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- Hé. Tu t'es énervé, t'aurais pas dû. Elle était pas sympa, elle aurait dû. C'pas très grave. Faut pas être si à cran. La prochaine fois, j'commande à ta place, et tu vas te retrouver avec de la nourriture de lapin.

[...] Orme acheva avec un sourire :

- On va rentrer et on sera tranquille.

Installé au siège passager du land-speeder que nous avions subtilisés, le temps d'une nuit, à l'Ordre Jedi, le véhicule fusait dans une cité d'Iziz endormie. J'avais su m'adapter à la conduite nerveuse de mon camarade. Alors qu'à l'aller, dans mon excitation, j'avais cependant quelques appréhensions quant à la façon dont le pilote esquivait les obstacles, je me sentais en cet instant étrangement rassuré. La proximité que nous avions noué en était sans doute la cause. Le barrage qui nous séparait avait éclaté. Orme se voulait protecteur avec moi.

Les bras croisés, mon visage était rivé du côté opposé à celui de mon voisin. La tête collée contre la vitre du cockpit, perdu dans mes pensées, je réfléchissais à ma propre condition. J'avais la sensation de revivre mon enfance. Ces instants rassurants ou, insouciant de tout, la soirée était finie, et le silence régnait dans le véhicule que conduisait mon paternel. Alors, abrité dans la taule et le métal, j'observais silencieusement les étoiles et les lumières de la ville.

C'était vrai. J'avais agi comme un crétin. Ma suffisance m'avait rattrapé. Dans l'excès, j'avais rappelé à la femme sa condition de classe d'une façon exécrable. Le tout, cinq minutes après que je confesse à Orme mon malaise à agir comme cela. Une belle preuve eût été d'agir plus dignement. Une belle preuve... Une belle preuve d'amour ? Bien sûr que non. Mais une preuve de quoi, alors...?

Contrarié par ma propre personne, j'observais les quelques personnes qui parcouraient encore les rues d'Iziz. Nous atteignons la bordure extérieure, et ce n'étaient plus les beaux quartiers que nous parcourions. Je voyais se dresser au loin les trois hautes tours de la déchetterie et de la station de traitement de la cité. Le regard absent, et l'âme vive plutôt que l'esprit qui, quant à lui, s'endormait, un flot de sensations étranges se mêlaient en moi. Il s'était passé tant de choses, au cour de cette soirée. Tout avait commencé l'après-midi, dans la jungle. Dans un moment de déchéance, je m'étais saoulé au bord de cet étang, et j'avais fait la rencontre du garçon. De notre débat politique à cet opéra merveilleux, en passant par son analyse de ma propre personne dans ma chambre, pour finir l'un dans les bras de l'autre au terme de la soirée, il me semblait que nous avions vécu au cour de quelques heures ceux que certains vivent en plusieurs mois. Nous avions tant partagé.

Le land-speeder avait à présent franchi la grande muraille qui cernait la ville. Paradoxalement, c'était en ces remparts que je m'étais senti vivant. C'était bien là, que je me sentais aussi libre qu'un courant d'air frais dans la fournaise d'une journée caniculaire. Ma forteresse à moi, quant à elle, était en ruines. Du moins, c'était le cas en présence d'Orme, le plus valeureux assaillant de ma psychologie polycéphale. De son épée scintillante, il m'avait escorté, en pourfendant les affres de mon paradigme erroné, avait ouvert une brèche dans mon âme. Une plaie béante, par laquelle s'étaient déversés mes tendresses, mes peines et mes appréhensions. Et pourtant, Orme, architecte du changement, avait mêlé ces sentiments, alors répandus de façon chaotique, pour en faire une construction cohérente.

Des pensées archaïques veulent que chacun ait un ange gardien. J'avais toujours vu en ces croyances, l'obscurantisme d'une ère éloignée. Par mauvaise foi, je m'efforçais à ne pas comprendre ce qui me poussait à me remémorer de pareils événements. Nous arpentions la route accidentée qui séparait la ville du temple. À la vitesse à laquelle Orme faisait mouvoir le bolide, il était certain que nous n'en avions plus pour longtemps. Mon regard était rivé sur Dxun, la grande lune d'Ondéron. Je n'y étais jamais allé. On m'avait trop souvent dit que dans la jungle dense de la sphère, le danger était de l'ordre naturel des choses. Mais si je toisais le satellite avec envie, peut-être que la raison en était sa couleur. Une pâleur d'émeraude, comme celle qui émane de Kuat, mon monde natal.

Nous arrivâmes au niveau du temple. Le laxisme sécuritaire des jedi voulut que le hangar ne soit toujours pas fermé, alors que l'heure était pour les chevaliers de lumière aux songes. Orme gara le véhicule à l'emplacement même où nous l'avions empruntés, et nous en sortîmes en claquant les portières, notre repas à la main. Alors que nous marchions furtivement dans le couloir du temple -et pour cause, l'heure du couvre-feu avait retenti depuis déjà bien longtemps, il me proposa de venir dans sa chambre, plutôt que de s'inviter dans la mienne. Si je ne le montrais jamais, aller chez les personnes que j'apprenais à connaître m'avait toujours paru passionnant. Il était amusant de voir que l'habitat de chacun était dans deux cas, exactement similaire à la psychologie de son occupant, ou à son contraire, totalement opposé. J'acceptai alors d'être son hôte, puisque lui fut le mien lors de notre sortie à l'opéra -quoique j'eus la sensation d'avoir eu bien plus de promiscuité avec lui que le premier convive venu.

S'excusant d'un désordre que j'imaginais minime, à la vue du ton qu'il avait employé, il ouvrit la porte, et se dévoila à moi un espace... fabuleux. C'était comme si je sondais l'esprit de mon compagnon. Je le suivis alors à l'intérieur de son dortoir. À peu près de même type que le mien, c'était un tout autre décor qui se dévoilait à moi. Un siège de méditation occupait le centre de la pièce, et autour, étaient installés une armoire, et un bureau sur lequel des dizaines d'objets de toute sorte étaient répandus. Si de mon côté, ma chambre était plus épurée, ce n'était aucunement dû à une éventuelle maniaquerie de ma part. La cause était que j'y passais simplement un temps assez restreint. Je préférais m'adonner au confort de la cité d'Iziz ou, quand le temps me le permettait, m'envoler jusqu'à Coruscant, pour mieux croquer le cœur de la galaxie à pleines dents. Mais ici, seule la grisaille m'attendait. Et puis, je l'avais rangé récemment, cet espace où je n'occupais que mes nuits. Peut-être bien en vue d'un départ...

Mon regard balayait les différents accessoires étalés dans la pièce. Des montagnes d'holobooks, trois datapds, et sur son bureau des cristaux de couleur, des pièces métalliques, et autres fantaisies qui m'étaient alors inconnues. Je m'attardai alors sur des tubes, placés les uns à côté des autres. L'un était ouvert, et je remarquai qu'il contenait des médicaments. Ils me paraissaient être les seuls objets rangés, dans le chaos de la chambre. Mais celui-ci ne m'affectait en rien. J'avais la sensation de nager, les yeux fermés, dans l'esprit même d'Orme Aryssie.

Je posai alors mon sandwich emballé sur le bureau et, par politesse, toujours debout, je signifiai à celui qui m'ouvrait les portes de son antre la chose suivante:

-J'ai pas faim. Prends-le si tu veux.

Il m'avait paru à deux reprises qu'Orme avait une préférence pour ce qui était végétarien. J'aurais dû prendre le même sandwich que lui pour lui, finalement. Je n'avais qu'une hâte. Qu'il me propose de m'asseoir sur son lit. Mais en sa compagnie. Ou alors, si je restais debout, il fallait qu'il m'étreigne de nouveau. C'était la seule condition.
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Toutes les émotions de la soirée n'avaient pas appris à Orme à devenir meilleur pilote — ou tout du moins, plus délicat. Le speeder filait dans les rues d'Iziz et, bientôt, sur les chemins ruraux qui séparaient la ville du temple, a une vitesse scandaleuse et avec des revirements parfaitement improbables. Comme à son habitude, Orme ne semblait accorder à la route qu'une attention très limitée, promenant son regard de droite et de gauche, exactement comme l'eût fait le passager d'une croisière.

C'était à peu près la seule manifestation de ses talents de Jedi qu'il se fût permise en présence d'Ulrich, exception faite de quelques ricochets fort innocents dans l'onde de l'étang. Le sabre à ses côtés était un témoignage silencieux et inactif de sa plus grande spécialité, celle que ses airs d'ange un peu distrait étaient bien loin d'annoncer. Mais sa conduite, faite d'anticipations et de manoeuvres précises, laissait voir quelque chose de cet aspect de sa personnalité.

Ils ne tardèrent pas à arriver au Temple. Par pudeur beaucoup que par véritable distraction, Orme, qui avait remarqué que son compagnon s'abandonnait à ses pensées, n'avait pas ouvert la bouche pendant le voyage. Il aimait trop lui-même à songer et méditer pour ne pas savoir qu'il était parfois agréable, et même nécessaire, fût-ce en compagnie, de pouvoir laisser un peu son esprit vagabonder — et il était surtout loin de s'en formaliser.

Le landspeeder s'arrêta à l'endroit précis qu'il avait quitté quelques heures plus tôt et les deux Padawans laissèrent le véhicule se reposer comme si de rien n'était. Avec une innocence désarmante, Orme proposa à son camarade de rejoindre sa chambre, et il était vrai que le Coruscantien était parfaitement dénué d'arrière-pensée : il se contentait pour l'heure de se laisser porter, sans songer aux développements possibles de leur curieuse situation.

Arrivés devant la porte, Orme, avec un sens de l'euphémisme qui frôlait la mauvaise foi la plus totale, s'excusa pour le léger désordre qui pouvait encombrer sa chambre. Mais une fois la porte ouverte, il était impossible de croire que ce désordre naissait d'un occasionnel défaut de rangement : le chaos paraissait être le système de l'adolescent. Mais un chaos sérieux : la forge, les études et la méditation constituaient manifestement l'essentiel des occupations du maître des lieux.

Orme se glissa à la suite d'Ulrich, pressa un interrupteur pour fermer la porte et tourna légèrement un bouton pour qu'une lumière douce éclairât la pièce. Il déposa son sandwich sur le bureau, sans se soucier vraiment des petites pièces métalliques que l'arrivée du nouvel objet faisait s'ébouler, apportant une nouvelle preuve — si besoin en était — que rien ici n'avait de place vraiment très définie. Le jeune homme abandonna ses chaussures pour plonger ses pieds nus dans la moelleuse moquette du Temple.

Il jeta un coup d'oeil au sandwich d'Ulrich et secoua la tête.

— Pas si faim qu'ça. J'mange pas beaucoup. Et puis, pas de viande.

Question de principes. Il posa un regard vaguement interrogatif sur Ulrich. Pourquoi diable restait-il debout ? Orme se rendit compte qu'il était peut-être censé faire des civilités. Sans doute y avait-il un protocole à suivre, quand on invitait ainsi quelqu'un chez soi. Même si ce chez soi se résumait à une chambre et une salle de bain. Le Padawan promena son regard autour de lui, comme si la réponse à ses questions d'étiquette pouvaient se cacher quelque part dans ses affaires.

— Euh... Tu veux... Quelque chose à boire ? Mais t'as déjà pris une boisson. Alors...

Orme passa une main dans ses cheveux.

— J'ai pas vraiment de meuble.

C'était une remarque idiote, bien sûr : toutes les chambres étaient faites sur le même modèle.

— On peut s'asseoir sur le lit, si tu veux, et euh... ça ne me dérange pas qu'on mange dessus, hein. Et puis, sinon, tu peux prendre le siège de méditation. Si jamais tu préfères que...

Il ne savait pas trop quoi, d'ailleurs. Un siège de méditation, selon lui, c'était fait pour méditer et un lit, pour dormir ou s'y vautrer. S'il avait adopté, quelques heures plus tôt, dans la chambre de son camarade, le siège, c'était sous l'autorité de ses névroses et d'une conversation un peu tendue qui impliquaient de garder ses distances. Mais il fallait bien avouer que désormais, les choses étaient bien différentes.

Alors Orme, un peu désemparé par ce problème de protocole inattendu, restait debout au milieu de sa chambre, à guetter la décision d'Ulrich d'un regard vaguement incertain.
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Le siège, ou le lit ? Dans ma chambre, nous avions été cote à cote sur mon lit. Je ne voyais donc pas d'objection à ce que, arrivés à un stade de la soirée où nous nous connaissions encore mieux qu'auparavant, je ne m'y installe pas. Après avoir ôté mon pardessus, je retirai alors mes richelieus, et me dirigeai vers le lit, mes chaussettes en fil-croisé toujours au pied. La moquette chatouillait agréablement la plante de mes pieds. Une sensation que je ne voulais pas délaisser. Alors assis sur son matelas, mes pieds exécutaient des petits mouvements, davantage pour me focaliser sur autre chose que cette vague appréhension naissante.

-Non, j'ai pas de boisson. J'ai pas pris de menu, juste le maxi-bantha. C'est pour ça que la vendeuse s'est énervée, après que je lui ai demandé le détail de tous ses menus, je crois.

Les yeux au sol, je rectifiai.

-Enfin, c'est moi qui me suis énervé. Après. Mais non j'ai pas soif, merci.

Décidément, je ne parvenais pas à relever le visage. Étais-je trop honteux de ce que j'avais commis ? Peut-être était-ce davantage dû à la peur de l'inconnu, qui régnait dans cette pièce agréable. Mon pouce et mon index caressaient un pli de la couverture d'Orme. C'était là qu'il passait ses nuits. C'était sous ces draps que son corps se tenait, chaque soir. J'entrepris alors de me reculer davantage dans les confins du lit. Mes pieds ne touchaient plus le sol, et mon corps était à présent semi-allongé sur le matelas. Adossé à l'oreiller, je cru percevoir l'odeur du propriétaire des lieux. Orme sentait indéniablement bon.

-Pourquoi t'es végétarien ? On doit souvent te le demander, mais c'est par convictions, ou t'aimes pas la viande ?

L'ombre d'une crainte se profila. Beaucoup de végétariens font une affaire de principes à ne pas manger de viande, pour la simple raison qu'ils répugnaient à tuer des animaux. Dans les hautes-sphères, nous trouvions cette pensée somme toute ridicule, et en parlions allègrement, en justifiant nos toasts au foie gras de volaille qu'il était dans la nature humaine de se nourrir de viande. Si Orme avait la pensée contraire, le fait que je gâche mon sandwich serait peut-être mal perçu. Je risquais alors de marquer un second point négatif.

Je ne savais pas à quoi tout ça menait. J'étais dans la chambre d'un garçon, passé le couvre-feu, et une chose était évidente. Ce qui nous liait n'était pas de l'ordre de l'amitié. Un frisson me parcourut, et mon corps trembla. Mon regard toujours fuyant, j'espérais en Orme qu'il ne s'en soit pas aperçu. Sous ma marinière en laine précieuse, avoir pris un coup de froid paraissait bien improbable.
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Comment ça, il n'avait pas commandé de boisson ? Mais ça servait à quoi, alors, de demander des détails sur tous les menus ? Orme réprima une envie de rire, par crainte de vexer son camarade, mais un sourire se fraya un chemin jusqu'à ses lèvres. C'était bien la peine de se donner des airs d'aristocrate froid si c'était pour se décomposer devant les offres de la sandwicherie locale ! Et, surtout, c'était définitivement très attendrissant.

Orme contempla pendant quelques secondes, sans y prendre garde, Ulrich assis sur son lit. Une fois de plus, il sentit monter en lui l'irrépressible envie de protéger ce jeune homme si fragile, si désorienté et si timide — timide seulement avec lui, peut-être, seulement dans cette chambre, mais timide malgré tout. Il avait l'impression de s'observer dans un miroir inversé, comme si Ulrich avait été son exact opposé.

Délaissant également son sandwich, Orme abandonna ses méditations et s'approcha du lit, pour s'asseoir tout au rebord. Une hésitation un instant le saisit. Ces étreintes qui lui avaient été si naturelles dans les rues d'Iziz, un quart d'heure plus tôt à peine, lui paraissaient plus difficiles à présent, mais à la fois plus désirables, comme si elles avaient pris, alors qu'ils avaient franchi le seuil de sa chambre, une importance nouvelle.

Mais Orme craignait, en écoutant ces réticences nouvelles qu'il comprenait mal, de céder à nouveau à ses anciennes névroses et plus que tout il souhaitait se débarrasser pour de bon, si toutefois cela était possible, de ces craintes irrationnelles, épidermiques, qui avaient si longtemps obsédé son esprit, entravé sa vie et, même, son travail. Céder à son désir, aussi innocent fût-il, exigeait de lui plus de courage que de le combattre — mais le courage, ce n'était certes pas ce qui lui manquait.

Alors, abandonnant autant que possible ses doutes, le jeune homme s'allongea sur le lit et cala sa nuque contre les jambes d'Ulrich, déposant sa tête sur les cuisses de son compagnon. Une étrange palpitation animait son coeur et il ne put réprimer un léger soupir, de soulagement ou de satisfaction. Les yeux fermés un moment, il parut ne pas devoir répondre à la dernière question d'Ulrich, puis, enfin, les rouvrant pour poser son regard noir dans celui de son compagnon qui le surplombait :

— Je suis un Jedi.

A vrai dire, la question lui avait paru un peu étrange. Il fut tenté un instant de répondre comme il en avait l'habitude, avec des concepts, des descriptions mystiques, qui étaient un moyen ne pas livrer les expériences premières qui étaient à l'origine de ses convictions, quelque fût le domaine. Mais Ulrich avait fait tant départ pour se dépouiller de son masque qu'Orme songeait qu'il lui devait, à son tour, d'abandonner ses esquives.

— Bon, euh... C'pas très intéressant, hein. Mais un jour, y a trois ou quatre ans, j'étais sur Endor — c't'une petite lune vers les régions inexplorées — donc, j'étais là-bas, à cause d'un trafic d'armes, et, bref, j't'épargne les détails, mais j'étais perdu dans la forêt. La nuit. Et mon Maître était sur un vaisseau, en orbite.


Manifestement, Orme n'avait pas l'habitude de raconter des histoires. Il s'arrêta pour réfléchir quelques secondes, afin que la suite de son récit ne fût pas aussi embrouillée que son commencement.

— Je fais un feu. Là un Gurrack, une sorte de... euh... de gros loup s'approche. Il a l'air de m'envisager comme son repas du soir. Alors je ferme les yeux. Tu sais, le truc qu'on nous apprend pour dompter les bêtes sauvages, mais qu'on peut jamais essayer, parce qu'au Temple, il n'y a pas d'animaux domestiques et qu'en mission, les seuls fois qu'on en voit, c'est quand ils essayent de nous dévorer et que du coup, tout ce qu'on peut faire, c'est les découper en morceaux ? Bon, ben, en fait, ça marche plutôt pas mal.

La voix du Padawan se fit un peu songeuse.

— C'est une sensation étrange. Ce n'est pas comme si tu rentrais dans leur esprit. Mais tu les sens penser. Sentir. Un peu comme si ton âme se mêlait à la leur. J'ai essayé à nouveau après. Depuis, je ne peux pas vraiment manger de viande. J'aurais l'impression de...


Il esquissa une moue perplexe.

— J'sais pas. Ca m'rendrait triste, je crois.

Puis, comme conscient de s'être un peu dévoilé, Orme s'empressa de recourir à son traditionnel mécanisme de défense et ajouta aussitôt :

— Mais c'est idiot, hein, je sais...
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Il était bienheureux que je n'eus pas le regard tourné en direction d'Orme, à l'instant où je lui dévoilai qu'au final, mon choix ne s'était pas porté sur un menu, mais bien sur la solution la plus simple, après que je demande à la vendeuse de me faire le détail de tous les assortiments qu'elle proposait. Le sourire qu'il exprima alors m'aurait probablement contrarié, car je l'aurais pensé moqueur. Il faut croire que parfois, le destin nous évite quelques lapsus inutiles.

À ma surprise, Orme établit le contact physique pour lequel je redoutais d'être l'initiateur. Sa tête, posée sur mes jambes, il me toisait, un peu plus bas que moi. Jeune et, disposant d'un état de santé somme toute pas si déplorable que cela, je m'efforçais de fermer certaines portes au cheminement de mes pensées, pour éviter tout événement inconvenant en cette situation.

-Je suis un Jedi.

Sa réponse concise me heurta. Je me demandais s'il sous-entendait qu'au fond, moi, qui me permettais de manger de la viande mais, de surcroît, disposais d'un mode de vie qui tenait l'ascétisme en aberration, je n'étais pas un vrai Jedi. Par convictions, je rejetais cette voie. Les principes de l'ordre étaient à mes yeux un non-sens, et je n'avais pas manqué de l'assumer, au bord de l'étang, quelques heures plus tôt. Mais là... Le fait qu'il me le dise, lui. Il me sembla à cet instant être un peu attristé. Comme s'il me voyait comme une personne un peu diminuée.

Il m'offrit alors un récit, pour mieux s'expliciter. Il l'acheva sur une nouvelle preuve de manque de confiance en lui.

-Pourquoi tu dis que c'est idiot ? On dirait que c'est un automatisme chez toi. Je trouve ça intéressant ce que tu dis.

Je portai alors mon regard en direction du paysage à semi dissimulé par le reflet des couleurs et de la lumière projeté sur la vitre. La dernière fois que j'avais regardé par la fenêtre, c'était une pluie colossale qui ravageait les terres d'Onderon. Et... Orme n'était pas aussi près de moi. Soucieux de ne pas rester dans l'inaction, et désireux d'exprimer une certaine réciprocité dans ces contacts physiques qui je le savais, étaient aussi réjouissants pour lui que pour moi, je portais ma main dans ses cheveux, et laissais glisser mes doigts dans ses mèches brunes.

Je me souvins alors du cri du cœur poussé à la vieille ville. Cette déclaration étrange, qui m'avait métaphoriquement dénudé. Comment pouvait-il y avoir une quelconque ambiguïté dans la situation, alors que tout était dit ? La façon dont il se comportait avec moi ne faisait qu'aiguiser mes sentiments à son égard. Lorsqu'il m'avait résonné, avant que nous reprenions la route. Toujours en le tournant positivement, il n'avait pas hésité à me faire savoir que j'avais mal agi. J'avais connu bien des jeunes hommes, ancrés à leur volonté de ne pas me perdre, qui s'écrasaient littéralement devant moi. Et mes actions, aussi exécrables soient-elles, n'étaient pas contredites. Dans certains cas, elles étaient même sollicitées. Orme lui, n'hésitait pas à me faire savoir ce qu'il n'appréciait pas en moi. Et je le voyais comme une personne si pure, et si raisonnable, que je me trouvais bien forcé d'accorder de l'importance à ses dires.

-Je vois ce que tu veux dire. Ça montre que t'es quelqu'un de sensible et d'attentionné.

Ubique. Inaliénable. C'étaient ces mots qui me venaient à l'esprit.

-Je comprends ta pensée. Je suis pas carnassier pour autant, mais je peux pas résister devant certains mets. Je pense que dans ce monde, pour accepter les plus belles choses, il est nécessaire de se corrompre, dans une certaine mesure.

Il fallait qu'Orme comprenne que j'étais lucide, quant à ma condition.

-Sauf...

Toi. Dans un soupir, je tentais d'éviter de lui développer une fois de plus la façon dont je le voyais. Il était certain que pour se parer des plus beaux atours, pour viser les plus hautes places de ce monde, pour accumuler la fortune la plus immense, et pour jouir des plaisirs les plus intense, il était nécessaire d'avoir du sang sur les mains, et de minimiser sa conscience, pour ne pas se laisser ronger. De perdre en somme, une partie de son humanité. Mais Orme, lui, faisait exception à la règle. Car il était bien l'une de plus belles choses qu'il me soit arrivé.
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Il était vrai qu'après les propos qu'Ulrich avait tenus à l'encontre de l'Ordre, du Temple, de toute une philosophie de vie, Orme avait un peu de mal à considérer son compagnon comme un Jedi. Comme il le lui avait dit un peu plus temps cependant, il ne l'en jugeait pas plus mal pour cette raison, et il croyait qu'il y avait quelque réconfort pour le jeune homme à ce qu'il ne le contraignît pas à endosser un rôle qui manifestement lui déplaisait.

Mais, de toute façon, la contrariété que sa remarque avait provoquée lui avait tout à fait échapper et l'adolescent avait poursuivi le fil de son récit préoccupé par la seule nécessité d'y mettre autant d'ordre et de clarté que possible. Maintenant qu'il l'avait achevé, il n'était pas certain d'être parvenu à ses fins et, surtout, l'intimité partagée d'une expérience qui lui était précieuse lui semblait exposer sa fragilité.

Fort heureusement, Ulrich avait un certain talent pour détourner ses pensées. Orme ne savait pas quoi, des paroles réconfortantes prononcées par le jeune homme ou de la caresse légère dans ses cheveux, était le plus efficace dans le domaine, mais toujours était-il que, finalement, il ne se trouvait plus si idiot que cela. Après tout, si la réaction d'Ulrich était une récompense, c'était qu'il devait l'avoir bien méritée, d'une façon ou d'une autre.

Mais certainement, c'était un automatisme. Orme ne se trouvait, après tout, pas très intéressant. Il y avait certaines de ses qualités qu'il savait reconnaître. De ses talents de combattant, par exemple, il ne doutait pas. Il n'en tirait pas vraiment de vanité, mais enfin, cela le rassurait. Et puis, dans le feu de l'action, il ne passait pas son temps à douter de lui. Mais lorsque l'adrénaline ne le soutenait pas, les choses étaient toujours un peu plus compliquées.

Et pourtant, quand Ulrich posait les yeux sur lui, il avait l'impression d'être quelqu'un d'exceptionnel, une sorte d'ange ou de héros, il ne savait pas trop. Ce qu'il avait fait exactement pour mériter cela demeurait obscur, mais il était persuadé — non sans une vague inquiétude d'ailleurs — qu'il n'aurait pas trop de mal à s'habituer à cette douce sensation. Alors les nouveaux compliments de son compagnon éclairèrent le visage du jeune homme d'un sourire ravi.

Bien sûr, comme Orme n'était pas toujours très malin, ses efforts pour deviner ce qui devait suivre le dernier mot d'Ulrich se trouvèrent tout à fait vains. Mais sa discrétion habituelle le retint de demander de plus amples éclaircissements et, à la place, Orme prit le parti de poursuivre la conversation.

— J'suis pas d'accord.

Diplomatique, toujours. Mais après tout, Ulrich devait commencer à avoir l'habitude : ils n'étaient pas d'accord sur grand-chose depuis qu'ils s'étaient rencontrés.

— Ce qui est beau est pur. Et quand la beauté s'assombrit, c'est qu'il s'y mêle quelque chose d'étranger, qui n'a pas de rapport nécessaire avec elle et que l'on peut éloigner, comme le vent, dans le ciel, éloigne les nuages. Parfois, une beauté n'a tout simplement pas le bon écrin. Elle est dans une boîte qui ne lui convient pas, la contraint, la force à se déformer. Mais transportée ailleurs, elle serait plus douce et plus tranquille peut-être.

Oui, bon. Sans s'en rendre compte, Orme parlait peut-être beaucoup plus d'Ulrich que d'un tableau ou d'un bijou. De temps en temps, il tendait légèrement le cou pour appuyer un plus sa tête contre les caresses de son compagnon, comme un chat bien décidé à ne pas laisser passer une heureuse initiative.

— Quant à la viande, je ne sais pas. Je n'en fais pas un système. La nature est faite de prédateurs. Pourquoi pas. Moi, je ne peux pas, c'est tout. J'aime pas non plus conduire des chasseurs, c'est pas pour ça qu'il faut arrêter les voyages intergalactiques.

Une fois de plus, l'hétérodoxie d'Orme laissait apparaître son absence totale de prosélytisme. A vrai dire, Ulrich aurait pu prendre le Méga-Maxi-Giga-Bantha que cela ne l'eût guère choqué et, si son compagnon ne l'avait pas interrogé, il n'aurait jamais exposé ce qui était, moins qu'un système, une conviction personnelle née d'une expérience fort particulière.

— Tant que tu m'manges pas moi.

Orme, ou l'art des phrases à double entente prononcées avec la plus parfaite innocence.
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Sa dernière phrase suscita de ma part un rire innocent. Je retrouvais en sa compagnie une certaine candeur, propre à l'enfance, que mon cheminement personnel m'avait poussé à écarter. J'en vins une fois de plus à me demander ce qu'il adviendrait, une fois que nos routes s'écarteraient. Il avait raison. Il fallait que l'on se revoit. Mais seul, sans lui, mon armure brisée se reconstituerait-elle ? Et si c'était le cas, allait-ce se faire de façon totalement similaire ? À ce jour, je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait, quelques semaines plus tard. Je n'avais aucune idée du fait que je n'allais pas revoir Orme pendant un long moment, et que, après une mission sur Coruscant où les choses auraient dérapé, j'allais me retrouver prisonnier de tortures physiques et psychologiques, sur le monde de Hapès. Ma main se promenait toujours entre ses touffes de cheveux, et je n'imaginais pas à quel point le retour à une réalité, infiniment plus obscure, serait dangereux pour ma propre personne. Je ne me doutais pas que j'allais être amené à tuer, pour survivre.

Mon corps se glissa alors au niveau du maître des lieux. Mon menton se nicha au creux de son épaule, et je posais une main sur son torse. Mon pouce percevait les vibrations de son cœur. J'en avais besoin. À ce qui s'apparentait auparavant à moi, de l'ordre des plaisirs et de la sensualité, se substituaient des actions, propres à des besoins vitaux. La tendresse d'Orme siphonnait les travers de ma personnalité et, une fois morcelée la coquille blindée qui cernait mon cœur, ce dernier, ne pouvait se résoudre à rester seul, et vulnérable.

De la même façon que mon camarade, alors que je trouvais pertinent le développement de ses pensées, je ne fis cette fois aucun lien avec ma propre personne. Si j'étais pourtant habitué à entendre Orme parler de façon si métaphorique, je ne m'associais pas à ce qu'il disait. Loin de me sous-estimer, je ne me présageais pas comme une chose si belle que cela. À vrai dire, j'essayais de pousser à le devenir. Mais mon inconstance à me nourrir, et l'irrégularité de ce que je considérais comme étant un repas, étaient bien placés sous le signe que la perception que j'avais de moi-même était déformée. Mais cela, c'était une chose dont je n'étais pas encore prêt à lui faire part. S'il était avant tout question de pudeur, parce que je voulais tout de même garder une certaine stature, et ne pas passer à ses yeux pour un être définitivement affaibli et menacé, je savais l'inévitable réaction que cela suscitait chez les personnes qui tiennent à vous, lorsqu'une telle annonce leur est faite. Préoccupés, ils vous parlent beaucoup, vous guident vers des rendez-vous médicaux, parfois, vous forcent à manger. Mais ils ne comprennent pas que si ces troubles vous retirent beaucoup, ils vous apportent autant de bienfaits, et qu'il y a une part de volontarisme, lorsque l'on ne déchire pas le pacte que l'on a signé avec ce démon.

Alors que mon esprit divaguait en direction de mes problèmes mentaux, mes yeux papillonnèrent, et je revenais à l'instant présent. Allongé sur mon flanc droit, ma jambe et mon abdomen touchaient le corps d'Orme, et ma main était plaquée sur l'écrin de son cœur. Mes lèvres se cambrèrent dans une expression rayonnante. Un sourire en coin naquit à la surface de mon visage. Les paupières closes, je savourais l'instant idyllique que m'accordait le destin. Si je privais ma vision d'une telle beauté, c'était pour mieux me concentrer sur mes autres perceptions. La peau de son cou, que touchaient désormais mon nez et mon menton, qui s'étaient approchés dans l'angle de son épaule. Son odeur enivrante. Le son de sa respiration régulière.

Il me parut, dans cette transe divine, commencer à m'assoupir. Le décor qui nous cernait fuyait. Les meubles s'écroulaient silencieusement, et les centaines d'accessoires que composaient la chambre de l'ange s'aggloméraient autour d'un maelström muet, au centre la pièce. Tout fuyait. Les couleurs. Les formes. La lumière. Il n'y avait plus qu'Orme. Plus qu'Orme et moi.
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Orme fut un peu étonné d'entendre Ulrich rire. C'était peut-être parce que la réaction comptait parmi les plus normales que l'on pût avoir après sa remarque qu'elle surprenait Orme. Ulrich l'avait habitué aux tours et détours, et le voir céder de la sorte à une impulsion pure et simple était aussi inattendu que réconfortant. Orme, pour sa part, ne put réprimer un sourire de fierté — après tout, il était l'auteur de tous les exploits qui, depuis leur rencontre, tiraient Ulrich, pour quelques heures du moins, loin de ses obscurités.

Le jeune homme se décala un peu pour laisser son compagnon s'installer contre lui et ces gestes, qui la veille lui eussent paru inconcevables et peut-être, même, douloureux, il les accueillait avec une impatience informulée qui nouait son ventre dans une délicieuse attente. La main d'Ulrich sur son torse, sa jambe près de la sienne, son souffle léger dans son cou, toutes ces sensations l'éveillaient à un monde nouveau ou, plutôt que nouveau, à un monde désiré mais jamais regardé avec assez de courage.

Hésitant d'abord, le jeune homme finit par passer un bras autour d'Ulrich et déposer une main au bas du dos du jeune homme. Il avait envie de faire quelque chose de plus, sans savoir exactement quoi et son coeur, sous les doigts de son ami, sous la combinaison noire, battait toujours un peu plus vite. Les vagues rêves qu'Orme avait, comme tous les adolescents, nourris de temps à autre, semblaient désormais autant de futur possible.

La conversation était retombée et le silence n'aidait pas le jeune homme à reprendre le contrôle de ses pensées. Pas de petit débat à agiter pour éviter de songer à ce corps pressé contre le sien, à ce main étrangère qui n'avait qu'un geste à faire pour descendre la fermeture de sa combinaison et trouver le chemin de sa peau, à... Orme prit une profonde inspiration et tenta de songer à tout autre chose — la culture du champignon sur Bakura, par exemple.

Mais ces tentatives étaient vaines. Si Ulrich se sentait assoupir, Orme, lui, se sentait de plus en plus éveillé — éveillé et fébrile. Il regrettait presque de n'avoir pas ouvert son sandwich et commencé à manger, pour se donner une contenance mais, dans le même temps, il était ravi de ne l'avoir pas fait, et même cette étreinte si simple et si innocente encore faisait naître en lui des plaisirs entièrement nouveaux.

Une sensation étrangère cependant se mêla à son désir croissant. Un goût familier, métallique, se répandait soudain dans sa bouche et, bientôt, son coeur se contracta brusquement dans une palpitation plus puissante que les autres, mais qui ne devait rien, elle, à la présence d'Ulrich. Avec un peu de brusquerie, bien malgré lui, Orme repoussa son compagnon, bondit du lit et disparut dans la salle de bain sans un mot d'explication.

Mais la quinte de toux déchirante qui se fit bientôt entendre suffisait à éclairer son comportement. Dans son évier, le jeune homme crachait son sang en tentait de faire reprendre à son coeur un rythme plus normal et, surtout, moins douloureux. Bientôt, il tendit la main vers sa chambre, et l'un des flacons de médicaments qui trônaient sur le bureau s'éleva dans les airs, traversa vivement la pièce et disparut à son tour dans la salle de bain.

Après avoir avalé quelques-unes des gélules qu'il devait aux soins constants des Guérisseurs du Temple, Orme s'adossa contre le mur carrelé de la salle de bain et se laissa glisser au sol, guettant, avec une fièvre anxieuse, l'apaisement prochain de son muscle cardiaque — chaque seconde qui séparait la prise du médicament de son effet apportait une nouvelle douleur, et le sang, brusquement, violemment, pulsait dans ses tempes, dans ses poignets, dans son ventre.

A un plaisir envoûtant s'était substituée une douleur obsédante, et la chaleur du désir éveillée par Ulrich cédait désormais la place à une fièvre soudaine. Habitué à vivre ces crises, passagères mais éprouvantes, dans la solitude de sa chambre, Orme était incapable de se souvenir de cette simple vérité : qu'il y avait à quelques mètres à peine de lui quelqu'un qui, à défaut de pouvoir l'aider vraiment, le réconforterait peut-être.
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Alors que d'un état hypnagogique, j'étais passé à celui d'un sommeil calme et serein en quelques instants, mon esprit émergea rapidement. Il me semblât que des bruits m'avaient éveillé, mais je n'en étais pas certain. Mes yeux s'ouvrirent. Ce n'était pas ma chambre. Non, je me souvenais à présent... J'étais dans celle d'Orme. Mais pourquoi n'était-il pas là ? Machinalement, ma main caressa les plis de son lit, précisément là où il était désormais absent. Je ne savais pas combien de temps j'avais dormi. Il me paraissait avoir simplement battu des cils, mais à chaque éveil, chacun est bien incapable de juger son temps passé au royaume des songes. Pourtant, la lumière était toujours allumée.

Quelque chose ne tournait pas rond. Pourquoi Orme m'avait-il laissé seul, dans sa chambre ? En me frottant les paupières, je quittai le lit. Je passai alors un regard dans mon dos. La salle de bain était allumée, et sa porte était ouverte. Si la pièce était en désordre, j'avais bien remarqué à mon arrivée que celle-ci était close. Mais... si mon compagnon se lavait les dents, se débarbouillait, ou usait d'une quelconque autre façon de sa salle de bain... N'aurais-je pas dû entendre de l'eau couler, ou bien les signes que son corps était en mouvement ?

-Orme ?

Mes pas me guidèrent jusqu'à la pièce où, effectivement Orme se trouvait. Un sentiment d'horreur me prit aux tripes. Dans une expression terrifiée, je plaquai ma main sur ma bouche, les doigts crispés sur mes joues. Quelques gouttes de sang perlaient sur le miroir, et le lavabo était imprégné du liquide rouge. Orme, assis par terre contre le mur, semblait souffrir le martyr. Bien malgré moi, des larmes naquirent au promontoire de regard. Je m'agenouillai aussitôt, la main tremblant sur ma tempe. J'essayais de taire mes pensées. Dans mon crâne, hurlait une voix déchirée. "Arrête !" "Arrête Orme !" "Arrête !!"

Je n'avais aucune connaissance médicale. Et alors que je ne savais pas comment gérer une simple crise de tétanie, quand en plus, il y avait du sang, visiblement sorti de la bouche de mon compagnon d'après les sillons qui perlaient sur son visage, j'étais totalement démuni. Ma voix trembla dans l'air vicié de ce cauchemar.

-Orme, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Qu'est-ce que je dois faire ?!

Fallait-il que je me précipite auprès des guérisseurs du Temple ? Devais-je rester là, mettre mon effroi de côté, et assister le malade de façon psychologique ? Pouvais-je le rassurer en le serrant dans mes bras ? Devais-je me tenir à l'écart ? Peut-être avait-il besoin d'espace. Est-ce que je devais lui prendre des médicaments ? Lui apporter un verre d'eau ? Le tout, c'était de ne pas craquer. Instinctivement, je me saisis de la main d'Orme, et la compressait entre mes doigts. La panique ébranlait toute pensée logique dans mon esprit.

L'ange qui s'était révélé si fort, ne semblait pas seulement avoir une santé fragile. Il paraissait atteint d'un mal obscur, et mon impuissance me glaça le sang.
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Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes. Il les consulte d’instinct en s’éveillant, et y lit en une seconde le point de la terre qu’il occupe, le temps qui s’est écoulé jusqu’à son réveil ; mais leurs rangs peuvent se mêler, se rompre.
Marcel Proust, Du Côté de Chez Swann, Combray


***

Dix ans plus tôt

Dehors, à travers les baies vitrées, à travers les nuages qui entouraient constamment la Ville, le soleil de Coruscant brillait. Les meubles blancs, les draps blancs, les murs blancs ; tout dans la chambre attirait la lumière, comme si l’architecte avait eu jadis l'espoir dérisoire de combattre par ce moyen celle qui élisait domicile toujours dans les hôpitaux, la mort, patient après patient, année après année.

Une femme âgée déjà, qui cachait l'humilité de ses vêtements par une élégance sobre, regardait l'enfant dormir, et des larmes couraient dans le sillon de ses rides. Elle avait le regard profond et coupable des gens qui ont beaucoup vécu et dans ses yeux, bleus et presque froids déjà, des souvenirs se pressaient les uns contre les autres, évoqués sans doute par le dormeur — des souvenirs pareils à ceux des derniers jours.

L'enfant ouvrit les yeux. Sa voix était faible, comme un écho lointain.

— Maman ?
— Orme, mon ange, comment te sens-tu ?
— Tu pleures ?
— Ce n'est rien.
— C'est parce que je pars chez les Jedis ?
— Tu seras mieux là-bas... Il y a des guérisseurs, et... Ce sera mieux.


On l'avait prévenue. Quand elle avait voulu un enfant, huit ans auparavant, on lui avait dit qu'à son âge, malgré les progrès des sciences, les prouesses de la médecine, la conception, pour une humaine, serait dangereuse, que l'enfant pouvait ne pas naître ou bien ne pas survivre à ses premières années. Mais elle avait cultivé si lointain ce désir en elle qu'il avait conquis une vie indépendante et égoïste et quand elle l'avait vu naître, quand elle avait compris son erreur, et que son rêve avait porté la mort avec lui, quelque tendresse qu'elle se forçât à avoir pour l'enfant, elle ne put pas s'empêcher de regretter sa naissance.

Le départ de l'enfant loin d'elle était un soulagement.




***

Orme rouvrit péniblement les yeux pour les lever vers Ulrich. L'expression de son compagnon le frappa. Le spectacle qu'il offrait était-il si pitoyable ? Pourtant, déjà, il sentait les effets de sa médecine et sans doute n'y en avait-il pas, dans toute la galaxie, qui fût plus efficace que celle préparée par les Guérisseurs du Temple. Déjà, son coeur ralentissait, le sang coulait dans ses veines au lieu d'en battre les parois et son corps cessait de bouillir.

Ulrich à côté de lui tenait sa main. Comment était-il parvenu de la porte jusqu'à lui ? Combien de temps cela avait-il pris ? Qu'avait-il dit pendant ces secondes ou ces minutes ? Le temps échappait un peu à la conscience d'Orme, mais peu à peu, les pièces de la réalité s'assemblaient à nouveau. Aussi spectaculaire que fût cette crise, elle ne différait finalement pas de celles qui l'avaient précédée ni de celles qui la suivraient ; invariablement, il suffisait d'attendre.

Orme se redressa légèrement contre le mur et d'une voix un peu rauque, il murmura :

— Relax.

De temps en temps, sa main se serrait un peu brusquement sur celle d'Ulrich, témoignage des dernières douleurs, puis les doigts se détendaient à nouveau, dans une sorte de vague faiblesse, et le jeune homme laissait échapper un soupir. Avec sa main libre, du revers de la manche, il essuya le sang encore au coin de sa bouche et, la tête appuyée contre les carreaux, reprit sa respiration.

— Faut pas paniquer. Ca passe toujours. C'est plus impressionnant que vraiment dangereux.


Il était difficile de déterminer s'il disait la vérité ou s'il se contentait de tenir des propos rassurants pour apaiser son ami. Avec un sourire un peu lointain, il ajouta doucement :

— Faudra t'habituer.

A nouveau, il semblait considérer comme une évidence qu'ils resteraient ensemble, peu importe ce que cet 'ensemble' pouvait bien vouloir dire. Le jeune homme baissa les yeux. Sa belle combinaison noir s'en tirait moins bien que lui et des tâches de sang en détruisaient le charme. Peu importe ; Orme aspirait à un peu plus de confort, après ces minutes éprouvantes.

— Tu peux m'aider à m'rel'ver ? J'vais me changer.

Il préférait de loin revêtir des habits moins parfaits mais qui ne le fissent pas ressembler à un zombie. Comme à son habitude, il était pressé d'effacer les signes de sa maladie, bien décidé à ne pas lui laisser une trop grande emprise sur son existence. C'était ainsi qu'il avait toujours fait depuis son arrivée au Temple et, en vérité, cela ne lui avait pas trop mal réussi.
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Spoiler:

Encore, ce ton rassurant. De nouveau, cette façon légère d'exprimer les choses de l'extrême. Orme ne se dévoilait toujours pas quant à sa maladie, alors que je venais d'assister à un spectacle proprement terrifiant. Je peinais à croire le peu de dangerosité de sa pathologie. J'aidai donc Orme à se redresser, poussant sur mes bras, dont les extrémités étaient jointes à ses mains. Une fois l'avoir relevé, je quittai la salle de bains. Peut-être aurais-je dû rester, le rassurer, passer une nouvelle fois ma main dans ses cheveux, et si aucun mot ne me venait, lui faire comprendre d'un regard persistant que je n'avais pas l'intention de l'abandonner, et que, quelle que soit l'origine de ce mal, nous l'affronterions ensemble. Mais au lieu de ça, je pris la fuite de la façon, en apparence, la moins compatissante qu'il soit.

Après m'être frayé un chemin parmi les accessoires qui jonchaient le sol, je me trouvais face à la fenêtre de sa chambre, les bras croisés. De temps à autres, tout comme mon compagnon avait effacé les traces d'hémoglobine qui sillonnaient ses lèvres, j'écrasais une larme rampante, au long de ma joue. Des frissons me parcoururent. Je repensais à ce coucher de soleil d'Alderaan, là où j'avais rencontré Vel. Je me souvins de cet instant, où la rage était montée en moi, lorsque l'espace d'un instant, j'avais entraperçu ma mère, dans une vision de folie. Elle vociférait comme une harpie, et ma mémoire avait brisé les lignes de son visage, affreusement contorsionnées dans une expression propre à la folie.

Il s'était écoulé deux mois, après l'apparition de Vel, la mirialan du lac. Le décès de ma mère remontait donc à environ... cinq mois. C'est à cet instant précis que je m'aperçus ne pas connaître la date de sa disparition. À la fin de sa vie, nos relations étant exécrables, je ne passais même plus la voir. Car j'avais auparavant toujours contourné les interdictions Jedi, tout en m'accordant bien plus de libertés que n'en transcrivaient leur code. Mais peut-être eût-il mieux valu que je les respecte, pour ne pas ainsi voir dépérir celle qui m'avait porté au monde. Quoique, si tel avait été le cas, j'aurais toujours eu le regret de ne pas avoir été présent. Entre amour et haine, elle avait perdu toute rationalité durant ses dernières années, et sa maladie, bien loin d'arranger les choses, l'avait poussée à l'enfermement. Emportée par la maladie du fumeur, elle était morte seule. Et moi, je n'en connaissais même pas la date. Il est vrai que durant les mois qui avaient suivi l'événement, j'avais tout mis en œuvre pour me détacher à l'extrême de ma génitrice. Et à présent, maintenant que je voyais Orme dans un état aussi abominable, le couperet de la culpabilité s'était abattu sur ma conscience. Mais il y avait pire. Maintenant, j'avais peur pour lui.

Sans me préoccuper des éventuelles allées et venues d'Orme dans la pièce, pour prendre des vêtements propres, je toisais le ciel noir aux reflets de jade, en provenance de Dxun. Dans les abîmes célestes, quelque part, auprès de l'une de ces étoiles, gisait le corps de ma défunte mère. Le temps d'une seconde, me vint à l'esprit une image affreuse. Je me voyais, en costume de deuil, auprès d'une tombe où était gravé "Orme Aryssie." Je ne savais pas bien s'il avait le droit de me faire subir ça. Il fallait que je m'efforce à comprendre que ce n'était pas sa faute, et plus encore, que la victime, c'était bien lui. Mais c'était en cela que résidait le problème. Je tremblais de devoir un jour assister à une funeste cérémonie. Je l'avais fuie avec ma mère, mais je ne voulais pas être amené à vivre pareil événement avec le garçon, qui comptait en cet instant, et de façon sibylline, bien plus que tout au monde.

Une fois de plus, mon pouce délogeait une larme bourgeonnant au creux de mon regard, et je croisais de nouveau les bras, signe propice à la fermeture de toute communication. Il me semblait en vouloir à Orme. Qu'il cesse de minimiser ses problèmes, par pitié. Sans doute espérait-il me protéger, mais en réalité, le fait qu'il m'éloigne de ses écueils me procurait l'infâme sensation de lui être inutile. Il serait bien âpre de lui faire comprendre ce sentiment.
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Ce qui faisait sans doute toute la charme de la relation naissante entre Ulrich et Orme était une incapacité partagée à communiquer de manière sereine. Une fois remis sur pieds, et témoignant dans cette entreprise d'une énergie recouvrée bien plus vite qu'il n'eût été soupçonnable, comme si la vie, après ce soubresaut, s'intensifiait encore un peu plus dans un corps pourtant bien fragile, Orme laissa Ulrich partir sans chercher à le retenir par le moindre geste ou le moindre mot et, quand son compagnon fut sorti, le jeune homme referma la porte derrière lui.

Le comportement d'Ulrich était indubitablement plus douloureux que les contractions de son muscle cardiaque. Ou bien, peut-être, c'était une douleur différente, à laquelle il n'était guère habitué et contre laquelle il ne savait pas s'armer. Orme avait toujours été, au sein du Temple, un jeune indépendant, sympathique ou bougon selon l'heure de la journée, mais évasif en toutes circonstances, plein de talents sans doute, mais peu porté aux concours de popularité.

Les relations humaines n'étaient pas vraiment son rayon — ni dans les négociations diplomatiques, ni dans la vie de tous les jours. Il était un ange, certes, mais un Ange Vengeur, messager des châtiments plutôt que des sermons, héraut des champs de bataille plutôt que de la bonne parole. Alors, il ne comprenait pas que la fuite d'Ulrich était la preuve d'un attachement : il n'y voyait qu'une inexplicable, mais cruelle, mais violente indifférence.

L'adolescent ravala sa déception, descendit la fermeture de sa combinaison et se débarrassa du vêtement. En cinq minutes montre en main, avec une efficacité peu sensible au plaisir simple de l'eau chaude, il prit une douche, se lava les dents, fit disparaître le sang du lavabo et enfila le pantalon large et le tee-shirt deux fois trop grand qu'il utilisait pour dormir et qui achevaient de souligner sa fragilité.

Bientôt, la porte de la salle de bain se rouvrit, laissant échapper des vapeurs d'eau, une légère odeur fruitée et Orme Aryssie, propre, pâle un peu, mais point trop maladif. La promptitude de ses rétablissements n'avait d'égale que la violence passagère de ses crises et constituait une preuve supplémentaire de la présence de la Force en lui. A sa manière, sa mère n'avait pas eu tort de l'envoyer au Temple et nul doute que son entraînement lui sauvait quotidiennement la vie.

Orme posa son sabre sur le chevet et s'assit en tailleur sur le lit. Ses yeux noirs, fixés sur Ulrich, méditaient le comportement du jeune homme. Orme avait beau être un garçon plutôt futé, il ne parvenait pas à expliquer qu'en un instant, son compagnon eût pu passer de la sollicitude catastrophée à la froideur détachée, et ce mystère agitait trop son âme pour qu'il eût l'idée toute simple se sonder la Force pour y démêler les émotions de son ami.

Mais, désormais, il sentait que tout son corps appelait le corps d'Ulrich. Ce n'était plus le désir charnel que leur dernière étreinte avait commencé à éveiller en lui, la chaleur impatiente quoique confuse, mais une conscience de la douceur de ces contacts qu'avait éveillé en lui cette soirée unique dans l'histoire de sa jeune vie. Sans doute ces deux attentes n'étaient-elles pas entièrement étrangères l'une à l'autre, mais, quoi qu'il en fût, Orme ne savait trop s'il devait les exprimer ou non.

Fort heureusement, si Orme était un horrible diplomate, c'était qu'il avait l'habitude de la sincérité beaucoup plus que des détours et, devant une situation inextricable que son esprit ne parvenait pas à résoudre, il employait finalement les moyens les plus directs pour lever ses soupçons. Or, pour la première fois de sa vie, une relation personnelle lui apparaissait aussi décisive que l'une de ses missions : la fuite, habituelle en la matière, était donc impossible et le jeune homme retrouvait son esprit combattif.

— T'es incompréhensible, tu sais ça ?

Bon, évidemment, il n'y mettait pas les formes.

— J'veux dire, on raconte toujours que les filles, c'est changeant, qu'on n'y comprend jamais rien, et tout, mais toi, t'es vraiment pire. J'sais pas moi. J'crois que j'vais t'acheter une de ces bagues de fête foraine qui changent de couleur avec les émotions de c'lui qui les porte, ce s'ra un peu plus clair.

Certes, la fête foraine, la bague et les filles en disaient long sur le genre de relations qu'Orme, inconsciemment, s'imaginait en train de construire avec Ulrich, mais le jeune homme était très loin de s'en rendre compte.

— Non mais un moment, tu me tends une main secourable ou tu me fais un câlin, et l'autre, tu t'casses pour regarder la moisissure sur Dxun. Alors, j'veux bien r'connaître que j'suis pas un playboy habillé par Lord Machin-Chose, couturier de Planétotruc, mais j'suis quand même un peu plus intéressant qu'les champignons qui poussent sur ce caillou.

Si Ulrich se demandait encore pourquoi il n'avait jamais croisé Orme parmi les Jedis qui participaient à des sommets internationaux, la réponse se développait pour lui avec les fleurs d'une rhétorique toute personnelle.

— Alors maintenant, tu t'bouges. Soit tu rappliques sur ce lit pour me dire que j'suis vachement mignon même dans mes vêtements tout pourris et puis tu m'expliques ce que j'ai fait pour mériter que tu m'laisses pourrir dans mon hémoglobine, soit tu prends ton maxi-bantha et tu vas composer des haïkus sur les lianes de Dxun dans les jardins.

An-gé-lique, Orme Aryssie.
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Depuis quelques instants déjà, j'avais entendu Orme quitter la salle de bains, et les légers grincements de son lit m'indiquaient qu'il s'y trouvait. Depuis mon enfance la plus enfouie, s'était dévoilée à moi une véritable passion. Celle qui consistait à, le regard perdu dans les étoiles, symbole le plus harmonieux et le plus intense de la grandeur de la vie, méditer sur ma propre condition et celle d’autrui, peut-être par désir inconscient de me venger d’Orme, je restais, silencieux, à occuper l’un de mes loisirs les plus purs. Alors que mon indécence me semblait justifiée, je me prêtais à cette mise en abîme céleste, sans me préoccuper de l’insistance du regard de mon compagnon. Dans mon dos, je ne pouvais le voir. Et j’en remerciais la grâce du père des pères de tous les architectes, qui avait voulu qu’un lit, soit opposé à une fenêtre.

— T'es incompréhensible, tu sais ça ?

Première attaque. Je ne bronchai pas.

— J'veux dire, on raconte toujours que les filles, c'est changeant, qu'on n'y comprend jamais rien, et tout, mais toi, t'es vraiment pire. J'sais pas moi. J'crois que j'vais t'acheter une de ces bagues de fête foraine qui changent de couleur avec les émotions de c'lui qui les porte, ce s'ra un peu plus clair.

« T’es vraiment pire. » C’était la première fois qu’Orme employait de façon sérieuse un terme péjoratif à mon égard. J’avalai ma salive. Je commençais à craindre que mon armure soit d’une efficacité absolue, face à celui qui en avait si rapidement trouvé la faille. Mais pour autant, le garçon semblait moins clairvoyant qu’à l’aventure. Comme, pour chaque souffrance, notre esprit a tendance à obscurcir la rationalité au profit de ce qui va de l’émotionnel, je commençais à comprendre que ma fuite spontané avait été douloureuse pour lui.

— Non mais un moment, tu me tends une main secourable ou tu me fais un câlin, et l'autre, tu t'casses pour regarder la moisissure sur Dxun. Alors, j'veux bien r'connaître que j'suis pas un playboy habillé par Lord Machin-Chose, couturier de Planétotruc, mais j'suis quand même un peu plus intéressant qu'les champignons qui poussent sur ce caillou.

Le ton montait. Mes doigts s’enfoncèrent dans la chair de mes bras croisés, comme pour contenir ma répartie, une phrase qui aurait pu déraper, que j’aurais pu regretter, et causer plus de mal encore qu’il n’en avait déjà été fait mutuellement. Mais ce que je contenais, à cet instant, n’étais pas de l’ordre de la colère, mais bien de la peine. Je me sentais blessé. Comme s’il ne respectait pas tout ce que je lui avais dit sur Iziz. Toutes mes concessions faites à mon égard. Tout ce que j’avais pu lui dire, tout ce qu’il avait réussi à me faire faire, en quelque sorte, la façon dont je m’étais éloigné de cette aristocratie orgueilleuse à ses côtés. Et lui, il me vomissait mes travers de la façon la plus abjecte qu’il soit.

— Alors maintenant, tu t'bouges. Soit tu rappliques sur ce lit pour me dire que j'suis vachement mignon même dans mes vêtements tout pourris et puis tu m'expliques ce que j'ai fait pour mériter que tu m'laisses pourrir dans mon hémoglobine, soit tu prends ton maxi-bantha et tu vas composer des haïkus sur les lianes de Dxun dans les jardins.

Cette dernière tirade fit voler en éclat toute la retenue dont javais réussi à faire preuve jusqu'ici. Après m’avoir offert des ailes, était-il nécessaire de m’abattre en plein vol ? Je fis volte-face et, dû prendre sur moi pour oublier qu’il était incroyablement beau. Je lui adressai alors un regard, chargé de déception et de tristesse.

-Est-ce que tu penses sérieusement ce que tu viens de dire ? Que je te laisse pourrir dans ton p**ain de sang, c’est bien ce que t’as dit ?

Alors que le filtre de mon langage coutumier avait volé en éclat lors de ma déclaration, dans la vieille-ville, cet instant me parut également propice, mais d’une façon bien plus tragique, à ce que la formulation que je façonnais pour mes phrases se fasse par des mots beaucoup moins châtiés.

-Mais comment est-ce qu’un instant, tu peux être aussi méprisant ? T’imagines pas à quel point ça me fait du mal ce que tu me dis.

Peut-être qu’Orme avait sa petite idée, car mes paupières, rougies par les larmes d’alors, accueillaient une seconde vague, plus fournie encore que la première. Je décidai alors d’assumer mon chagrin plutôt que de le taire. Pointant du doigt mes yeux noyés de sel, je surenchéris.

-Tu vois ces larmes, là ? C’est parce que j’ai eu peur pour toi.

Une boule douloureuse se forma dans ma gorge, et ma voix recommença à trembler.

-Je t’ai fait confiance, Orme. Non, plus que ça. Je me suis ouvert à toi plus que je ne l’ai jamais fait en une journée, même quand j’étais gosse, et que… et que j’arrivais à exprimer mes sentiments plus facilement. Mais toi, t’es en train de bafouer tout ça, tu me craches à la g**ule mes mauvais côtés, mais moi, j’en ai rien à f**tre que tu sois pas riche. C’est pas que tu viennes pas du même milieu que moi, le fond du problème, et tu le sais très bien, parce que ça, on n’en a rien à secouer depuis le début !

Le fait de parler de « début » en disait long sur la façon dont je concevais ma relation avec Orme. Mais la formulation était dangereuse, puisque, de la même manière que tout commencement a une fin, il était obscur de poser sur la table un concept temporel.

-J’ai vraiment cru que t’étais en train de clamser dans ta salle de bains, et oui, désolé, j’ai peut-être pas réagi comme tu l’attendais, mais personne peut être au top dans toutes les situations. Moi, ça m’a rappelé des mauvaises choses tu vois. Et je veux pas que ça t’arrive. Désolé de pas porter un p**ain de truc qui donne la couleur à mes sentiments, je pense que c’est plus compliqué que ça, tu vois. Tu semblais très bien les comprendre avant, je vois pas pourquoi maintenant tu… maintenant…

Un flot de larmes irriguait à présent mes joues. Je m’adossai alors contre le mur de la fenêtre et, une main dissimulant mes yeux, je laissais glisser mon corps frêle contre celui-ci. Assis, le visage tourné au sol en signe d’abattement, je me sentais dans un état minable. Une marée de sentiments bouillonnait dans mon cœur, et je ne savais vraiment pas dans quelles terres je m’avançais avec Orme. Ses paroles assassines se bousculaient dans mon esprit, et j’entendais déjà le fracas terrible de mon âme qui se déchirait.
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Un jour, Orme publierait un holobook de quelques pages : 10 conseils rapides et efficaces pour provoquer une crise internationale avec un cure-dent et trois chewing-gums. Des Jedis plus accomplis et plus sereins qu'Ulrich avaient déjà succombé à l'absence presque totale de tact du Coruscantien et ce genre de sorties brutales ne jouait pas un médiocre rôle dans la réputation désastreuse que l'angélique créature s'était construite au sein de l'Ordre.

Il fallait dire qu'Orme n'était pas vraiment du genre à regretter ses paroles après les avoir prononcées, comme les jeunes gens un peu colériques qui s'emportent, dont les mots dépassent les pensées et qu'une répartie bien sentie suffit à remettre dans le droit chemin. Avec obstination et pugnacité, le Padawan campait sur ses positions jusqu'à ce qu'une crise se produisît et que tout espoir de sociabilité pacifique s'effondrât, pour quelques heures du moins.

Bien sûr, il lui arrivait d'avoir raison et de faire exploser, par son comportement, les cadres archaïques et les protocoles dépassés. Mais cette arme irremplaçable avait un double tranchant et, dans bien des situations, sa franchise à laquelle se mêlait une rhétorique colorée, fort loin des plaidoiries organisées d'avocats ou des discours de sénat, mais douée d'une force propre, sa franchise réduisait en miettes des choses précieuses.

Seulement, Ulrich n'était pas un Chevalier grabataire accroché à son mode opératoire comme un huître à son rocher, il n'était pas un politicien procédurier cramponné à ses textes de lois et ces assauts, pour Orme, ne ressemblaient que superficiellement aux incartades auxquels il était habitué et dans lesquelles il n'engageait jamais réellement ses sentiments personnels, ses désirs, ses frustrations ou ses angoisses. Il avait beau s'y exprimer vivement, il n'en raisonnait pas moins — ce soir-là, il se contentait de sentir à fleur de peau.

Alors si, dans les premiers instants du discours d'Ulrich, une foule de répliques lui était montée aux lèvres, s'il avait vu d'abord, comme dans un duel au sabre, une dizaine d'ouvertures, plus ou moins légitimes, plus ou moins sournoises, à mesure que son compagnon s'exprimait, Orme sentait l'esprit de la bataille le fuir au grand galop et la culpabilité monter en lui, renversant ses sentiments en une seconde, comme si son âme n'aspirait qu'à donner raison à Ulrich, peu importe, vraiment, ses propos.

Plus que cela encore : ses sens étaient en alerte. Son entraînement de future Sentinelle, de chasseur du Côté Obscur, avait développé son attention aux émotions les plus sombres qui commençaient à agiter Ulrich et tout au fond de lui, Orme sentait qu'un chemin dangereux s'était ouvert et que si sa présence auprès de son compagnon pouvait résoudre, peut-être, bien des problèmes, elle pouvait aussi les favoriser.

Le silence était retombé désormais et Orme, un peu désemparé, observait Ulrich assis au sol. Plus de répartie, plus de réponse cinglante, plus de piège oratoire dissimulé derrière une formulation faussement négligée. La bataille avait été brève, bataille d'un nouveau genre dont Orme voyait très bien qu'il l'avait tous les deux perdue. Raison de plus pour tenter de soigner les blessés qui pouvaient encore l'être.

Mais cela demandait un courage très particulier, fait de clairvoyance et de sincérité, tout à fait du même genre que celui qu'Ulrich avait eu, quelques heures plus tôt, dans les rues d'Iziz, mais dont Orme s'était ingénié à éviter la venue fatidique. Finalement au pied du mur, le jeune homme abandonna son lit et vint s'asseoir contre le mur, à côté d'Ulrich. Par où commencer ?

— Je suis désolé, Ulrich.

Bon début. Sa voix avait repris sa douceur angélique. Orme poussa un soupir. Silence. Doucement, encore :

— Je n'ai jamais eu d'amis. Je veux dire, il y a certaines personnes qui m'aiment bien, mais je ne parle pas beaucoup. Comment on dit ? Je ne me livre pas, voilà. Ce n'est pas une question de maladie ou de passé douloureux, ou que sais-je. Je sais pas. C'est mon caractère. Je suis un solitaire. Et pas un solitaire très agréable, comme tu as pu le constater. Tu vois, j'ai peur que plus le temps passe, plus tu découvres des raisons de me détester.

Comme d'habitude, Orme, malgré tous ces incidents, se projetait naturellement dans le futur avec son compagnon.

— Si je parle pas, c'est aussi que je me trouve pas très intéressant. C'est pas une question d'argent, et c'était pas ce que je voulais dire tout à l'heure. C'est juste... Je sais pas. J'suis un type normal. Je crois. Et parfois, quand tu me regardes, ou quand tu t'éloignes, ou... J'ai l'impression que t'as ouvert les yeux et que tu t'es rendu compte de ça. Et j'ai peur, et, et, et...

Il se mordit la lèvre, papillonna des paupières pour refouler quelques larmes. Pleurer, ce n'était vraiment pas son genre, mais en compagnie d'Ulrich, ses habitudes, bonnes et mauvaises, avaient tendance à s'évanouir.

— Tout à l'heure, dans la salle de bain... Comment dire ? Les crises comme ça, j'en ai tous les jours. C'est vraiment pas dangereux. Pour de vrai. C'est chronique, c'est tout. J'dis pas que j'suis en bonne santé. Mais c'est pas comme ça que j'vais mourir. Et j'ai eu l'impression que... Enfin, tu vois, que si tu ne voulais pas, ne pouvais pas supporter ça, sans partir, sans détourner, alors tout le reste, tout ce qui fait qu'on devrait se sauter à la gorge plutôt que... que voilà, alors tout le reste serait insurmontable.

Plus ou moins discrètement, Orme essuya du revers de son poignet le coin de ses paupières, ponctuant sa dernière phrase d'un léger reniflement.

— Et j'veux pas que ça le soit. Insurmontable. J'trouve pas que t'aies des mauvais côtés. Enfin si. Mais j'aime bien tes mauvais côtés. Enfin non. J'les aime pas. Mais j'aime bien ne pas aimer tes mauvais côtés. J'continuerai à trouver tes couturiers chelous, et j'râlerai quand tu me traineras à un cocktail, et ce sera bien.

Et tout bas il souffla :

— Pars pas.
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Orme se déplaça auprès de moi. Les larmes coulaient à flot, et je crois que j'en avais un peu honte. Mon visage, enfoui dans l'ombre de mes mains, se dissimulait à mon compagnon. Je venais de lui offrir la preuve la plus ultime qu'il avait une emprise incroyable sur moi. Alors que politiquement, j'étais en faveur de l'idéologie qui consiste à penser que chaque monde doit conserver un pouvoir régalien, un certain sens du patriotisme mondial -car à l'heure où se passe notre histoire, il y avait bien un courant de penser mondial, et galactique, en opposition avec le combat du nationalisme contre le mondialisme, devenu obsolète. Ma ferveur au nom de la terre qui m'avait vu naître était à mes yeux le signe d'un combat, face à la dangereuse influence qu'avait cette union nauséabonde entre tous les mondes que composent notre galaxie. La perte de nos valeurs et de nos cultures, mais aussi du pouvoir de décision de chaque pouvoir planétaire. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, je perdais toute notion de cette liberté individuelle, en contact avec Orme. Il m'avait envoûté. Son ascendance sur moi était claire. Alors qu'il pouvait à tout moment éveiller en moi de merveilleux sentiments, il avait aussi le pouvoir, en quelques phrases, de me détruire.

Si fort, si détaché, si lointain, inaccessible et individualiste, c'était bien des mots qui me collaient à la peau. Mais ceux-ci se substituaient alors en compagnie d'Orme à la dépendance et à la faiblesse. Mon compagnon commença par s'excuser. Les nuages obscurs qui assombrissaient l'océan tourmenté de mon cœur commençaient à se dégager. Je pris conscience que, si j'étais en désaccord avec les préceptes Jedi, la raison était aussi que j'étais tout bonnement incapable de les suivre. Me considérant comme une personne résolument rationnelle et pragmatique, je succombais paradoxalement face au conflit qui m'opposait à Orme dans les tumultes de sentiments noirs.

Orme poursuivit sa déclaration. Il avait peur que je le déteste...? C'était chose impensable. Mon compagnon m'avait offert des moments que je n'aurais jamais cru possible. Des choses qui sortaient de ma conception. Comment, un jour auparavant, aurais-je pu imaginer la joie de courir au travers des rues, pour mieux fuir des mondanités si chères à mon cœur ? Mon cœur... ou plutôt mon égo. Et cela, il m'en avait pleinement fait prendre conscience. Je lui devais tant. Il était alors à mes yeux impossible que je ne développe un quelconque sentiment d'aversion à son égard.

Je m'installai en position fœtale, et tournai à présent mon regard vers son visage. Il me faisait part de ses appréhensions. Tout comme moi, il me parut qu'il se projetait dans l'avenir. Il dévoilait ses peurs, basées sur le fait que selon lui, il se situait dans la normalité la plus affligeante qu'il soit. Je ne pouvais pas lui laisser dire ça. Mais à l'instant où j'eus voulu le rassurer, je remarquai quelques larmes émerger au coin de son œil. Sa dernière tirade acheva de me réconcilier avec lui, mais bien plus encore, de l'allouer d'une admiration plus vaste encore qu'auparavant. Il mit l'accent sur le fait que nous devions surmonter toutes les épreuves qui se dressaient en travers de notre route. Cette pensée fit apparaître à mon esprit une notion qui ne m'avait avec Orme, pas encore effleurée. Celui du couple. Et dans une murmure...

-Pars pas.

Instantanément, je calai mon visage contre son épaule, et me saisis de sa main, mes doigts entrelacés dans les siens, et mon pouce effleurant sa peau. De ma main libre, j'essuyais d'un revers de poignet les larmes qui cernaient mon regard.

-Non. Je reste avec toi ce soir, c'est promis.

J'éprouvai le besoin de justifier que je ne quitterai en effet pas sa chambre pour ce soir. Mais son ordre bienveillant pouvait avoir un double-sens. Celui de me voir quitter le Temple. Il était évident que nous nous éloignerions. À cet instant, je n'étais pas encore conscient des événements à venir. Je ne savais pas encore que l'ordre de mission qui consistait à enquêter sur le parrain d'une petite mafia de Coruscant, en compagnie de Luke Kayan, allait précipiter mon départ. Et de façon définitive. J'allais y retrouver Vel. La mirialan. La sith. Et, tous trois pris au piège, nous allions subir une embuscade, fomentée par mon propre père, ambassadeur de ma nation. Trahi par la patrie qui m'est si chère, j'allais me retrouver vendu aux voleuses de beauté hapan. Incarcéré pendant des semaines, il serait impossible de donner tout signe de vie à Orme. Peut-être me haïrait-il. Peut-être m'oublierait-il. Peut-être me jugerait-il, puisque les médias de Kuat mettraient en situation mon alliance avec la Sith. Peut-être me laisserait-il pour mort. Et pire, peut-être se dirait-il que je ne méritais pas meilleur sort. Mais si je n'avais pas encore conscience des événements à venir, j'étais déjà anxieux sur notre futur. Malheureusement, je n'avais aucune idée des proportions que cela allait prendre.

-Pleure pas. S'il-te-plaît.

Propos qui eussent, d'un point de vue extérieur, pu paraître burlesques, alors que l'initiateur de cette phrase était celui dont le visage était le plus strié par les larmes. Mes doigts serrèrent un peu plus fort sa main.

-Je veux pas qu'on se laisse. Qu'on continue bêtement notre vie, chacun de notre côté. Moi aussi je veux qu'on progresse tous les deux. Qu'on traverse toutes les épreuves. Même si on aura du mal. Il faut qu'on se fasse la promesse d'y arriver, ensemble. Ce sera peut-être pas toujours facile. Mais sans toi... Sans toi... Je peux pas.

Je me relevai alors, et d'une caresse au dos de sa main, fit signe à Orme de me rejoindre sur son lit. Je m'y installai alors, les mains jointes sur mon ventre, à toiser le plafond.

-Bien sûr que non, t'es pas une personne normale. Aucun de nous ne l'est. Et c'est grâce à ta différence et à la mienne qu'on est ensemble, ce soir. Dis... Je vais mouiller ton lit, alors si t'as un mouchoir...
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Orme n'était pas tout à fait certain de se sentir soulagé. Cette sensation lui traversait l'âme, mais elle n'était, peut-être, qu'une idée enracinée en lui par la société. Parler de ce qui faisait mal, n'était-ce pas toujours mieux ? Et pourtant, il s'était exposé plus que jamais et il se trouvait en proie à une nouvelle fragilité, bien différente de la faiblesse de son corps, plus grave également, dont il craignait de ne pouvoir jamais se relever tout à fait.

Mais ces considérations encore ne suffisaient pas à lui faire regretter sa déclaration, et quelque éprouvante qu'elle fût, quelque inquiétude que pussent lui en donner les suites possibles, il la trouvait toujours nécessaire, quand même elle dût rester sans effet, parce qu'elle avait eu le mérite de la sincérité. C'était un exploit pour lui, et un exploit dont il ne voyait que trop qu'il le devait entièrement à la compagnie d'Ulrich.

Ces doutes cependant ne furent pas longtemps laissés en suspend et, bientôt, son compagnon déposa la tête sur son épaule. Un immense soulagement monta en lui. Ce geste seul valait mieux que toutes les réponses et, en quelques heures, Orme avait appris à comprendre, si ce n'était tout le comportement du jeune homme, du moins le sens de ces contacts qu'il avait longtemps fuis. Il pencha légèrement la tête pour l'appuyer contre celle de son ami.

Bien sûr, ce n'était pas exactement de ce soir-là qu'il avait voulu parler, ce n'était pas non plus de l'Ordre Jedi. Ce qu'il avait dit auparavant, quand il avait assuré à Ulrich qu'il ne devait pas craindre de recouvrer une liberté qui lui manquait, Orme le pensait toujours et toujours, il était convaincu qu'il leur serait possible de demeurer ensemble, malgré leurs obédiences diverses. Ce dont il ne fallait pas qu'Ulrich partît, c'était de sa vie : c'était cela seul qui comptait, ce soir-là.

Le Coruscantien n'eut pas de peine à ravaler ses larmes : les assurances de son compagnon, qu'il sentait sincère, une confiance aveugle dans l'avenir, qui était peut-être de l'insouciance, suffisaient à apaiser les tourments d'un instant, nés d'une colère passagère beaucoup plus que d'un trouble profond. La crise l'avait débarrassé, pour quelque temps au moins, de ses anciennes habitudes, comme dans un déchirement le papillon se débarrasse de son cocon, avec une violence qui n'augure pas de la tranquillité à venir.

La perspective des épreuves à venir ne l'effrayait pas. Courageux, téméraire, Orme ne craignait pas la vie et ce qui l'intimidait, il se sentait désormais la force nécessaire pour le plier à sa volonté. Les réactions d'Ulrich le jetaient alternativement dans la plus grande fragilité et dans la plus grande confiance, et l'une effaçait en survenant le souvenir de l'autre. Trop jeune encore pour se rendre de ces changements et pour craindre qu'ils fussent un funeste présage, le Padawan se contentait de puiser dans cette tranquillité retrouvée toute la force nécessaire pour réconforter son compagnon.

Il laissa Ulrich se relever et, sans se faire beaucoup prier, se leva à son tour pour le rejoindre sur le lit. Avec un sourire un peu timide, il hocha la tête à la demande du jeune homme et promena autour de lui son regard, à la recherche d'un mouchoir. Se tournant vers le bureau enfin, il fouilla quelques secondes dans les composants, extirpa le paquet demandé et le lança à son compagnon.

Alors il le rejoignit sur le lit, s'allongea sur le côté, près de lui, passant une jambe au-dessus des siennes, déposant une main sur son torse comme, un quart d'heure plus tôt, Ulrich l'avait fait avec lui. Jamais sans doute il n'avait eu l'air plus fragile et plus angélique, mais jamais peut-être il ne s'était senti plus fort. Dans la douceur aveuglante de la réconciliation, il ignorait que des longues semaines de séparation les attendaient, qui pouvaient briser ce qui pourtant n'était pas encore construit.

Se pressant un peu plus contre son ami, pour que la chaleur de leurs corps se communiquât, Orme ferma les yeux et laissa son esprit, comme aux temps de méditation, se relâcher pour épouser cette seule sensation. La fatigue, autant nerveuse que physique, reprenait rapidement ses droits sur lui et, de temps à autre, il laissait échapper un vague soupir, témoignage du sommeil qui le gagnait irrémédiablement.

Doucement, dans la lumière encore tamisée de sa chambre, alors que son esprit se dissipait dans les songes et que son être tout entier se livrait aux dernières heures de tranquillité qu'il allait connaître avant longtemps, avant de se réveiller, le lendemain, quand ils partiraient chacun vers leurs missions, l'une plus fatale que l'autre, avant de chercher son amant qu'il n'aurait pas encore embrassé et qui déjà avait disparu, il murmura d'une voix pleine de nuit :

— A mi-chemin de la lumière.

Et enfin il s'endormit.
Invité
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-À mi-chemin de la lumière.

Orme, prostré contre moi, avait soufflé ces paroles énigmatiques, dans l'état qui précède celui du sommeil. Je me tournai alors en sa direction. Ses paupières étaient closes, et son souffle régulier marquait l'endormissement qui l'embaumait. Je retirai mes chaussettes et ma marinière en laine et, tendrement, mes mains l'enlacèrent, et je plaçai l'une de mes jambes sur la sienne, elle même posée sur mon autre jambe. Bien que ce contact éveilla à mon corps la mécanique qui se produit habituellement chez un jeune homme, en pareille situation, je tentai de refouler ses pulsions, et me focalisai sur l'intensité quasi-spirituelle de l'instant. J'observais son visage, dans le moindre détail. L'ange était probablement déjà dans ses songes.

Ma main caressait ses cheveux bruns, une nouvelle fois. Le calme, après la tempête. J'avais la sensation que notre déchirement d'un instant nous avait rendu plus fort encore. Le non-dit avait été brisé, et cette fois, j'en étais convaincu. Orme n'envisageait pas son avenir sans moi. Mon oreille s'attarda sur un bruit effacé, au-dehors. Visiblement, la pluie était de retour. Mais c'était une averse bien plus calme, qui succédait au déluge. Je me laissai bercer par la symphonie nocturne, et approchais mon corps plus à même contre celui d'Orme. C'est ainsi que je me laissai aller à la manne des rêves.


Un éclat intense me fouetta le visage. J'ouvrai les yeux, et un rayon solaire s'infiltra de façon pernicieuse contre ma rétine. Nous avions à peine bougés. Orme dormait encore. Toute sa pureté paraissait sur son visage innocent. Je quittai alors à regret son lit. Quoique j'eus aimé à m'y prélasser encore de longues heures, sans me préoccuper des devoirs qui m'incombaient, je savais la mine affreuse que j'avais au matin et, désireux d'épargner ce spectacle que je jugeai abominable à Orme, je quittai ses draps. Après avoir réuni mes effets personnels, à l'instant même où j'allai quitter sa chambre, mon regard se porta sur un bloc-notes, au sol, et un stylo à ses côtés. J'écrivis alors, ce qui me semblait le plus à même de dévoiler mes pensées sur l'ensemble de ce qui avait pu se produire.

"Merci."

Concis, mais on ne peut plus explicite. Après avoir arraché la feuille de papier, je la posai sur l'emplacement où j'avais dormi. Un dernier regard à Orme et... je m'évadai. Ses derniers mots me revinrent en mémoire. "À mi-chemin de la lumière." Je ne parvenais pas à les comprendre.



Fin d'un ère...
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