourna vers le jacuzzi pour écouter, tout en gardant ses distances cette fois-ci, les explications éclairantes de son compagnon.

Enfin, éclairantes, plus ou moins. Car s'il avait bien compris le principe de la baignoire magique, il doutait un peu de son intérêt. Pourquoi diable pouvait-on vouloir se faire masser ? Pour sa part, il estimait qu'une douche de cinq minutes était amplement suffisante pour se laver, avec toute l'énergie nécessaire, et la perspective de se prélasser dans l'eau chaude et remuante lui paraissait bien étrange. Un truc de riches, sans doute.

D'un ton peu convaincu, il lâcha :

— Je vois...

Bien sûr, il ne comptait pas du tout l'utiliser. Il était certain qu'une fois à l'intérieur, il se sentirait très bête et, surtout, très ennuyé. Ne rien faire d'autre que de se laisser masser était très proche de sa vision de l'enfer. Naturellement, il n'envisageait pas qu'on pût s'y rendre accompagné et que le massage n'était alors qu'une des nombreuses possibilités qui s'offraient à un couple. Son innocence avait été un peu secouée par le désir qu'Ulrich avait fait naître en lui, mais il restait tout de même un ange.

Mais l'attention du jeune homme fut bien vite détournée du jacuzzi pour les questions d'Ulrich. Le sourire d'Orme s'effaça un peu. De toutes les difficultés qu'ils avaient évoquées depuis son arrivée, celle-là seule lui apparaissait considérable, quoique ce fût celle contre laquelle ils avaient le plus de moyens sans doute ; mais il n'y avait cette fois-ci rien d'objectif dans l'appréciation du Padawan.

Il saisit une serviette sous le lavabo et se sécha vigoureusement le visage et les cheveux, laissant après son passage des mèches noires bondir de droite et de gauche, dans un tableau tout à fait anarchique. Les yeux noirs d'Orme se perdirent un instant dans le vide puis, après avoir laissé échapper un soupir, le jeune homme finit par répondre :

— J'peux pas rester tout le temps, évidemment. Sinon, on va s'poser des questions, au Temple. J'ai r'marqué que depuis qu'j'étais devenu le Padawan du Grand Maître, on était un peu plus attentif à mes faits et gestes. Peur que je transmette ce que j'apprends en coulisses à je ne sais trop qui.

Cette surveillance un peu plus étroite l'avait surpris d'abord et il avait supposé que sa réputation avait atteint un nouveau record de catastrophique, mais il avait compris, au bout de quelques jours, que la fréquentation quasi quotidienne du Grand Maître lui offrait des aperçus très spécifiques du fonctionnement interne de l'Ordre, dont il était préférable sans doute qu'ils ne tombassent pas entre de mauvaises mains.

— Mais j'suis un grand garçon et on m'laisse quand même une marge de manoeuvre. Faut juste être prudent. J'voudrais pas qu'en posant des questions sur moi, on en vienne à poser des questions sur toi. Rester en-dessous du radar, c'est ça qui compte.

Pas instant l'idée qu'il pouvait être en danger près d'Ulrich ne semblait rentrer en compte dans son raisonnement, mais il était probable que sa témérité était la seule responsable de cette noble indifférence.

— J'dirais qu'il faut que j'sois au moins la moitié du temps là-bas. En dehors des missions.

Cette solution était loin de le satisfaire, mais c'était la plus raisonnable et, surtout, la plus susceptible de conserver le secret autour de sa relation avec Ulrich et donc de ne pas trop remonter le nom de son compagnon dans la liste des priorités de l'Ordre. Orme releva les yeux vers le jeune homme.

— C'pas génial et j'suis désolé. Mais là, j'pourrais rester jusqu'à demain soir. Ou après-demain. Si tu veux...
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Spoiler:


-Orme.

L'ombre de mon regard s'abattait sur lui.

-Mais rien à voir. C'est pas une pensée égocentrique. Je me doute bien que tu sauras te débrouiller pour venir ici en toute discrétion. Mais quand je dis que c'est dangereux que tu restes ici, je pense à toi, pas à moi. T'as pas l'air d'envisager le fait qu'ici, tu coures des risques. Mais... Ça me fait tellement de bien de te revoir que...

Je revoyais nos lèvres s'entremêler. Les racines souterraines de notre amour avaient émergé, dans la construction d'une entité fabuleuse, et in connue. Notre rencontre avait été propice à pareil événement. Seul lui, avait accompli une telle victoire sur moi. Là où mes amants passés avaient essuyé de violents échecs sur les murs de ma complexe psychologie, Orme avait ouvert une brèche dans mon âme, pour y faire jaillir des effluves lumineux.

-Ouais. Ça me fait du bien. Merci d'être venu. Viens, je te fais visiter.

Au sortir de la salle de bains, nous débouchions sur le corridor.

-J'aime bien la couleur. Ça a quelque chose de rassurant.

Je le guidai alors dans le couloir pourpre, couleur dominante de l'appartement. Si j'avais dû jeter mon dévolu à la hâte sur mon nouveau foyer, toujours était-il qu'esthétiquement, celui-ci me convenait. Mais il était vide. Affreusement vide. Si j'appréciais à vivre seul dans un vaste espace, les circonstances actuelles ne s'y prêtaient pas, pour que j'y prenne un goût quelconque. Pourtant, je savourais ce confort qui m'avait été retiré durant ma pénible expérience en prison. Mes doigts glissèrent sur un autre digipad engoncé dans le mur, et la porte adjacente coulissa. Sans entrer dans la pièce, je désignai de ma main l'ensemble de la pièce. Un lit aux couvertures bordées, des placards inoccupés, des étagères désertes, une petite baie vitrée -moins imposante que celle du séjour, donnant sur un balcon.

-C'est la chambre d'amis. C'est là que tu dors, ce soir.

Mon visage se tourna en direction de l'ange aux cheveux mouillés et, dans un rire léger, pour lui assurer l'ironie de ma phrase précédente, je lui laissai apparaître un sourire calme et serein, le regard enivré par sa beauté.

-Non, je plaisante. Tu dors avec moi, ce soir.

Mes doigts se mêlèrent au sien, et je le menai à la suite de notre exploration. J'étais moi-même surpris de découvrir de nouveaux détails, dans les diverses pièces que je lui faisais découvrir. N'usant que du séjour, de ma chambre et de ma salle de bains, je n'avais pas loisir à me promener seul dans ce logement faussement rassurant. En vérité, si les efforts de l'ancien propriétaire en matière de bon goût contribuaient à exercer sur moi un certain apaisement, je trouvais parfois ce lieu austère et oppressant. Il ne s'y passait rien. À mes yeux, une demeure était à envisager comme une entité vivant, et c'étaient les souvenirs que nous emmagasinions dans les murs de celle-ci, qui forgeaient notre sentiment réel sur le logis. Si celui-ci était nouveau, et vierge de toute réminiscence remontant à plus de quelques jours, je souffrais d'avoir été dans la nécessité de me séparer de mes anciennes demeures. Mais c'était un mal nécessaire, si je voulais effacer les traces de mon existence. Une page s'était tournée. Le déclic fut brutal, mais j'eus au cours des dernières semaines, à la sortie de cette prison, la lucidité de comprendre que, plus rien ne serait jamais comme avant. Il me fallait m'adapter à une vie nouvelle. Il était bienheureux que l'architecte du Destin, si tant était-il qu'il existât, m'avait offert une arme si redoutable pour faire face à ce coup du sort. Cette arme, c'était Orme Aryssie.

À mesure que nous parcourions les quelques autres pièces, toutes -de façon paradoxalement lugubre- aussi propres et rangées que la chambre d'amis, une conviction s'étirait dans mon esprit. Il fallait que j'en fasse part à Orme. Que je le lui demande. Après avoir fait le tour de mon habitat, excepté du côté de ma chambre -par laquelle on accédait depuis le couloir de la porte d'entrée, nous revînmes dans le séjour, plus lumineux encore que tout à l'heure, baigné par les rayons intenses, émanant de l'étoile autour de laquelle gravitait Coruscant.

Je m'assis sur l'une des chaises qui cernaient la table à manger noire, proche du couloir depuis lequel nous débouchions, dans un renfoncement opposé à la baie vitrée. Autour, le frigidaire, une cuisinière high-tech, et des placards lustrés. Tout en toisant Orme, je repensais à quel point j'appréciais en lui sa spontanéité. Beaucoup auraient été réticents -et moi le premier- à agir dans un appartement étranger de façon naturelle. Mais visiblement, il paraissait suffisamment à son aise, depuis le moment où il s'était engagé au travers de ma porte d'entrée, à celui où il avait manipulé les boutons du jacuzzi. Je le lui avais explicitement dit; il était ici chez lui.

-Tu sais, quand tu dis que je ne devrais pas rester terré ici. T'as raison. J'ai besoin de liberté. Mais tout ça... Je sais pas si je suis prêt. Coruscant a beau être le monde le plus peuplé, je suis pas habitué à ça. Vivre en fugitif, me retourner tous les dix pas... Je serais pas à mon aise dehors. Je suis sûr qu'ils mettent tout en œuvre pour me retrouver, sur Kuat. Et... pourtant, dans un sens, t'as raison. Il faut que je surmonte ça. Et je me disais que... peut-être qu'en ta compagnie, ce serait plus facile. Je t'ai fait découvrir mon univers. À ton tour de me dévoiler le tiens. C'est important pour moi de le découvrir. Et je suis sûr qu'il ne se résume pas au temple d'Ondéron. Promis, je te ferai pas honte. Je m'habillerai simplement.
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Si Orme paraissait ne guère songer à sa propre personne dans ses analyses de la situation, les sentiments qu'il avait pour Ulrich n'en étaient pas entièrement responsables et dans l'altruisme presque suicidaire du jeune homme, il entrait une habitude solidement ancrée de se dévouer pour les autres, née tant d'un mépris latent pour lui-même que d'un courage authentiquement généreux. C'était sur ce terrain particulièrement propice à l'abnégation que sa tendresse pour son compagnon bâtissait.

Alors, quand Ulrich évoqua à nouveau les risques qu'il pouvait courir auprès de lui, Orme se contenta de hausser les épaules d'un air peu concerné. Il avait parfaitement compris, il avait évalué ces risques en une demi-seconde et c'était plus qu'il n'en fallait pour décider qu'ils étaient négligeables. Sa vie l'avait habitué aux dangers et il n'était pas fâché de pouvoir en courir pour l'élu de son coeur et pour lui-même.

Il accueillit avec un sourire la conclusion du jeune homme. Cela faisait du bien, et voilà tout : c'était ce qui importait et Orme ne trouvait pas qu'ils eussent beaucoup à gagner à repasser encore une fois les mêmes matières qui, pour graves et douloureuses qu'elles fussent, n'en étaient pas moins simples à épuiser. Ils étaient en danger l'un avec l'autre, ils n'y avaient rien qu'ils pussent y faire et ils ne désiraient pas se séparer. Le sujet était clos.

Orme emboîta le pas à son compagnon, un pas en arrière, et promena un regard un peu distrait sur les pièces, les quelques meubles, les rares objets. Le Padawan n'avait pas un goût prononcé par cet agencement un peu trop contemporain, un peu trop froid à ses yeux, et il préférait de loin les décors surchargés et hétéroclites, où le temps avait laissé ses marques, que le bon goût millimétré des formes géométriques. Mais à vrai dire, tout cela ne lui importait guère.

La chambre d'amis, pendant une seconde, fit naître en lui un sentiment de frustration, immédiatement suivi par une vague inquiétude, lorsqu'Ulrich lui assura qu'ils dormiraient en sombre. S'ils étaient tombés de sommeil la dernière fois l'un contre l'autre, l'expérience n'en paraissait pas moins nouvelle à Orme et il avait un peu de peine à s'imaginer le rituel du coucher auprès d'Ulrich — et puis dormir, c'était une chose, mais enfin...

Orme fit un effort pour chasser ces angoisses adolescentes de son esprit et reporter son attention sur le reste de la visite. Sa main se referma sur celle d'Ulrich jusqu'à ce qu'ils atteignissent la salle principale et que son compagnon s'assît. Resté debout, Orme posa quelques instants son regard sur Coruscant, à travers la baie vitrée, avant de tourner les yeux vers Ulrich et d'esquisser un léger sourire en entendant les conclusions de son ami.

Il voulait découvrir son monde ? Cela risquait d'être un choc des cultures. Orme ne fréquentait plus la paisible frange de la société, entre les classes populaires et les classes moyennes, dans laquelle il avait vu le jour et où la moralité et le respect des règles régnaient en maîtres. Son apprentissage de Sentinelle l'avait conduit dans les milieux interlopes et, d'une certaine façon, il s'y plaisait ; il aimait ce tumulte plein d'incertitudes, comme il aimait le calme des jardins de méditation et des bibliothèques.

Orme fit quelques pas pour se glisser derrière la chaise d'Ulrich et ses mains se déposèrent sur les épaules du jeune homme pour entamer un message où la dextérité naturelle d'Orme comblait son manque d'expérience dans le domaine.

— Hmm. Dans ce cas, c'bien que t'ais des blasters, tu risques d'en avoir besoin.

Bon, ce n'était pas très engageant, mais c'était la vérité — mais il était de toute façon beaucoup plus question d'apparence que de réalité. Les tavernes les plus mal famées n'avaient pas moins de codes sociaux que les opéras les plus luxueux ; il y avait certains accessoires indispensables à exhiber, à défaut de pouvoir se permettre de jouer sur sa réputation pour subvertir les normes. Simplement, les vêtements de luxe étaient remplacés par des outils plus dangereux.

Sans arrêter son massage, Orme reprit :

— Cela dit, encore une fois, t'es pas obligé de te précipiter. Prends ton temps. Si t'as une folle envie de voir des gens bizarres, on peut y aller maintenant, mais sinon, on reste tranquille ici.

Et pour ponctuer sa phrase, le jeune homme se pencha et déposa un chaste baiser sur les cheveux d'Ulrich.
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Mes paupières s'alourdirent. Les mains expertes d'Orme apaisaient les nœuds de mon dos, que l'anxiété d'alors et les difficiles semaines durant lesquelles nous nous étions séparés avaient amoncelé. Je m'affaissai légèrement sur ma chaise, ravalant la pulsion d'un sourire de béatitude. Je ne su si la perception que j'avais de ce massage était embrumée par mes sentiments, à l'égard de la Sentinelle de mon cœur, mais il me semblait tout simplement parfait. Orme avait l'art et la manière d'agir en chaque circonstance, de façon à chasser chaque once d'appréhension. Alors quelques temps auparavant conglomérée de façon obscure, elle s'évanouissait, pour mieux laisser place à cette douce quiétude qu'il m'inspirait.

Le duvet de ma nuque se hérissait et, tandis que d'agréables sensations parcouraient mon corps, je repensais à quel point il était stupide de désirer se confronter au monde du dehors, alors même que je bénéficiais de tous les soins de mon compagnon de cœur. Tout devenait parfaitement naturel. Nous avions brisé bien des murs, et aucune gêne ne pointait l'extrémité de son ombre menaçante. Dans un soupir d'apaisement...

-Tu fais ça bien... Je vais t'en demander souvent, maintenant. Tant pis pour toi.

Il me fallait bien garder la face. Car c'était indéniable; il possédait les bottes les plus redoutables pour me désarmer. Effectivement, nous ne sortirions pas dans l'immédiat. Tantôt frémissant, tantôt poussant une expiration plus forte que la précédente, je profitais de cet instant aussi magique qu'inattendu.

-T'as raison, on va rester un peu. Tu dois être fatigué. Il faut que tu te reposes.

Il fallait dire que si Orme prenait effectivement du repos en me massant, j'avais beaucoup à y gagner. Me vint l'envie brûlante de lui demander de le poursuivre dans ma chambre. Je mordillai ma lèvre inférieure, comme pour réfréner des mots qui eurent courus plus vite que l'esprit. "Ne précipitons pas les choses", me répétais-je. Je tirai alors mes pensées charnelles hors de cet univers de passion, et envisageai la suite de la matinée. Sans doute était-il entre 9h45 et 10h. Je ferais alors livrer notre repas pour midi, et nous sortirions l'après-midi. Ou alors, on resterait là. Mais quelle que soit notre activité, nous l'apprécierons. Et ça aussi, ça me fera du bien.

Peut-être espérait-il, comme il me l'avait déclaré plus tôt, que je lui montre mes talents de cuisiniers. De mon côté, j'estimais que mes arts culinaires se précisaient en un seul mot. Conceptuel. Les plats les plus simples étaient à ma portée, lorsqu'il s'agissait de préparer un plat pour ma propre personne. Mais, éloigné de tout juste milieu, je doutais d'offrir à mon convive un plat, soit trop peu fourni, soit terriblement gras et conséquent. Commander notre déjeuner, oui, c'était décidément la meilleure chose à faire pour dissimuler mes troubles alimentaires. Mais puisque d'une pensée exquise, mais interdite, j'étais passé à celle d’affres plus douloureux, je décidai de me focaliser sur l'instant présent.

-Si c'est un garçon qui t'a appris à masser comme ça, je suis jaloux.

Paraîtrait-il qu'être possessif est une mauvaise chose. Mais Orme était mon Orme, et j'entendais bien ne le partager avec personne.
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Orme n'était donc pas exactement reposé par ce massage. A vrai dire, alors que ses doigts cherchaient les muscles les plus contractés d'Ulrich pour tenter de les apaiser tout en douceur, mais non sans une certaine fermeté, le jeune homme ne pouvait s'empêcher d'en apprécier les contours et de songer à ce qu'eût été ce massage, si ses mains avaient pu se poser non sur le tissu des vêtements, mais sur la peau de son compagnon et cette pensée, qui en attirait d'autres, faisait naître à nouveau des imaginations de plus en plus précises, longtemps interdites à son esprit, mais que ce silence prolongé avait rendues à la fois plus fortes, plus séduisantes et plus intimidantes.

Les yeux d'Orme s'étaient posés sur la nuque d'Ulrich, ils couraient le long de ses épaules, décrivaient la courbe de son cou et, alors que le Padawan tendait un peu le sien, tentaient de plonger sur le torse du jeune homme et de combattre le tee-shirt. Parfois, ses mains ôtaient un peu de la force de leurs pressions et il semblait qu'Orme caressait plus qu'il ne massait la nuque d'Ulrich mais, comme rattrapé par la réalité, le Jedi reprenait bien vite un rythme un peu plus sage.

Il ne parvenait cependant ni à se défaire de ses désirs de plus en plus circonstanciés, ni à les aborder en toute sérénité et ce que son corps lui demandait continuait à lui paraître insurmontable. C'était une chose de masser un cou, mais le reste, tout le reste, était si étrange, si difficile et si décisif à la fois. L'estime que lui portait Ulrich ne risquait-elle pas d'être mise à mal par son incompétence probable ? Son compagnon était si expérimenté, sans doute !

Ces pensées l'avaient tant occupé qu'il n'avait pas réagi aux deux premières phrases de son ami, et en vérité c'était à peine s'il les avait entendues, mais la dernière remarque d'Ulrich jetait un trouble dans son esprit. Orme n'avait jamais touché aucun garçon — pacifiquement, tout du moins — mais il ne pouvait s'empêcher de songer à tous les autres garçons qui avaient connu de semblables faveurs de la part de son amant. Son estomac se serra un peu et ses mains, malgré lui, s'arrêtèrent sur les épaules d'Ulrich.

— Non. C'est la première fois.

Il y avait eu dans sa façon de prononcer ces mots quelque chose qui laissait entendre que leur importance dépassait de très loin celle du simple massage et que pour Orme, tout, absolument tout, dans cette relation, était une première fois, de la main simplement tenue au premier baiser, toutes les tendresses, tous les regards, toutes les confessions. Il se sentait stupide, stupide à la fois de n'être pas plus expérimenté et de s'inquiéter de cela.

— Dis, je...


Il avait envie d'avouer ces choses, un peu comme un crime ou comme un secret, pour prévenir sans doute les espoirs d'Ulrich, pour que son compagnon ne s'imaginât pas qu'il lui offrirait des instants inoubliables, mais aussi pour se débarrasser plus complètement du cocon de névroses qui longtemps l'avait protégé mais dont il s'était échappé désormais.

Ses mains se glissèrent dans le cou, dans les cheveux, sur la nuque d'Ulrich, abandonnant définitivement le massage au profit des caresses.

— Y a un truc que... Euh... C'est bête, hein. Mais ça m'travaille, un peu. Tu vois, j'ai jamais été avec un garçon. Avec personne, en fait. Avant, je détestais qu'on me touche. Ou toucher les gens. C'était affreux. Alors avec toi, c'est la première fois. Que je prends la main de quelqu'un. Que je masse. Que j'embrasse. Enfin, tout. Et euh... Ca me fait un peu peur. C'est très agréable, hein, très... Mais ça m'fait peur.

Il songeait que son image de guerrier héroïque et baroudeur devait un prendre un sacré coup. Mais puisqu'il était lancé, il était bien décidé à s'expliquer complètement.

— Et aussi, bon. J'ai l'impression que toi, t'en es pas exactement à ton coup d'essai. Faut dire, t'es mignon, t'es charmant, et tout. Alors je suppose que tu t'y connais. Et ça aussi, ça m'fait peur. D'abord, j'ai l'impression que j'vais être ridicule. Comparé aux autres que tu as connus. Et ensuite, j'crois que j'suis un peu jaloux.

A possessif, possessif et demi. Orme n'avait pas parcouru une dizaine de planètes en trois semaines pour semer son Ulrich aux quatre vents.
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Alors que ses doigts glissaient sur la surface de ma nuque et se faufilaient dans les touffes de mes cheveux, je reçus la confession d'Orme avec tranquillité. Sans doute craignait-il ma réaction. Il me fallait alors le mettre en confiance, et agir de la façon la plus naturelle possible. Quoique quelques années plus tôt, ce qu'avait vécu Orme, je l'avais, comme toute personne, vécu aussi. Et se moquer de pareil événement eût été sournois. Pour dire vrai, sa déclaration me toucha beaucoup. Alors, j'étais le premier ? Le premier qu'il avait choisi, c'était moi, et personne d'autre.

-D'accord. Il faut pas que ça te perturbe. Moi, ça me dérange pas que t'aies eu personne avant. Dans un sens, je suis même vraiment heureux. Si je suis le seul qui a eu droit à toutes tes faveurs, ça m'honore vraiment. Vois-le plutôt comme ça. Et puis ton soi-disant manque d'expérience... Ça se voit vraiment pas. Il faut juste agir de façon naturelle.

Je me relevai alors, et mes bras fins enlacèrent Orme. Un instant, je plongeai mon regard dans la beauté de son visage. Je fermai alors les yeux, le temps d'un long baiser. Mes lèvres glissaient contre les siennes, et les battements de mon cœur se firent plus vifs, plus intenses. Alors que nos salives se mêlaient l'une à l'autre, je faisais glisser mes mains contre son dos et sa nuque, à mesure que le temps filait, et que chaque seconde affairait mon corps à appeler le sien plus ardemment qu'avant. Mon visage se sépara du sien, et je toisais de nouveau celui qui avait su, pierre par pierre, réduire à l'état de ruines le bastion qui cernait mon âme.

-Oui, j'ai déjà un peu d'expérience. Mais on s'en fiche. J'ai jamais vraiment concrétisé euh... Tu sais, je t'aime.

Mon cœur eut un raté. Le pouvoir des mots avait toujours eu le don de m'impressionner.

-J'ai jamais rien eu de très sérieux avant. Mais le tout, c'est qu'on aille à ton rythme. Je veux pas te presser vers des choses que tu percevrais comme une obligation. Ne te force à rien. Et de mon côté... Je vais devoir me contenir un peu. Parce que t'es vraiment incroyablement séduisant, et puis... Enfin oui. Je ferai mon possible.

Un sourire en coin s'arqua au niveau de ma joue, et j'offrais à Orme un regard paisible.

-Y a un truc en plus, avec toi. Avant, j'ai connu que des vagues amourettes. Du coup... On peut dire que je suis aussi à la première fois, non ?

Je pressai davantage son corps contre le mien, bouillonnant de désir à son égard. Un désir qu'il serait de bon ton de réfréner. Je postai ma tête contre son épaule, et laissais glisser mes mains sur son dos.

-Par exemple, j'ai envie de te dire que ta tunique est de trop. Mais je dois me l'interdire.

Mes lèvres s'arquèrent dans un sourire simple, quoiqu'un peu amusé de la réaction que ma phrase pourrait susciter chez Orme.

-Et puis, une chose. Tu seras jamais ridicule à mes yeux. Sauf quand tu sors de la salle de bains en panique, les cheveux et le visage trempés. Mais ça, c'est mignon.

La fraîcheur de ses cheveux caressait mes joues, et il me parut qu'une goutte d'eau en ruissela, pour mieux poursuivre sa course sur mon visage. C'était un très beau présent que m'offrait le destin. Il fallait que j'en apprécie pleinement sa valeur. Et dans un murmure...

-T'es mon Orme. Et moi, je suis à toi. Seulement à toi.
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