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Le landspeeder pourfendait l'épaisseur de la nuit, et fusait en direction d'Iziz. La conduite d'Orme avait quelque chose de dangereux. Et c'était exactement ce qui me plaisait. Timide et effacé, je constatais qu'il était en vérité un homme d'action. Si j'eus à plusieurs instants la sensation d'approcher la mort, je voyais bien que tout était parfaitement sous contrôle. La vitesse était grisante, et mon ivresse avait ceci de particulier d'accentuer mon adrénaline. Un nouvel obstacle se dressa sur notre route. Au dernier instant, esquivé. Méfiant de nature, j'aurais immédiatement fait arrêter le véhicule et, offusqué, aurait désinvité mon convive, s'il avait s'agit de quelqu'un d'autre. Mais il était clair que je vouais à Orme une confiance toute particulière. Je ne considérais pas agir dans les extrêmes, mais simplement avoir une vision des choses assez juste. Je savais qu'il était conscient de ce qu'il faisait, et ça me suffisait.

Nous approchions de la ville d'Iziz. Il me demanda alors où était situé l'Opéra. Nous avions dépassés les statues des maîtres, qui ornaient l'enceinte de la cité. C'était véritablement un fief jedi. Mais paradoxalement, il y avait de quoi s'y amuser, et je devais bien concéder que le raffinement était au rendez-vous.

-Entre la vieille ville et l'Hôtel de ville, place Lumière.

Nous pénétrâmes alors dans la périphérie de l'agglomérat. Je constatai qu'Orme avait une conduite aussi dangereuse en hors-piste qu'en zone urbaine. Alors que certains conducteurs proféraient des insultes virulentes à l'égard de mon pilote, et que des piétons manquaient de valser sur le fuselage du landspeeder, je riais.

-C'est par là, lui indiquais-je, pointant du doigt une large allée qui menait aux beaux quartiers d'Iziz.

Brusquement, mais dans une étonnante fluidité, il mena le véhicule en direction de la grand-rue, éclairée par d'innombrables lumières. Jalonnée par une architecture ancienne, elle était empruntée par de luxueux véhicules, et s'il nous était donné d'observer un melting-pot racial, c'était une classe sociale homogène qui circulait. En effet. Ce soir, à Iziz, ça sentait l'argent. Argent d'ailleurs, qui n'a pas d'odeur, selon des futiles esprits. Mais entre un bellâtre d'Alderaan parfumé au Crysalis de Sylvario Lucci, et un ressortissant de la lie sociale, trop pauvre ne serait-ce que pour prendre une douche, nulle comparaison possible.

-Gare-toi au parking souterrain.

Enfouis dans les profondeurs de la cité, Orme trouva une place à notre illicite bolide de fortune. Après avoir ouvert la portière, je me dirigeai en direction de la machine de payement, les talons cinglants de mes richelieus claquant dans l'ombre du silence. De retour, je plaçai le ticket au long du pare-brise de l'engin semi-volé. Mes pas me portèrent ensuite en direction de l'ascenseur. Nous pénétrâmes à l'intérieur. Seulement 8 étages à remonter. Iziz était décidément une petite ville, mais elle disposait d'un charme indéniable.

-Notre escapade en valait décidément la peine, rien que pour ta conduite.

Je lançai cette phrase d'une voix amusée, les yeux plongés dans ceux du conducteur.
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Mais Orme ne conduisait pas dangereusement, voyons ! Il avait observé pendant toute son enfance, par les fenêtres de sa chambre, les airspeeders qui circulaient dans les quartiers modestes de Coruscant et il pouvait assurer en toute bonne foi que sa conduite ne différait pas sensiblement de celles des autres conducteurs. Un tout petit plus sportive, peut-être. Certes, il y avait une marge entre la mégalopole planétaire entièrement dévolue à la circulation de ce genre d'engins et la jungle puis la cité beaucoup plus paisibles d'Ondéron, mais allons donc ! On ne peut pas lutter contre le naturel.

Ce fut donc docilement, mais sans tempérer son style de conduite, que le jeune homme suivit les indications de son camarade. Il ne s'était aventuré qu'une ou deux fois dans cette partie de la ville et, à vrai dire, il ne connaissait pas très bien Iziz : entre l'entraînement et les missions, que son ancien Maître avait tenu à multiplier et qu'Ellana ne semblait pas vouloir réduire, le Padawan n'avait guère de temps libre pour ce genre d'explorations.

L'engin retrouva bientôt un calme salvateur et le Jedi abandonna son poste de pilotage, pour s'adosser au fuselage, tandis qu'Ulrich commençait à mettre son invitation à exécution. Machinalement, le Padawan parcourut du regard les autres véhicules ; il n'était que trop évident que l'opéra était un loisir de luxe. Il n'y avait pas ici de landspeeders construits à partir de pièces détachées et même leur véhicule emprunté à l'ordre faisait triste figure à côté des marques prestigieuses qui s'alignaient là.

Emprunté, et pas volé. Après tout, ne leur serinait-on pas que, pour mener des négociations fructueuses, il fallait s'adapter à la culture de son interlocuteur ? Et comment mieux comprendre les politiciens qu'en observant l'art qui les exaltait ? C'était donc une sorte d'étude, une mission de formation, qu'il menait là, dans cet opéra — et pour Ulrich, une remise à niveau. Rien de plus légitime dans ces circonstances que d'emprunter un véhicule à l'Ordre.

Orme rejoignit son compagnon d'aventures dans l'ascenseur, une fois leur place dans le parking pleinement justifiée. A partir de là, c'était à Ulrich de prendre les commandes de la situation. Piloter un speeder, c'était facile ; ne pas se trahir parmi les riches, à l'opéra, était un exercice beaucoup plus
compliqué aux yeux du Coruscantien et la situation, maintenant qu'elle se concrétisait, n'était pas sans éveiller chez lui un peu de stress.

Bien vite absorbé par le regard d'Ulrich. C'était qu'Orme n'avait pas l'habitude qu'on le regardât dans les yeux. Avec les Maîtres, cela ne posait pas de problème : son regard s'emplissait d'assurance mêlée de défiance et il se sentait à son aise. Les Padawans qui le connaissaient, de réputation tout du moins, étaient un peu trop intimidés pour s'y risquer. Le reste de la population nourrissait une inquiétude point tout à fait irrationnelle que les Jedis pussent lire dans leur esprit de la sorte.

Mais le regard de son ami échappait à ces rassurantes catégories et le compliment qui l'accompagna n'était pas fait pour aider Orme à reprendre pied. En une demi-seconde, le conducteur intrépide retrouva ses airs d'ange perdu, esquissa un léger sourire, un peu gêné, mais un peu flatté aussi, sentit ses joues rosir et s'empressa de détourner les yeux, pour observer avec une religieuse concentration les chiffres qui défilaient — trop lentement, jugeait-il soudainement — sur l'écran de l'ascenseur.

Orme passa le reste de l'ascension à essayer de calmer les battements de son coeur, qu'il ne comprenait pas très bien, et enfin les portes s'ouvrirent. Le jeune homme mesura l'ampleur de son prochain dépaysement. Sans doute la compagnie de son Maître l'avait-elle mené dans des lieux prestigieux, mais c'était une chose de les arpenter en mission et une autre de songer que, pour une fois, il serait une part de cette population, un visiteur comme un autre. Il espérait que personne d'autre qu'Ulrich ne lui adresserait la parole.

Instinctivement, Orme laissa son camarade sortir le premier de l'ascenseur et lui emboîta le pas, se tenant toujours un tout petit peu en retrait, pour se laisser guider. Son regard passait sur les parures improbables, les décorations luxueuses, avec une curiosité un peu vague — il en avait vu d'autres, d'abord, et surtout le luxe n'exerçait pas sur lui une puissante fascination. Il avait la politesse intéressée du touriste pour l'architecture locale.

Il reconnaissait là des personnalités locales que même lui connaissait : des membres du gouvernement planétaire, des grands noms de la culture d'Ondéron ou d'importants négociants qui passaient sur la planète. Telle femme qui ajustait sa coiffure dans le miroir était, s'il se souvenait bien, une importante exportatrice de bois précieux et tel homme, un écrivain renommé, qui se retirait dans une somptueuse villa perdue dans la jungle, pour trouver l'inspiration de sa prochaine oeuvre.

Ces figures moins inconnues que les autres étaient rares cependant et quelque chose dans les gestes, dans les inflexions de voix qui rythmaient les bribes de conversation attrapées au vol, dans la qualité même de l'air, lui semblait-il, murmurait à Orme qu'il n'était pas tout à fait à sa place, non seulement en tant que Jedi, mais en tant que fils de petit-bourgeois. Il se rapprocha encore un peu plus d'Ulrich, comme si la présence de son camarade était un passe-droit.

D'une voix un peu timide, il souffla à son oreille :

— Et euh, au fait, ça dure combien de temps ?

Il craignait les oeuvres complexes d'une dizaine d'heures. Il était loin d'être particulièrement rétif à l'art, mais espérait simplement que son initiation ne serait pas trop fastidieuse.
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J'avais noté la gêne qu'avait provoqué le compliment à mon interlocuteur. J'espérais ne pas l'intimider. Sans doute n'était-il pas très à l'aise, à l'idée de passer une soirée dans un milieu social qui n'était pas le sien. Ainsi, je fis volte-face, tout en observant mon reflet dans le miroir de la cabine. J'étais décidément vêtu de façon très citadine. Si mon trench orné de pièce de cuir était d'une élégance remarquable, je réfléchissais au fait que j'aurais dû préférer un costume noir à cette marinière et ce chino. Bien que cela ne soit pas tragique en soi. Car qui avait l’œil, remarquerait la manufacture de ces parures. Nous arrivâmes à destination. Les portes de l'ascenseur coulissèrent. Nous étions arrivés dans l'une des plus belles allées de l'opéra d'Iziz. Les immenses miroirs ornés d'or ne faisaient que refléter la beauté de ce lieu féérique. Je pris les devants, et Orme emboîta mes pas. Je devinais son malaise. C'est pourquoi je lui jetai un regard confiant, accompagné d'un léger sourire.

Certains de mes congénères n'auraient jamais pris la peine d'inviter un ressortissant de la classe dite inférieure. Pourtant, j'étais réjoui de ma compagnie. D'immenses lustres en cristaux travaillés, suspendus au haut plafond, conféraient au paysage une allure féérique. De-ci de-là, des conversations variées sur des sujets de grande importance. Tandis que certains se réjouissaient de leurs prouesses financières, d'autres préféraient mettre leur profession de côté, et s'extasiaient du contenant des flûtes de spiritueux qui circulaient. Ces gens avaient le goût pour les belles choses, et c'est ce qui me plaisait dans ce milieu. C'est alors qu'une créature fantasmagorique s'approcha de nous. Juchée sur des talons de jade, sa maigreur était voilée par une somptueuse robe aux reflets émeraudes. Ses manches larges ballotaient à ses mouvements.

-Oh, Ulrich, quel plaisir de te voir ici.

-Le plaisir est partagé, Ludmila. Tu viens pour la représentation, la questionnai-je, dissimulé derrière une expression digne et un radieux sourire.

-Oui. Ça ne m'enchante pas, mais Zildjio a tenu à ce que je l'accompagne. Il insiste sur le fait qu'il crée ses robes pour des femmes cultivées.

-Alors il fera faillite, lui lançai-je d'une voix déridée, tandis qu'elle s'éloignait, en me renvoyant un rire amusé.

Désireux de ne pas laisser Orme dans l'incompréhension, je pris le parti de lui fournir quelques explications.

-La mirialan qu'on vient de croiser est l'égérie de Zildjio Aravesa, un couturier réputé. Il m'a offert quelques parures sur-mesure. Un échange de bons procédés. Je suis un bon actionnaire. On risque de croiser des personnes qui me connaissent. Tu as peut-être reconnu certaines têtes.

Il ne fallut pas plus de dix secondes pour que mes paroles fassent écho. En effet, un sénateur Kaleesh vint à ma rencontre. Il commença par faire les éloges de mes convictions, et poursuivit sur un discours nationaliste. Si nous étions sur la même longueur d'ondes, je n'étais pas ici pour parler politique. Je m'esquivai alors poliment, en prétextant que nous avions réservés nos places à l'avance et que nous devions les rejoindre.

Nous traversions alors le couloir sillonné par des aristocrates, des financiers, des banquiers, des gouverneurs, des nobles, des artistes, et une majorité de hauts fonctionnaires. Il fallait croire que l'élite s'était ce soir donné rendez-vous. Interrompu par ces multiples rencontres, tout en répondant par un sourire courtois à ceux qui me saluaient, je pu enfin répondre à Orme, qui marchait à mes côtés.

-Ça devrait durer une heure ou deux, je suppose. Si on s'ennuie, on quitte les lieux.

Ma deuxième phrase marqua directement le fait que mes réserves financières m'accordaient de dispenser mon argent aussi librement qu'un oiseau battait des ailes. Nous arrivâmes au point de convergence des trois couloirs de l'opéra. Celui qui était en face de nous était de taille similaire à celui que nous avions empruntés, alors que celui qui siégeait à notre gauche donnait sur l'entrée principale du bâtiment, et ses grandes portes en verre lustré. À notre droite, des marches couvertes d'un tapis rouge, menaient à l'auditorium. La salle circulaire dans laquelle nous nous trouvions abritait un lustre de dimension surnaturelle, surplombant la statue d'une obscure déesse oubliée. Arrivés face à l'un des multiples robots guichetiers, je pris deux places en loge, moins par désir d'être au même niveau que le gratin, que de tirer pleinement plaisir à l'opéra qui serait donné. La voix synthétique de la machine nous souhaita une agréable soirée. Nous gravissions à présent les marches ornées de colonnes de marbre, l'un à côté de l'autre. Ce ne fut qu'à cet instant que je remarquai que mon compagnon avait fait un effort vestimentaire. De fait, si ça n'avait jusque là pas attiré mon attention, c'était justement parce qu'il avait su avec un certain goût s'adapter à la soirée. Mes lèvres s'arquèrent du côté droit de mon visage. J'avais décidément le sourire facile, une fois plongé dans le luxe. Mais celui-ci n'eut rien de superficiel, puisqu'il était accompagné d'un nouveau regard profond, porté sur Orme. J'étais décidément ravi qu'il m'accompagne.

-À vrai dire, je ne suis pas au courant de la représentation qui aura lieu ce soir. Mais il y a du beau monde. On peut s'attendre à passer une soirée agréable.
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Il ne fallut guère plus de cinq minutes à Orme pour se souvenir d'une des multiples raisons pour lesquelles il était une Sentinelle plutôt qu'un Consulaire : il détestait les conversations mondaines. Non seulement ne se sentait-il pas à sa place dans ces lieux, mais il espérait du plus profond de son âme ne jamais l'y trouver. Jamais il n'aurait la patience, il le savait fort bien, de passer une vie entière à négocier avec ce genre de personnes et la perspective de fréquenter les plus obscurs bouges de la Galaxie pour traquer des criminels lui paraissait beaucoup plus séduisante.

Cependant, la beauté de l'architecture, des habits, des objets, charmait son regard. Mais ce luxe, loin de lui inspirer plus d'indulgence pour le milieu qui l'avait, sinon tout à fait produit, du moins rendu possible, faisait naître en lui une sorte de tristesse, la vague amertume de constater que ces plaisirs esthétiques étaient offerts à des personnes qui, peut-être, souhaitaient moins en profiter que se retrouver sous un prétexte quelconque pour cultiver leurs réseaux.

Fort heureusement, ni le ressentiment, ni la rudesse des jugements n'étaient de son caractère et il se contentait d'observer tout cela avec distance, mais sans colère critique. Sans doute l'idée que ce fût le milieu dans lequel avait évolué, évoluait encore selon toutes apparences, son nouvel ami n'était-elle pas entièrement réjouissante, mais, comme il lui eût semblé parfaitement injuste qu'on lui reprochât d'être né dans une famille modeste, il lui paraissait absurde de s'éloigner d'Ulrich sous prétexte que ses parents avaient été des nantis.

En retrait toujours, il laissait passer sans intervenir les salutations éphémères, qui trahissaient, parfois, des intérêts puissants. Orme avait beau n'être pas familier de ce monde, il comprenait qu'ici comme ailleurs, un sourire était le rappel d'un contrat — ailleurs dans la ville, ce contrat eût été une dette de quelques crédits, ici de plusieurs millions, mais le fond était le même et les intérêts semblables.

Les regards qui s'arrêtaient sur Ulrich passaient sur lui presque sans le voir. On notait sa combinaison sombre, on le prenait pour un garde du corps, un secrétaire, un employé quelconque, sans doute. Loin de s'en offusquer, Orme était soulagé de ne pas être le centre de l'attention et ne se portait que mieux de l'indifférence qu'on lui vouait. Se désintéressant bien vite de la succession des notables, il se mit à examiner évasivement les tapisseries.

Une ou deux heures. Orme esquissa un sourire pour remercier Ulrich de son information. La situation ne l'incitait guère à briser son habituel laconisme — il espérait seulement que son camarade ne le prendrait pas pour lui. Une ou deux heures, c'était très bien, très acceptable. Il avait connu des combats d'animaux qui duraient beaucoup plus longtemps que cela. Et il n'allait certainement pas faire l'insulte à Ulrich de partir au milieu de la représentation — c'eût été gâché son invitation et, de toute façon, Orme était persuadé qu'une fois qu'il n'y aurait plus personne à saluer et de la musique à écouter, les choses seraient beaucoup plus intéressantes.

D'ailleurs, les rencontres commençaient à s'espacer à mesure que les deux Jedis gravissaient les escaliers de marbre qui les menaient au balcon. Orme resta une seconde captivé par le regard d'Ulrich avant de détourner à nouveau les yeux, comme il l'avait fait dans l'ascenseur. Le signe le plus certain de son trouble fut indubitablement qu'il sortit de la réserve silencieuse qui lui était si naturel pour éclairer Ulrich sur la nature du spectacle.

— Une création d'un compositeur-metteur en scène de Thyferra, inspirée du théâtre rodien, qui accompagne d'impressions musicales vives la violence cathartique rare d'un univers original.

Jetant un regard en coin à son compagnon, Orme esquissa un sourire un peu malicieux.

— J'ai pas vraiment retenu le nom du troisième banquier qu'on a croisé. Par contre, j'ai lu le résumé au dos du programme dont il se servait pour s'éventer.

Les deux jeunes gens arrivèrent enfin à leur baignoire et, s'approchant du bord, Orme jeta un regard circulaire à la foule. Ulrich avait raison : la soirée semblait avoir beaucoup de succès. Le Coruscantien ignorait s'il fallait l'attribuer à la qualité supposée du spectacle ou à la qualité de ceux qui y assistaient, incertain si la culture ou les affaires avaient le dernier mot dans ces circonstances. Dans les loges voisines, les spectateurs de marque s'installaient peu à peu et, comme le jeune homme, embrassaient d'un regard circulaire l'assemblée — ou plutôt, s'offraient au regard de l'assemblée.

L'adolescent recula pour s'installer dans son fauteuil, manifestement plus à l'aise maintenant qu'ils se retrouvaient seuls.

— Il faut décidément de l'entraînement pour savoir si le spectacle va se passer sur la scène ou dans les loges.


Il disait cela d'un ton non sarcastique, mais simplement amusé. Il ne se faisait pas d'illusions : le désir de paraître en société était commun à toutes les classes sociales et ce n'était guère que les parties des rituels qui variaient. Les habitués d'un honnête bistrot familial sur Coruscant se distinguaient aisément des touristes et chacun avait une réputation à tenir. Ce qui était amusant, c'était de pouvoir observer ces mécanismes à l'oeuvre depuis l'extérieur.

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Surpris que mon convive ait noté un tel détail, je savais à présent ce qui nous attendait dans le vaste auditorium. Une fois au sommet des escaliers, nous nous dirigeâmes dans notre spacieuse loge. Assis sur les fauteuils rouges, je repensais à ceux que j'exécrais tant. À l'évidence, j'étais persuadé que même les maîtres du conseil Jedi n'étaient pas disposés à s'offrir ce confort, dans leur ascétisme forcené. C'est alors qu'Orme lança d'une voix amusée une remarque piquante, à l'égard de l'élite qui siégeait aux loges adjacentes. J'étais fier que tout cela ne lui monte pas à la tête. Il restait fidèle à lui même.

C'était assez vrai. Mais je ne rétorquai rien, au risque d'aller dans son sens. Car j'étais de ceux qui aimaient à attirer les regards. Je vivais par les autres. Coupé de toute attache profonde, les amarres avaient cédées, et je m'aventurais ainsi dans les confins de l'indépendantisme excessif. Il n'y avait plus rien. Pas l'ombre d'une relation de fond. Si ce n'était celle que j'avais tissé avec la belle mirialan d'Alderaan... Cette vespérale rencontre sur les berges du lac. L'esprit de Vel et le mien se faisaient écho, dans une symphonie tragique, mais parfaitement harmonieuse. C'était ainsi. À présent, il n'y avait qu'elle. Orme, au fait de mes opinions quant à l'institution dite de Lumière, devait s'étonner de ma présence au temple. Je ne parvenais moi-même pas à expliquer ce paradoxe sibyllin.

Le paraître était devenu mon art de vie. Et mon invité l'avait compris. Je songeais aux paroles qu'il avait énoncé dans ma chambre. Il était doué. Mais il n'avait pas donné libre cours à une exégèse psychologique. Il avait laissé parler son cœur, et m'avait fait découvrir que les émotions voyaient parfois plus juste que notre esprit rationnel. Je me jugeais être une personne cohérente. Mes convictions l'étaient. Mais qu'en était-il de moi ? Mon être réunissait un amas de contradictions obscures, et j'étais un mystère à moi-même. C'est alors que la salle plongea dans la pénombre. Le spectacle allait débuter.

Des reflets bleus illuminaient la scène, et les musiciens en rallièrent le parterre. La tension était palpable dans l'opéra. Tous les spectateurs s'attendaient à ce que la représentation soit une réussite. Quelques instants plus tard, une nappe de cordes mélodieuse imprégna l'atmosphère de la salle. À quatre temps, la musique sonnait lentement, dans des accords chatoyants. Les cuivres suivirent l'ouverture, et les violoncelles nous offrirent une audacieuse envolée. Un sourire en coin transparut sur mon visage. Amateur de belle musique, la mise en bouche m'avait ouvert l'appétit.

Si les quatre temps volaient au gré des amusements du hautboïste, les cordes n'étaient caressés qu'aux trois premiers, comme pour mieux laisser un délicieux suspens quant aux rêveries de l'air principal. Au crescendo des tambours, la mélodie s'interrompit nettement. Les acteurs entrèrent en scène, lorsque les cordes reprirent leur mélancolie. Montés au mezzo forte, les instruments ne laissaient plus percevoir qu'une effluve pianissimo. Mes sens étaient absorbés par cette merveille. Les chorégraphes effectuèrent alors une gracieuse danse, exprimant la lutte acharnée de deux clans rivaux pour s'emparer du pouvoir. Les minutes défilaient, et la musique ne faisait qu'appuyer sur toute l'émotion de l'histoire qui se déroulait sous nos yeux. Cette guerre était vue au travers d'une histoire d'amour impossible, de deux jeunes gens, séparés par cette guerre. Scénario vu et revu, qui pourtant prenait une dimension nouvelle, lors de cette soirée à la saveur idyllique. Si le cliché était évident, j'étais certain qu'il faille cultiver la mémoire d’œuvres si belles. La juste représentation que la diplomatie, la politique et la bataille n'étaient qu'écueils à la passion de deux cœurs, irrémédiablement attirés l'un par l'autre.

L'orchestre animait cette soirée d'une fabuleuse violence, tout en ponctuant ses portées d'une romance divine. Le fracas des tambours tonnait dans ma poitrine. Les intrépides instruments à vents faisaient siffler mon esprit, et les cordes embaumaient mon cœur. J'étais devenu muet, face à tant de beauté. Cette nuit là, le bonheur toucha irrémédiablement mon être, car je partageais mes passions avec le si particulier Orme.
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Two households both alike in dignity
In fair Verona where we lay our scene
From ancient grudge break to new mutiny
Where civil blood makes civil hands unclean.
William Shakespeare, The Tragedy of Romeo & Juliet

***



Orme ne songeait plus guère à la discussion qu'il avait eue au bord du lac. L'Ordre Jedi n'était pas son obsession et, pour une fois qu'une distraction se présentait à lui, son esprit n'avait pas tardé à abandonner les considérations politiques et morales qu'ils avaient échangées une ou deux heures plus tôt pour embrasser pleinement ces nouveaux objets. A mesure qu'il le découvrait, Ulrich devenait une figure particulière, découpée dans le tissu de l'univers et il la considérait individuellement, comme il faisait toujours des gens qu'il appréciait, plutôt qu'en considérant les réseaux dans lesquels elle était prise.

Par bonté d'âme ou par naïveté, Orme était pour l'heure beaucoup plus disposé à percevoir les qualités de son ami, le bonheur possible qui, le rideau de la tristesse une fois levé, pouvait être le sien, plutôt que les difficultés peut-être insurmontables qui surgiraient inévitablement quand son opposition aux préceptes des Jedis deviendrait plus franche. Sans doute les deux Padawans étaient-ils beaucoup trop jeunes pour se projeter dans un avenir aussi lointain.

Ainsi, que l'histoire qui se déployait sur scène pût, d'une certaine manière, se rapporter à leur propre situation, Orme ne l'envisageait pas. Que des amis, des amants, une même communauté pût être déchirée entre deux clans, que ceux qui s'appréciaient jadis, de quelque manière que ce fût, pussent être alors amenés à s'affronter les uns les autres, tout cela demeurait pour lui une fiction, le produit de l'art et du drame.

D'ailleurs, Orme ne pensait plus à grand-chose. L'ascèse jedi avait ceci de bon, du moins quand elle était pratiquée comme il en avait pour sa part l'habitude, qu'elle développait l'aptitude de se détacher de soi-même pour se consacrer entièrement à autre chose ; tel était le principe de la méditation de Force et, d'une certaine manière, le Coruscantien découvrait qu'il n'était pas fondamentalement différent de celui de la fascination esthétique.

Habitué à se défaire de toutes les distractions pour concentrer son esprit mais habitué surtout à rendre cette concentration réceptive aux influences extérieures, Orme était le spectateur idéal pour l'opéra. Sans doute ne s'identifiait-il pas aux deux personnages principaux — car lui qui n'avait jamais aimé ni rêvé d'aimer, comment eût-il pu se reconnaître dans cette romance ? — et sans doute percevait-il le spectacle d'une manière beaucoup plus esthétique que bien des spectateurs, et beaucoup moins émotionnelle, mais il n'en goûtait pas moins toute la beauté.

Cette expérience éclairerait d'un jour nouveau l'art jedi, qu'il n'avait jamais exactement compris. Tous ces chants un peu ennuyeux, sans doute fallait-il les écouter avec la même disposition absente, la même attention exclusive mais souple. Pendant une heure ou deux heures, Orme demeura parfaitement immobile et la lenteur inhumaine de son souffle trahissait que son état n'était pas éloigné de celui de la méditation.

Ce ne fut que lorsque les applaudissements accueillirent la fin de l'acte unique de cette brève représentation que le jeune homme abandonna sa transe involontaire. Les acteurs sur la scène saluaient et les notables s'approchaient du rebord de leurs baignoires, pour rendre hommage semblait-il aux artistes, pour se faire mieux voir du parterre sans doute. Déjà, certains s'éclipsaient, car la soirée n'était pas finie : il y avait des dîners en ville, des réceptions, des places financières qui s'ouvraient dans des planètes lointaines ou des négociations d'alcôves à mener.

Combien de vrais enthousiastes parmi eux ? Combien d'amateurs chez qui l'éducation avait su éveiller un goût véritable, qui ne s'en tenait pas au respect formel, et même bienveillant, mais lointain toujours, d'une culture partagée ? Il y en avait sans doute, parmi ces personnes scintillantes, qui en se montrant à leurs balcons ne songeaient qu'à tendre leurs mains enthousiastes vers les acteurs et qui bientôt seraient tirées, presque à contrecoeur, vers la futilité de leur quotidien, bien plus brutale sous son vernis de paroles que l'inarticulée violence de cet opéra.

Le jeune homme porta son regard sur Ulrich. Et lui, qu'était-il ? Une partie de ce monde, naturellement — et il semblait prendre plaisir tant aux apparences qu'à la musique, incarnation de l'improbable équilibre entre la valeur réelle de cette culture et son rôle social. Combien plus à son aise semblait-il dans ce décor de pourpre et de cristal que dans l'austérité du Temple !

Brusquement, la figure éthérée de son ami reprit sa place dans l'ordre du monde, ou repris, plutôt, la place dans laquelle elle avait été forcée et à laquelle il semblait désormais trop évident qu'elle s'accommodait mal. Orme n'imaginait que difficilement la torture que l'austérité des Jedis pouvait représenter pour un être semblable. L'immatérielle obsession des Jedis ou des Siths — car en bien des points les deux traditions étaient semblables — paraissait aussi lointaine que possible, aux yeux du Coruscantien, de son camarade.

Alors, comme toujours face au spectacle d'une souffrance qu'il percevait ou supposer, Orme sentit naître en lui une irrépressible envie : le protéger.
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Les rideaux s'étaient abaissés, et la salle commençait à s'évider. Si les vapeurs de l'alcool avaient à présent disparues, elles avaient laissé place à l'atmosphère surnaturelle de ce spectacle, au creux de mon ventre. Je me sentais fragilisé de l'intérieur, comme si j'avais accepté d'accueillir en moi, toute la sensibilité de l'auteur de cette pièce magistrale. Il me semblait bien que le regard d'Orme était posé sur moi. La muraille de mon faciès, violemment mise en pièce par le chef-d’œuvre, se reconstituait lentement. Je n'osai pas poser mes iris sur le visage de mon voisin. Toujours mirant la scène, vide à présent, j'étais admiratif.

-C'était merveilleux.

Je me levai alors de mon siège, et me saisis de mon trench-coat, déposé au crochet de la loge. Tout en m'en revêtant, j'évitais précautionneusement la vision de mon convive. Nous quittions à présent l'espace qui nous avait été réservé. J'affichais une mine sombre, comme pour me protéger d'autrui. Mais mes yeux vifs reflétaient l'extase si vite passée de ce moment d'illumination. Comme un chérubin, fasciné par l'astre solaire, se serait brûlé les ailes, j'étais en chute libre. Je percevais déjà le sol, bien plus laid, me dévoiler les vérités de ma vie. L'hésitation. Le doute. La frustration. L'incohérence. Le manque. L'égocentrisme.

Brutal retour à la réalité. Nous dépassions à présent les arches ornées, les escaliers de marbre, la statue centrale, puis nous nous dirigeâmes vers la sortie de l'opéra. Au-dehors, l'excitation urbaine était plus vive encore que tout à l'heure. Nous nous enfoncions dans la nuit, et les citadins comme les touristes semblaient décidés à ne pas s'en tenir là. J'allumai une cigarette, comme pour consumer les quelques plumes qui avaient alors survécu à l'immolation. Il était temps de se remettre d'aplomb. Je croisai alors mon regard avec celui d'Orme. Peut-être discernerait-il ce changement effectué dans mes yeux. Je n'étais pas très rassuré. Cet excès d'émotions avaient amenuisé mes défenses. Je voulus lui demander ce qu'il avait pensé de la pièce, mais aucun son ne sortait de ma bouche. Je me contentai alors de souffler au vent les volutes de cette lascive cigarette.

Je ne pu me projeter dans ce en quoi consisterait le reste de notre soirée. Il fallait encore un peu de temps pour que je me remette totalement. Il était certain que, accompagné ou non, j'allais retourner m'enivrer de cet opéra, quand bien même serait-il joué aux confins de la galaxie. Pour le moins, une chose était certaine. Je ne voulais pas rentrer au temple immédiatement.

Une certaine appréhension me guettait. Si je n'avais pas parlé de ma vie à Orme, il était d'ores et déjà en mesure d'en dire long sur moi. Et mon état actuel me trahissait. Je ne voulais pas passer pour un faible.
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La grandeur de l’art véritable, au contraire, de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l’avoir connue, et qui est tout simplement notre vie, la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie, par conséquent, réellement vécue, cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste.
Marcel Proust, Le Temps Retrouvé, Troisième Partie





***


Orme n'était certes pas de ces personnes que la beauté esthétique, en cela même que sa pureté exposerait le monde dans toute sa laideur, plongeait dans la mélancolie. Sans doute sa manière d'aborder l'existence était-elle beaucoup trop plongée dans le mysticisme pour songer que le beau et le vrai fussent deux choses différentes et pour opposer la réalité et ses vicissitudes aux spectacles les plus touchants.

Cependant, même s'il le connaissait peu et même si leurs façons de vivre, en bien des manières, différaient profondément, le jeune homme avait entraperçu assez de l'âme tourmentée de son camarade, il avait déjà trop senti, quoique confusément, l'oscillation incertaine de son esprit, pour ne pas comprendre, ou songer tout du moins, qu'une pareille contemplation qui, en l'arrachant à soi-même, détruisait les barrières des convenances et des circonstances et laissait son être le plus simple s'exposer, dans sa fragilité originelle, à ses tourments intérieurs, pouvait être aussi douloureuse qu'exaltante.

Alors Orme, auquel aucun premier regard n'eût prêté ce genre de secrètes aspirations, mais qui était aussi solide dans les profondeurs de son être que fragile en sa surface, et en cela presque l'opposé d'Ulrich, se sentait investi d'une mission. Trop familier peut-être avec la conscience d'une vie brève, il ne supportait pas de voir ceux qui comptaient pour lui gâcher un temps précieux et puisque ce qui pesait sur l'esprit d'Ulrich l'empêchait d'apprécier la musique qu'il admirait d'une joie non mêlée d'amertume, il fallait nécessairement que ce fût un mal et que cela changeât.

Ils marchaient en silence, quittaient l'opéra, s'engageaient dans les rues, et cette communication muette des êtres qui suivait le silence de la musique faisait passer entre eux des pensées informulées. A mesure qu'il percevait l'incertitude de son compagnon, Orme se sentait de plus en plus attaché à lui, comme s'il devait lui être un rempart contre cette chose indéfinie et pourtant certainement terrible — le monde.

Les mains enfoncées dans les poches de son long manteau noir, perdu en des pensées flottantes, Orme ne prêtait guère d'attention à la succession majestueuse des architectures abondantes, qui faisait de ce quartier l'un des plus beaux de la ville. A l'insouciance avec laquelle une partie du public fortuné se déversait désormais dans les rues, il était aisé de juger qu'ils évoluaient dans une enclave où l'on se sentait en sécurité.

Ici, point de ruelles obscures au détour de chaque bâtiment. Les restaurants, les magasins de luxe, les grandes administrations, les institutions et les ambassades, s'alignaient en rangs réguliers et ce qui se passait de l'autre côté des avenues, dans les arrières-cours, personne ne voulait y songer — et il ne s'y passait rien sans doute, car tout ici était protégé, de cette protection discrète qui n'offusquait pas l'oeil du bourgeois mais lui permettait de dormir en paix.

L'esprit encore porté sur les ondes de la Force, Orme perçut une vague mais prochaine oscillation.

— Hmm. Je sens que l'une de tes connaissances va bientôt essayer de nous rattraper.

Laquelle, il ne pouvait le dire. D'abord, il n'était pas encore un expert en prédictions, mais de courtes portées, et puis, surtout, il n'avait pas prêté assez d'attention à tous ces gens quand il les avait rencontrés pour les identifier de la sorte. Une chose était sûre cependant : il n'avait aucune envie de se replonger dans le cercle des présentations et des menues discussions et, à tort ou à raison, il supposait qu'Ulrich non plus.

Alors, répondant à une impulsion soudaine, le jeune homme sortit une main de sa poche et attrapa l'une de celles d'Ulrich — preuve infime, et pourtant pour lui immense, qu'il lui accordait une proximité rare — et l'entraîna en courant dans les rues, pour laisser derrière eux la vie mondaine et, de virage en virage, atteindre un quartier à peine moins brillant, mais où les hauts talons d'il-ne-savait-qui ne viendraient pas les traquer.

Orme acheva leur course en s'enfonçant un peu dans l'une des petites ruelles historiques qui, dans les quartiers les plus anciens d'Iziz, traversaient la pierre des maisons en arcades et qui faisaient, la journée, la joie des touristes et le subsistance des guides. Le jeune homme s'arrêta finalement, à peine essoufflé et, pendant une seconde, garda la main d'Ulrich dans la sienne avant d'ouvrir les doigts et de la libérer sagement, les joues légèrement rougies — mais certes pas par la course.

— Sauvés.

Le Padawan esquissa un sourire un peu espiègle.

— Si on t'avait rattrapé, on t'aurait encore parlé de je sais pas quel couturier. D'abord, t'as sans doute déjà bien assez d'vêtements, ensuite, j'commence à avoir faim, moi.

Orme forçait un peu le trait pour tenter d'éclairer le visage de son camarade.
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En vérité, il me parut cette nuit que mon compagnon éveillât en moi des sensations depuis longtemps absentes. J'avais toujours cru que ma fortune était le support le plus aérien de ma liberté. Je ne disposais d'aucune restriction. Je vivais comme bon me semblait. Mais la course effrénée dans laquelle Orme m'entraina alors dépassait de loin cette notion. J'étais toujours parti du principe que dans un monde régi par l'argent, il n'y avait pour fraîcheur la plus ultime que la richesse. "L'argent ne fait pas le bonheur." J'avais toujours cru en cette phrase qu'elle était une fable pour endormir la lie sociale. La blottir dans sa torpeur léthargique.

Il m'offrit dans cette action, la plus impromptue, et la plus noble leçon qu'il fut. Libéré des mœurs sociales, le vent me fouettait le visage. Désenclavé de mes fondements, je respirais. Non pas comme ce mécanisme autogestionnaire qui nous maintient en vie, mais de la façon qu'ont les poumons d'un nouveau-né de se déployer à la genèse de son existence. Comme une première bouffée d'air. Ma prétendue liberté n'était en vérité que mon plus sombre tortionnaire. L'obscure divinité polycéphale qui soutenait mon monde s'effritait. Des pans entiers de mon paradigme sombraient dans un chaos lumineux.

Les talons de mes richelieus ouvragés claquaient au sol, hurlements convulsifs de la nymphe impie qui avait corrompu mon âme. Guidé par mon tuteur d'un soir, je me laissais aller au gré de sa folle improvisation. Le poids des regards qui se hasardaient sur nous, jusqu'alors de première importance, se dissipaient désormais dans une poussière cristalline. Une sensation de légèreté me gagnait à mesure que nous progressions dans les ruelles de la belle Iziz. En un instant, nous avions atteint la vieille ville. Ses charmes d'antan saupoudraient notre histoire d'une grâce intemporelle.

Nos pas ralentirent. Alors à l'arrêt, ma main n'avait pas glissé de la sienne. C'est lui qui se libéra de cette osmose salvatrice. Comme libéré de mes démons, je n'en étais pas moins diminué d'une partie de moi. Les chaînes qui sillonnaient les dessous de mon épiderme avaient volé en éclat. À présent... Que me restait-il ?

Orme adopta alors une légèreté malicieuse, qui m'aurait quelques minutes plus tôt arraché un sourire. Mais il n'en fut rien. Mes iris lui dévoilèrent une expression nouvelle. Comme jamais je ne l'avais regardé auparavant, j'étais à nu. Le mur intarissable qui voilait mes yeux avait disparu. Mes paupières écarquillées maintinrent ainsi cette communion visuelle. Il s'écoula probablement quelques secondes, durant lesquelles toute notion du temps m'échappa.

Si, tout fumeur que j'étais, mon métabolisme avait tendance à vivement s'épuiser, j'estimais qu'il était anormal que mon rythme cardiaque ne redescende pas. Je croisai alors les bras, et pris la décision d'épargner à Orme l'éventuelle confusion dans laquelle mon regard l'eût plongé, tout en le rivant au sol. J'avais coutume d'exceller dans le jeu du langage du corps. Mais il me parut à cet instant que j'étais devenu au contact d'Orme un joueur médiocre.

Pour me sauver de situation, sans doute eût-il été de mise que je lui retourne son sourire, et que je le guide vers l'un des restaurants qui jonchaient la vieille ville. Mais ma mémoire était comme vierge. Stupéfié par mes propres états d'âme, j'en avais oublié jusqu'au nom, la moindre place où il était d'usage de dîner. Je ne parvins à me concentrer que sur d'anodins détails. La pluie qui avait cessé. Ma cigarette, qui avait roulé au long du caniveau, à l'instant où mon hôte; ce curieux mot versatile qui prit cette nuit tout son sens, s'était accaparé de ma main. Je perdais le contrôle. Comme pour creuser davantage la tombe dans laquelle finirait bien par gésir ma dignité, je pris conscience que je caressais de ma main sa jumelle, qui s'était quelques instants plus tôt tenu dans celle d'Orme.

Énervé contre moi-même, je fis volte-face, le front baissé et les yeux blessés. Si j'allais reprendre contenance, rien n'était moins sûr... J'exécrais ce moment de faiblesse. Je pestais contre ces faux-pas. Par mécanisme, je me saisis de mon paquet de cigarettes. Comme bloqué, je le fixai avec insistance. Peut-être que c'était lui, la source de tous mes ennuis. Pensée idiote ? Non. Exutoire. Je refermai alors avec sur lui ma poigne avec dédain, et le laissai valser par dessus mon épaule. De profil à Orme, je m'assis sur la troisième et plus haute marche d'un escalier en pierre, destiné à mener à cette porte en bois léger contre laquelle je m'adossai. La mine sombre et les yeux dans le lointain, j'entrepris enfin de lui adresser la parole.

-On fait ce que tu veux.

Sans nul doute, l'aigreur était pour moi le refuge de la facilité.
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Les circonstances, grandes et infimes, qui avaient au fil des années éradiqué chez Orme le souci le plus courant des conventions sociales, auxquelles il ne songeait guère, sans pour autant les mépriser par système, par dessein formé de se distinguer des autres, étaient nombreuses ; une enfance passée pour l'essentiel dans les chambres d'hôpital n'avait pas aidé à former sa sociabilité et l'isolement, les premières années au Temple, avait achevé de lancer le mouvement.

Bien souvent, l'insolence qu'on lui attribuait naissait moins d'une volonté de défier les Maîtres que d'une indifférence irréfléchie à ce qu'il fallait faire ou dire, ce que l'on attendait précisément de lui et qui, à ses yeux, n'avait aucune importance, parce qu'un mot poli ou un mot direct, bien souvent, n'était pas une affaire de vie ou de mort. Au confort il préférait la vérité, qui lui semblait plus vive et donc plus savoureuse, plus importante.

Bien sûr, il savait que cette disposition n'était pas sans difficulté, et il comprenait fort bien qu'une habitude longtemps prise de n'en faire qu'à sa tête l'avait rendu incapable de tourner une affaire avec diplomatie et de s'adonner à cette activité qui, pour beaucoup, était le coeur de l'Ordre Jedi, la négociation. Il regrettait parfois cette incompétence, mais ne sentant pas en lui la moindre disposition à y jamais pallier, il la rejetait comme une chose lointaine sur laquelle il n'avait hélas aucun pouvoir.

Les regards de la foule, il ne les avait ainsi pas même perçus. C'était d'autant plus facile que lui n'y avait et n'y aurait jamais aucun intérêt, que tous ces gens constituent, à ses yeux, le spectacle d'un soir qu'il n'était pas destiné à fréquenter beaucoup plus, que leurs noms, leurs positions, leurs pouvoirs et leurs aspirations, ne lui évoquaient rien, ou bien rien qu'il trouvât important, comme la taxinomie exotique des végétaux d'une planète lointaine.

La seule chose qui le préoccupât était donc la réaction d'Ulrich. Dans son impulsion soudaine, il n'avait pas songé un seul instant que cette fuite effrénée vers plus de liberté pût déplaire à son camarade et que ce dernier, précisément, pût désirer passer la soirée en des discussions qui à lui paraissaient oiseuses mais qui, pour le jeune homme, pouvait être, sinon de la dernière importance, du moins d'un certain plaisir.

Mais maintenant qu'Ulrich battait en retraite derrière les murs effondrés de sa carapace, où il restait encore assez de pierres pour désarçonner le médiocre sens de la psychologie d'Orme, le Padawan n'était plus aussi sûr de lui. Naïvement, il s'était attendu à un sourire, à un remerciement, et, peut-être même, tout au fond de lui, dans le secret de son âme, à quelque chose de plus. Rien de tout cela cependant, et il avait l'impression de retrouver le jeune homme qu'il avait d'abord rencontré, quelques heures plus tôt, sur le rocher au bord de l'étang.

Timidement, le Coruscantien releva le regard vers son comparse et, en le suivant des yeux, sentit monter en lui une vague d'anxiété. Il songeait à présent qu'il avait agi de manière inconsidérée, qu'Ulrich, sans doute, lui en voulait de l'avoir privé d'une soirée mondaine et que la confiance qu'ils avaient péniblement construites s'était effondrée en quelques secondes. Incapable de se souvenir que, dans la course, son exaltation avait semblé être partagée par son camarade, Orme ne voyait désormais plus que les côtés les moins engageants de la situation.

Et si l'audace, en matière de relations humaines, lui semblait parfois possible quand il sentait que quelque chose en pouvait naître, il fallait avouer qu'en règle générale, dans ce domaine, Orme faisait montre d'une témérité inversement proportionnée à celle qui était la sienne lors des missions. Tout à fait désemparé, l'ange brun regardait ses pieds et cherchait un moyen de s'excuser et de réparer la faute qu'il supposait avoir commise.

Dire qu'il avait cru pouvoir protéger Ulrich ! Et le protéger contre quoi ? Contre ce que lui estimait être une souffrance mais qui, peut-être, était le plaisir courant de son camarade. Quelle prétention d'avoir cru pouvoir prendre de l'importance dans la vie de quelqu'un qu'il connaissait à peine ! Il se sentait idiot et un peu puéril, et c'était avec à peine qu'il résistait à l'envie de s'enfuir à nouveau, mais seul cette fois-ci.

Sans s'approcher de l'escalier où s'était assis Ulrich, Orme souffla d'une voix peut-être inaudible :

— 'Suis désolé.

S'adossant au mur de la ruelle derrière lui, les mains à nouveau sagement enfoncées dans les poches de son manteau, Orme sentait s'abattre brutalement sur lui la fatigue de la journée, endiguée jusqu'à présent par les promesses de la soirée et qui maintenant, comme souvent après de grandes émotions, remontait en lui par vagues successives et bientôt décumanes ; alors, empli d'un grand découragement, comme si son corps avait abdiqué, il sentait les larmes lui monter aux yeux, un peu bêtement.

Ainsi sa voix n'avait-elle pas la vive assurance qui, quelques secondes plus tôt, l'avait portée, quand il murmura encore, mais un peu plus fort, pour être sûr d'être entendu :

— On peut... On peut y retourner. S'tu veux. Enfin, sinon, tu peux y retourner et moi, j'rentre au Temple. Si jamais tu veux pas d'moi...

Décidément, Orme manquait de pratique pour comprendre les réactions des garçons.
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Spoiler:

La tempête qui ravageait mon regard azur aurait sans doute mis en pièces cette bâtisse ancienne qui faisait obstacle à ma vision, si Orme n'eût proféré ses mots d'excuses. Les bourrasques glacées qui naissaient dans mes yeux disparurent à l'instant où je rivai ces derniers en direction de mon infortuné compagnon. Pourquoi s'excusait-il ? Je m'efforçai de visualiser ce qu'il s'était passé à l'aboutissement de notre course.

Le jeune homme avait, d'un ton léger, justifié notre escapade. Et moi... Bien sûr, c'était de ma faute. Éberlué par l'instant, mais perdu dans les décombres de mon être, j'avais eu le sentiment de passer pour un faible. Mais à la vue de la façon dont j'avais réagi, peut-être Orme avait-il compris en moi une quelconque vexation, liée à son audacieuse initiative. Comment lui exprimer qu'il m'avait fait vivre un sentiment extraordinaire ? Il avait brisé le sceau de ma cage, symbole d'un étroit paradigme. Pour tout remerciement, je m'étais éloigné, et lui avait laissé paraître un désintérêt total pour sa personne. Je me demandais bien la façon dont il avait perçu mon regard insistant. J'espérais en Orme qu'il n'ait pas supposé qu'il dévoilât l'outrage illusoire qui m'avait été commis. Car la façon dont je l'avais observé, j'en étais sûr, était coupable de m'avoir mise à nu.

Je cru alors discerner des larmes bourgeonnantes sur son visage. Mon cœur se serra, et mon ventre se noua. Je souffrais de l'avoir blessé, et craignais la suite des événements. J'étais seul coupable de son accablement. Et s'il m'avait paru au Temple que le garçon manquait cruellement de confiance en lui, la phrase qu'il énonça par la suite comprima mon cœur de façon plus douloureuse encore. Quel crétin. J'avais réussi à ruiner notre soirée, en l'espace de quelques secondes.

Son visage, jusqu'alors si éclatant, s'était assombri d'une manière qui m'arracha un frémissement. Une fois de plus, je m'en voulais. Mais cette fois, ce ne serait par le renfermement que je réglerai les problèmes. Mes jambes m'élevèrent, de façon à ce que je quitte l'escalier qui avait accueilli mes ruminations. Je m'approchai alors d'Orme, les yeux posés sur les dalles du trottoir, qui défilaient à mon avancée. Je les relevai à présent, et les plongeais dans ses iris profonds, nimbés de larmes. Mes sourcils s'élevèrent sans mon accord, pour mieux marquer mon désarroi. Dans un mouvement irréfléchi, mon corps se colla au sien, mes bras l'enlacèrent, et mon menton se nicha au creux de son épaule.

-Arrête de pleurer... S'il-te-plaît...

Mes mains étaient jointes au bas de son dos, et mon cœur tonnait contre sa poitrine. Mon pouce caressait tendrement sa peau. Je voulais être rassurant. Et pour l'être, il était heureux qu'il ne put me regarder dans les yeux. J'étais anéanti de savoir que j'avais causé en lui ce mal.

-T'as bien fait de nous extirper des mondanités. Tu sais...

Comme pour me faciliter les mots, je les lui murmurais.

-... quand tu m'as entraîné dans ta course. Je me suis senti vivre.

Si mes mains tremblaient légèrement à l'idée de ce soudain rapprochement, je me sentais comme apaisé. À force d'être de trop dans le non dit, il était évident que je ne puisse me faire comprendre, lorsque les situations m'échappaient. Toujours contre lui, je lui chuchotai, dans un souffle amusé:


-Et ça... la Force te l'avait prédit ?
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Orme envisageait, malgré lui, les nombreuses raisons qui le poussaient d'ordinaire, si ce n'était à se tenir éloigné de ses petits camarades, du moins à ne pas s'engager avec eux dans des discussions trop intimes. Une aventure par-delà les murs, en groupe, une nuit de désoeuvrement, c'était une chose, mais une soirée à l'opéra après une discussion philosophique et presque intime, c'en était une autre, et s'il se tirait fort bien de la première, il constatait amèrement que la seconde présentait plus de difficultés.

De temps à autre, bien sûr, son intuition lui soufflait des gestes ou des paroles qui, sur l'instant, lui semblaient être parfaitement appropriés et il cédait, comme il le faisait souvent, à cette impulsion intérieure, avec une foi inébranlable. Après tout, son instinct guidé par la Force l'avait-il jamais trompé sur le champ de bataille ? Il avait cru, un peu naïvement sans doute, que la vie quotidienne n'était pas si différente, quand Ulrich avait réagi beaucoup mieux qu'il ne l'eût cru d'abord, quelques heures plus tôt, dans la chambre.

Mais dans la confusion de l'instant présent, ses craintes d'adolescent encore mal dans sa peau avaient tôt fait de reprendre le contrôle de son cerveau et d'interpréter la situation selon leurs propres penchants et il fallait bien avouer que le comportement d'Ulrich n'était pas fait pour leur offrir beaucoup de résistance. Désemparé, Orme sombrait doucement dans l'illusion de sa propre médiocrité.

Sa combinaison, qu'il avait arborée, au fil des heures, avec de plus en plus de confiance, se laissant aller à songer qu'en effet elle ne devait pas lui aller si mal, le mettait à nouveau mal à l'aise ; sa présence dans les beaux quartiers le mettait mal à l'aise ; et il avait envie de rentrer à l'intérieur de lui-même, dans ces méditations sans fin où il n'avait pas à supporter le fardeau d'un corps — fuite en avant où il était trop aisé d'avoir bonne conscience, puisqu'elle était studieuse, une partie, en somme, de son entraînement.

Mais il se sentait incapable de cette prouesse pourtant quotidienne et, dans ses incertitudes, il se trouvait beaucoup moins qu'un Jedi. Livré à la normalité de son existence, il mesurait la faiblesse de ses moyens, et le monde était brutalement devenu pour lui ce qu'il était toujours pour des milliards de jeunes gens de toutes les espèces partout dans la Galaxie : une vaste terre inconnue, intimidante et compliquée, où l'on errait sans savoir que faire.

Ce fut à peine s'il entendit Ulrich se lever et le rejoindre, et il fallut que les yeux de son camarade vinssent trouver les siens pour qu'Orme prît conscience qu'il s'était rapproché de lui. Mais Ulrich trouva un moyen infaillible de captiver toute son attention. Orme manqua de faire une crise cardiaque en sentant un corps étranger se presser contre le sien. Lui qu'une main frôlée mettait dans sous ses états et qui n'avait jamais connu de semblable proximité en dehors des combats était plongé dans un univers inconnu.

Crispé d'abord, les mains toujours enfoncées dans ses poches et certes incapable d'entendre Ulrich lui demander d'arrêter de pleurer, Orme s'occupa de restaurer ses systèmes cardiaque et respiratoire. La panique qui s'emparait de lui le surprenait moins, à vrai dire, que l'étrange chaleur que ce contact faisait naître en lui, une impatience vague, confuse, informulée, l'écho lointain d'un désir point tout à fait innocent, mais entièrement informulé.

Alors, très lentement, il retira les mains de ses poches et passa un bras autour de la taille d'Ulrich, déposa une main dans les cheveux de son camarade. Il ne savait pas trop si tout cela brisait ou non les règles de l'Ordre, mais ce qui était certain, c'était que les règles de ses névroses sombraient inexorablement dans le magma de son coeur palpitant. Son désir de vivre profitait de cette douce violente soudainement faite à sa pudeur maladive pour sortir de sa prison.

Le Coruscantien éprouva des difficultés immenses à se concentrer sur le reste des propos de son ami. Mondanités. Oui, oui. Il ne savait plus trop ce que c'était. Il se contentait de caresser, timidement, aventureusement presque, les cheveux d'Ulrich, tandis que, sans vraiment réfléchir, son bras dans le dos du jeune homme le pressait un peu plus contre lui. Il était incapable de penser des choses beaucoup plus élaborées que : Ulrich sent bon, la peau de sa nuque est si douce, tiens comme il fait chaud.

Mais on lui posait une question. Orme sortit laborieusement de la rêverie de moins en moins sage qui avait commencé à s'élaborer dans son esprit trop longtemps maintenu sous le boisseau et convoqua ce qui lui était resté d'attention flottante pour rassembler les fragments de la phrase, les ramener à sa conscience et trouver une réponse appropriée. Une activité décidément bien difficile dans cette position.

— Euh...

Non, la Force ne le lui avait pas prédit. L'eût-elle fait que l'adolescent ne l'eût jamais écoutée. Il aurait enfoncé la tête sous l'oreiller et se serait efforcé de songer à des choses opposées aux sensations qui se bousculaient en lui à présent : une douche glacée, la composition mécanique d'un moteur de chasseur, une conférence de trois heures sur le métabolisme des poulpes de profondeurs. Quelque chose de très calme.

— Je... T-tu...

Orme essayait de faire abstraction du corps qui se pressait contre le sien (tout en continuant à le presser contre le sien, bien entendu), pour être en mesure de ne pas passer pour un demeuré complet, mais ses fonctions verbales avaient bien du mal à se remettre de la surprise ou, plus que de la surprise, du plaisir impatient qu'elle faisait naître en lui.

Orme, qui passait des heures à étudier les planètes où il partait en mission, qui avait emmagasiné des connaissances détaillées sur des sujets variés, était incapable de comprendre la chose simple qui lui arrivait. S'il s'était rendu clairement compte que son désir de ne pas se séparer d'Ulrich n'était pas entièrement étranger à ce qui le poussait malgré à lui à observer, à la dérobée, tel ou tel homme dans la rue, il eût sans doute repoussé son camarade, mais, dans la mauvaise foi de son esprit aux multiples détours, les choses étaient maintenues soigneusement séparées.

Le jeune homme prit une profonde inspiration et répondit enfin, évasivement :

— 'Faut qu'on trouve un endroit où aller, tu vas finir par prendre froid.

Oui. C'est ça. C'était sans doute la raison qui le poussait à le garder contre lui. Pure question de survie !
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Spoiler:


L'horloge de mon cœur s'emballait, comme pour accélérer les précieuses secondes de notre étreinte. Mais l'idée même que le temps puisse fuir me déplut. Je désirais qu'il se fige. Je désirais en cet instant idyllique qu'il se prolonge à l'éternité. Si j'avais d'ores et déjà quelques soupçons à propos d'Orme, il était à présent confirmé que notre relation n'était pas fruit d'une simple amitié. Les yeux clos, je me laissais bercer au son de la respiration de mon camarade.

Pour parfaire cette symbiose, Orme laissait aller ses doigts dans mes cheveux, comme le bruissement de l'écume sur un rivage de sable fin. Mes craintes se dissipaient. Mes peurs s'effaçaient. Mes démons se consumaient. J'étais sien. Son bras rassurant me blottissait contre lui. Je savourais de façon ultime le moment présent. Cela faisait bien longtemps qu'un garçon n'avait eu tant de tendresse à mon égard.

Il bafouillait dans une touchante maladresse quelques mots égarés. S'il semblait perdre le contrôle sur ses paroles, son étreinte, elle, était maîtrisée de telle façon que j'eus l'exquise sensation de pouvoir me laisser aller. C'était donc ça, la liberté dont il ne m'avait offert en tout et pour tout qu'un avant-goût, quelques minutes auparavant. Orme Aryssie... Tu as donc ce don, celui de me faire voyager plus loin encore que ne le permettent les inventions de nos technocrates.

La quiétude qui m'embaumait docilement, n'avait d'égal que le désir qui montait en moi. Pas celui qu'eût provoqué cette proximité avec le corps d'un quelconque jeune homme. Non. Il s'agissait bien là de celui que faisait naître en moi Orme. Lui seul en était capable. Je n'aurais jamais envisagé que notre soirée eut été susceptible de prendre une telle tournure. Mais j'en étais tellement heureux. Mon supposé frère d'armes avait ravivé en moi des aspects de mon être volontairement enfouis, et ce, depuis notre discussion, sur le lit de ma chambre.

Je relevais une main pour atteindre le haut de son dos, tandis que la seconde l'enlaçait davantage, pour enfin se promener sur sa hanche. Alors que les siennes me maintenaient toujours contre son corps, et que mes cheveux voguaient au gré de ses caresses, je brûlais de déposer mes lèvres sur son cou, et de les y faire glisser. Mais mes velléités s'écrasèrent contre la muraille de ses paroles.

Finir par prendre froid... Était-il possible d'amener un détail aussi anodin que rationnel à ce moment précis ? Je ne savais s'il souhaitait véritablement s'en tenir là, mais j'étais certain d'avoir éveillé en lui un désir aussi réciproque que le mien à son égard. À contre-cœur, je fis glisser mes bras, au long de son hanches, et me dégageai de son contact. Je harponnai alors son regard, un léger sourire naissant au coin de ma joue. Je croyais à peine ce que je venais de vivre. Si c'était d'un songe dont je sortais, il était merveilleux.

-T'as raison. On va trouver un restaurant.

Je commençai alors à m'aventurer de nouveau dans les ruelles d'Iziz, sans savoir si je devais me tenir proche ou éloigné d'Orme, et si je devais ou non entretenir le contact physique qui nous avait uni. En l'état actuel des choses, mon esprit embrumé n'était pas davantage en mesure de fouiller dans mes souvenirs pour savoir où nous diriger que tout à l'heure. Il était probable que nous irions où le vent nous mènerait.

Le rythme des battements de mon cœur n'avait pas décéléré. L'air que je respirais quant à lui, me semblait plus pur, et moins vicié. Je me sentais aux côtés d'Orme en parfaite sécurité. Sans doute lui devais-je beaucoup, car il avait poussé à rendre cette journée et cette soirée simplement célestes.

-Tu as une préférence ?

Il était bien entendu question de ses goûts en matière culinaire.
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Comme n'importe quel garçon du monde, Orme était en train d'expérimenté le terrible obstacle à la réflexion intellectuelle que représentaient des mains vagabondes. Le trajet de celles d'Ulrich sur son corps, quoiqu'il fût fort sage encore, était en train de sérieusement mettre en péril ses capacités cognitives et si Orme était pour sa part persuadé que ces perturbations étaient un effet de sa phobie du contact, il n'était pas besoin d'un observateur beaucoup plus clairvoyant pour comprendre que les sentiments du jeune homme étaient bien plus réjouis que cela.

D'infructueuses tentatives pour ne pas penser à son camarade, ou tout du moins pour n'y penser qu'avec des vêtements, tenaient le Padawan fort occupé. Si ce désir longtemps enfoui et brutalement sollicité ne produisait pas en lui la commotion qui suit dans l'âme humaine la découverte d'un continent inconnu dérivant depuis toujours au fond de soi, c'était que ses caresses, à chaque seconde un petit moins innocentes, l'empêchaient encore de se saisir de sa propre existence, et il n'y avait plus en lui aucun regard extérieur, aucune conscience assez souple pour s'observer soi-même et se découvrir si différente de ce qu'elle avait longtemps cru être.

Peut-être n'était-ce pas tant le désir, et le plaisir naissant dans cette simple étreinte, qui eût pu tant le surprendre que l'évidence de ces sensations, leur saine et pure simplicité et l'aisance avec laquelle il les acceptait ; car sa pudeur n'était pas telle qu'il n'eût jamais, dans le secret de ses nuits ou de ses rêveries éveillées, surpris l'errance de ses regards ou de ses pensées, mais il avait toujours cru que le moment ne viendrait jamais de les concrétiser, non parce qu'il était un Jedi, non parce que sa vie devait se dérouler à l'extérieur de lui-même, mais parce qu'il avait jugé la chose à l'aune de ses peurs et l'avait crue terrible à cause de sa crainte.

Sans doute était-il intimidé encore, hésitant et timide, mais ses maladresses et ses légères réticences n'étaient cette fois-ci guère différentes de celles de n'importe quel jeune homme dénué d'expérience. Ses inquiétudes étaient semblables à celles des millions de jeunes gens qui, sur des millions de monde, se trouvaient chaque jour dans la même situation. Vainement, il essayait d'interpréter les gestes d'Ulrich, parfois avec espoir, parfois avec pessimisme. Il cernait ses propres désirs mais jugeait qu'il fallait pour les satisfaire un courage impossible.

Sa condition de Jedi était la moindre des objections qui s'élevaient dans son esprit. Le célibat des Chevaliers l'avait toujours laissé fort dubitatif et, assez intelligent pour ne pas juger chacun à l'aune de ses propres névroses, il lui semblait bien impossible que tant de personnes pussent passer une vie sans attachement. Non, d'autres choses le préoccupaient : ils étaient tous les deux des garçons, ils ne venaient pas du même milieu social, ils avaient des conceptions philosophiques peut-être diamétralement opposées.

Il ne songeait pas que l'examen même de ces difficultés impliquait que cette étreinte était plus qu'un geste de consolation et de réconciliation. Son désir, né de la chair comme de l'âme, était trop grand, trop longtemps inassouvi, pour ne pas transformer ce qui, peut-être, pour Ulrich, était bien banal — mais ce doute affreux lui traversait parfois l'esprit — en une affaire de grande importance et, déjà, un premier engagement.

Ces impressions diverses, plutôt qu'elles ne se succédaient se bousculaient dans son esprit et, se superposant les unes aux autres, formaient une confusion inextricable qu'il fût finalement bien aise de pouvoir démêler un peu plus librement en sentant le corps de son compagnon se détacher du sien. Au plaisir bien entendu succédait désormais la frustration, mais au moins pouvait-il rassembler un peu de son esprit d'analyse égaré.

Plongé dans ses réflexions, l'adolescent suivit son ami au hasard des ruelles, guère plus en mesure que lui de choisir une destination. Lui non plus ne savait comment se comporter et il craignait beaucoup trop d'avoir mal interprété les gestes d'Ulrich pour tenter quoi que ce fût. La question de son ami le tira de ses pensées et, pendant une seconde, Orme eut l'impression qu'Ulrich lui demandait s'il préférait les garçons ou les filles. Il rougit donc — avant de songer que la question était peut-être beaucoup plus anodine.

— Ah. Euh...

Manger. Comme cette activité désormais lui paraissait improbable et lointaine ! D'ailleurs, il n'avait jamais été très gastronome. Sa maladie l'avait longtemps contraint à un régime strict, qu'il avait conservé par précaution et par habitude, ce qui n'était pas difficile dans l'austérité du Temple. En essayant de ne pas trop dévorer Ulrich du regard, le Padawan s'efforça de résoudre cette épineuse question.

— 'Sais pas.

Il promena son regard autour de lui et avisa un couple qui passait près d'eux et dont les bribes de conversation suggéraient qu'ils poursuivaient une quête similaire à la leur.

— On a qu'à faire comme eux.

Faire comme le couple. En se rendant compte de l'ambiguïté de sa phrase, Orme s'empressa de préciser :

— J'veux dire, les suivre.

Bien sûr, il se rendit compte que cette précision impliquait qu'il avait pensé à autre chose et que, donc, précisément, ce n'était pas exactement les suivre que son inconscient, malgré lui, avait voulu dire. Décidément, les combats de sabre laser étaient plus faciles.
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La divine osmose était rompue. J'esquissai un sourire à mon compagnon, signe d'affirmation, et me mettais lentement en route pour suivre le... couple ? Les mains entrecroisés des jeunes amants n'eurent pour effet que de m'apporter une certaine frustration. Celle de ne pas en faire de même avec Orme. Je le savais à mes côtés. Nos pas résonnaient sur les dalles de la vieille ville, dans le vent frais et l'atmosphère humide d'Iziz. Tout cela, je n'y prêtais pas attention, quelques instants auparavant. À présent, je retrouvais le contrôle de mon corps. Je ne lui appartenais plus. C'était moi, qui étais aux rennes de mes faits et gestes. Mon esprit rationnel reprenait le dessus, et ma perception s'attardait ainsi sur les anodines vétilles que nous offrait le commun d'une soirée sur Ondéron.

Une bourrasque impromptue, un ciel étoilé, le silence feutré d'une ballade nocturne... des merveilles simples de l'univers, qui en somme, eussent été susceptible d'égayer mon cheminement personnel. Mais comme à la naissance de toute addiction, la réalité me semblait tellement plus laide, une fois privé de l'étreinte que m'avait offert Orme. J'en frémissais.

La chose était ambigüe. J'aimais à ce que les choses soient clarifiées. De multiples éventualités parcouraient vainement les couloirs sinueux de mon esprit, en l'attente d'une réponse à mes questions. Qu'est-ce que tout cela signifie ? Pourquoi je me sens comme ça ? Est-ce qu'il ressent la même chose ? La réponse n'était pas situé dans mon intellect, mais habilement dispensée en deux endroits. Le premier, échappant à toute loi rationnelle, se situait probablement au creux de ma cage thoracique. Il frappait d'ailleurs contre elle, comme pour m'avertir du fait que ce n'était pas là qu'il fallait chercher. Mais je restais sourd à cette éventualité. Le second, était situé à ma gauche. Je m'aperçus d'ailleurs qu'il marchait à même rythme que le mien. Qui avait le premier pris modèle sur son voisin ? Cela restait de l'ordre de l'inconscient, et je ne su clarifier cet élément.

C'était un fait, je m'attardais sur des détails. Mais comment ne pas être marqué par un instant si fort ? Le contact physique d'Orme me manquait. J'étais abruptement retombé sur les récifs de la réalité. Mon corps était lourd, et quoi qu’effectuant des mouvements parfaitement naturels, je les percevais terriblement mécaniques, comme si ce retour aux choses de la cyclique normalité et de l'usurière routine oxydaient dangereusement les rouages de mon corps. J'avais besoin de cet imprévu. Celui-la même, qui n'était pas dû à n'importe qui, mais bien à Orme Aryssie. J'esquissai alors un regard en sa direction. Ses traits, bien que doux et harmonieux, me paraissaient de manière objective; imparfaits. Et c'était en cela, que rien n'établissait davantage de proximité entre lui et la perfection. L'ubique alliage qui composait sa personne en son entier était séduisant à en mourir.

Je m'étais rarement tant senti en sécurité que durant l'instant où je m'étais tenu au creux de ses bras, corps contre corps, mes cheveux balayés par sa main protectrice. Je voulais aller plus loin. Et pourtant, je ne savais si tout cela était bon. Je repensais à Vel. Je savais que j'allais être amené à rencontrer de nouveau la Sith. Écho à mes propres perceptions, harmonie fatale de ma mélancolie, et dompteuse de ma rudesse, elle avait su mettre en exergue notre mise en abîme. Ceci, juxtaposé à mes positions politiques, à l'encontre de l'Ordre Jedi, j'approchais les 19 ans, et il était temps que je devienne intègre avec moi-même. Si je vomissais ce système, il me fallait le combattre. Quitte à organiser des alliances de circonstance. Je n'étais pas dupe quant à la nature profonde du côté Obscur de la Force. Et pourtant, il me fallait combattre ce contre quoi j'étais diamétralement opposé, au risque de mettre de côté un certain nombre de mes principes. En tout cela, me vint une pensée effrayante. Une chose à laquelle je n'aurais pu penser auparavant.

Alors libre de toute attache, puisque l'infect Ordre Jedi imposait l'ascétisme le plus exécrable, je ne m'étais lié de relation d'aucune sorte au sein de cette communauté que je jugeais profondément malsaine. Mais... Orme ? Tout en fendant silencieusement la pénombre, je croisai de nouveau les bras. Était-ce devenir un faible que d'avoir ces réticences follement bourgeonnantes ? Après tout, peut-être n'était-il que la lubie d'un soir. Peut-être que tout serait rentré dans l'ordre au lendemain. Comme épris du désir rassurant de confirmer cette pensée erronée, je lui adressai de nouveau un regard. Celui-ci, plus maussade, et plus tourmenté. Sa simple vision m'apporta la réponse définitive. Non, ce ne serait pas si simple que cela.

Mon cerveau bouillonnait, mon cœur s'emballait de nouveau, et des nœuds improbables alourdissaient mon ventre. Bousculé en mon être profond, Orme avait aujourd'hui éveillé bien des sentiments dans la geôle de mon âme. Perturbé à souhait, je voyais l'euphorie fuir, pour mieux laisser s'introduire le doute et la honte. Trois choix s'imposaient à moi. Poursuivre sur cette lancée, presque trop savoureuse pour être crédible; ne pas gâcher notre soirée et aller au restaurant, comme si de rien n'était, pour mieux ne plus laisser de nouvelles au lendemain; ou bien fuir devant l'adversité, et hypocritement taire les impressions nouvelles qui naissaient en moi. J'avais la sensation de me corrompre dans chacun des cas et d'abattre la cohérence, ou de mes principes, ou de mon cœur, étroitement lié à ce premier. Il n'y avait aucune issue.

Pris au piège, je faisais papillonner mes yeux, comme pour réduire à néant des larmes pré-natales. Encore une fois, je refusais l'ouverture. Mais était-ce approprié de faire part à Orme de mes appréhensions, alors même que la situation était peut-être de son côté perçue d'une toute autre manière ? Dans l'impasse, et dans un geste désespéré, je me raccrochai à celui qui avait tant œuvré pour moi-même. J'arrêtai subitement ma marche, et mes doigts se refermèrent sur la main d'Orme. Je me plaçai alors face à lui, et laissai place à un court temps de mutisme, comme désarmé par son regard, et craintif devant ce que j'allais lui dire.

-Je te dois beaucoup. Mais maintenant... Qu'est-ce que je dois faire ? J'ai peur que ma route soit tracée. Qu'elle soit différente de la tienne. Je ne veux pas... Et maintenant, tu dois me prendre pour un dingue, quelqu'un qui se projette beaucoup trop. C'est vraiment pas mon genre... Mais tu... Je suis vraiment...

Je perdais totalement mes moyens. Lui faire part de mes pensées était d'une difficulté plus grande encore que je ne l'avais imaginé. Désemparé, face à mon destin, qu'il soit ou non en présence d'Orme, ma faiblesse des moments obscurs noua ma voix dans une terrible expression enfantine. Si j'avais confiance en moi, c'était uniquement dû au fait que je savais exactement, de façon calculée, ce que je faisais. Mais en cet instant précis, je me lançais dans une improvisation sibylline qui ne me semblait avoir pour aboutissement que le néant.

-Excuse-moi, je sais pas quoi faire. Pas quoi dire. T'es pas n'importe qui pour moi... vraiment. Je l'ai compris. C'est pas toujours facile de savoir ce qu'on a à penser de quelqu'un. Surtout en si peu de temps. Mais tu fais exception. Ne me demande pas pourquoi. Je n'attends plus rien de l'Ordre. J'ai même le désir viscéral de le combattre. Il représente tout ce en quoi je suis opposé. Mais là, je peux plus. Je peux pas. Je sais pas. Je veux pas te laisser.

Pourquoi lui dire tout ça ? Dans quel but ? Je finissais alors ma tirade d'une voix semi-étranglée par la douleur des mots, de la réalité à laquelle je me confrontais brutalement.

-Tu dois me prendre pour un p**ain de débile. Je suis pas le même pas avec toi. Non... c'est pas ça... Je suis vraiment moi-même avec toi en fait. C'est avec les autres que... Tu m'as... Je crois que tu m'as ouvert les yeux et... Je veux plus être comme ça... Pas avec toi en tout cas... J'ai trop de doutes... Trop d'appréhensions...

Cédant à la peur et aux incertitudes, ma main se libéra de la sienne, et je croisai de nouveau les bras, tout en faisant lourdement chuter mon regard sur les dalles humides d'Iziz.

-Je veux pas te faire peur... J'aurais pas dû te dire tout ça... Ou peut-être que j'ai bien fait... Je comprends pas trop ce qui m'arrive... Mais c'est la première fois et... Ça tombe pas au bon moment... Vraiment, c'est horrible... Je voulais quitter le temple... J'ai de l'ambition... Des idées qui peuvent te paraître folles... Mais je veux pas être là-dedans avec toi... Je m'en fous de tout ça, depuis qu'on est ensemble... Tu dois vraiment me prendre pour un taré... Je dis rien, je dis rien, et là je... Je te fais ce discours ridicule... Je te mets mal-à-l'aise et... c'est pas constructif... ou je sais pas... Excuse-moi... Je dis n'importe quoi...

Une grosse larme s'échappait de l'un de mes yeux. Je l'essuyai alors rapidement d'un revers de main, peut-être par honte.

-Ça me tue.

Il me parut alors que la question de finir notre soirée au restaurant n'eut même plus lieu de se poser. Tant mieux. Je n'avais pas faim.
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Orme était loin de nourrir des réflexions aussi complexes que celles d'Ulrich ; timide, incertain, un peu anxieux, il éprouvait les émotions les plus simples des premiers émois de l'adolescence, que l'ascétisme de l'Ordre, la vie austère qu'il y menait et, sans doute, pour une partie, ses névroses, rendaient plus intenses bien sûr mais ne compliquaient pas. Absorbé par les battements de son coeur, il se laissait porter plutôt qu'il ne faisait retour sur lui-même.

L'eût-il fait, du reste, qu'il n'aurait pas trouvé beaucoup de matière à hésitation. Il y avait des points, dans les règles de l'Ordre, qui ne le satisfaisaient pas et qu'il s'estimait donc dispensé de respecter, plus soucieux d'être en accord avec ses propres principes qu'avec des normes étrangères. La grande distance que l'Ordre imposait à ses membres, ce détachement absolu si souvent prôné, lui apparaissait en contradiction avec la Force et, sans qu'il eût de dessein particulier de transgresser précisément cette règle, il n'y avait jamais accordé beaucoup d'importance.

Le Padawan ne savait pas s'il devait regarder son camarade ou plutôt détourner les yeux, parler ou ne rien dire, se rapprocher ou rester à une respectable distance. Ces décisions lui paraissaient particulièrement importantes mais, lui qui était d'ordinaire si habile pour en prendre, se trouvait alors empêché ; les mêmes hésitations, à chaque seconde, le reprenaient, des doutes simples et sans profondeur, sérieux néanmoins.

L'air de plus en plus sombre d'Ulrich, il était vrai, ne l'aidait guère à mettre de l'ordre dans ses sentiments. Il lui semblait maintenant qu'il contrariait son camarade beaucoup plus qu'il ne le faisait sourire et cette constatation, qui en d'autres circonstances l'eût laissé parfaitement indifférent, lui fut soudainement très douloureuse, comme si sa mission la plus importante et la plus essentielle était de faire sourire Ulrich.

Devait-il comprendre que son comportement inapproprié avait déplu à son camarade et qu'il était préférable, désormais, qu'il s'en allât ? Sans se rendre compte que c'était Ulrich beaucoup plus que lui-même qui avait d'abord initié leur confus rapprochement, Orme s'accusait d'avoir agi à la légère, de s'être bercé d'illusions enfin, sans toutefois s'avouer très clairement le contenu de ces fameuses illusions.

Bercé par ces mêmes incertitudes, Orme poursuivait sa filature quand Ulrich les arrêta sans prévenir. Eprouvant une sensation qui lui rappelait beaucoup les embuscades où il avait essuyé des tirs de blaster imprévus mais qui avait quelque chose de beaucoup plus plaisant et qu'il ne pouvait s'expliquer, Orme se tourna vers son ami et, mêlant ses doigts aux siens, plongea ses yeux noisette dans ceux de son interlocuteur.

Des yeux qui ne purent s'empêcher de s'arrondir un petit peu. Ulrich le Taciturne venait de céder la place à Ulrich le Prolixe et la métamorphose était pour le moins surprenante. Orme bataillait pour trouver son chemin dans ces phrases à moitié formulées, pour débusquer, sous les hésitations et les demi-mots, les sentiments et les idées profondes et cet exercice, fort éloigné de ce qu'il avait l'habitude de faire, ne lui était certes pas aisé.

Il n'était pas certain s'il devait se réjouir ou s'inquiéter de la déclaration. Il lui semblait, un peu confusément, que ce que lui disait Ulrich était très flatteur pour lui, surtout en un temps aussi court, et qu'il pouvait en concevoir de grandes espérances — qu'il eût été bien incapable de nommer. Mais, d'un autre côté, son camarade laissait paraître une telle angoisse et une telle incertitude qu'il était difficile de rien trouver de très assuré ou de très réconfortant.

Il y avait une chose dont Orme était sûr cependant, c'était qu'Ulrich était bien plus charmant lorsqu'il s'exprimait de la sorte, à coeur ouvert, que lorsqu'il retenait ses émotions sous un air de froideur affectée. Le Coruscantien ne s'était donc pas trompé en croyant débusquer, sous les airs détachés de son ami, une fragilité authentique. Une fois de plus, la vocation de héros protecteur se réveilla chez Orme.

Il resta longuement silencieux, mais sa main libre, qui s'était posée finalement sur la taille d'Ulrich, avait rapproché le jeune homme de lui et, quoique cette étreinte ne fût pas différente de la première qu'il avait échangé, quelques minutes plus tôt, soit qu'Orme ne s'y fût pas habitué, soit que d'en être l'initiateur lui faisait trouver les choses entièrement différentes, le jeune homme ne pût s'empêcher de ressentir la même palpitation à la fois joyeuse et inquiète.

Il eût aimé ne pas être à Iziz, se retrouver dans la chambre au Temple Jedi, non que son esprit se nourrît consciemment des espérances charnelles, mais simplement que, dans la rue, même déserte, il se sentait plus exposé et plus fragile, moins libre de ses paroles et de ses mouvements. Il posa la main d'Ulrich sur son torse pour que la sienne pût rejoindre sa jumelle sur la taille du jeune homme. La détresse de son ami effaçait pour un temps ses propres hésitations et ses propres incertitudes et, tout entier préoccupé par l'impérieuse nécessité de calmer Ulrich, il ne songeait pas que ses gestes lui eussent été, en d'autres circonstances, parfaitement impossibles.

Il avait réfléchi pendant quelques minutes et, quand il prit enfin la parole, il s'était joint à la douceur habituelle de sa voix quelque chose de plus tendre, de plus particulièrement destiné à Ulrich.

— Je déteste les chaussures qu'on fabrique sur Thyferra. Elles me font mal aux pieds. Mais enfin, je sais que ce n'est pas de leur faute. C'est juste que ces chaussures et mes pieds ne sont pas faits pour aller ensemble. Je ne me dis que je devrais brûler toutes les chaussures de Thyferra. Faire la guerre à ces cordonniers. Même si, quand je suis obligé d'en mettre, pour une raison ou une autre, ce n'est pas l'avis qui m'en manque.

A mesure qu'il formulait cette réponse si prosaïque et, en apparence, si peu appropriée à ce que venait de lui dire Ulrich, son regard plongé dans celui de son interlocuteur s'était fait si fasciné et pétillant que c'était à se demander s'il n'avait pas tout simplement perdu l'esprit.

— Mais on est toujours libre d'enlever ses chaussures.

Il parut réfléchir quelques secondes avant de reprendre.

— Un jour, pendant une mission, j'ai rencontré une vieille cordonnière très sympathique sur Thyferra. J'ai détesté ses chaussures comme les autres, mais nous nous sommes bien entendu malgré tout.

Orme esquissa un sourire sibyllin avant de se décider à expliciter son apologue.

— Tu n'es pas obligé de rester un Jedi si tu n'en as pas envie. Tu peux partir, faire de la politique, de la finance, que sais-je. Si rester te rend malheureux, cultive ta haine et ta douleur, alors c'est ton devoir de Jedi de partir ; la lutte contre le Côté Obscur se joue d'abord en soi-même. Quel intérêt de rester si ta présence est un danger pour l'Ordre et, surtout, un danger pour toi-même ? Plus tu restes, plus il te semble que l'Ordre est un mal universel ; si tu te libères, peut-être les choses se présenteront-elles différemment.


Le Padawan avait manifestement choisi, soit par pudeur, soit par esprit de méthode, de commencer par les choses qui le concernaient le moins, tout ce qui, dans la confession d'Ulrich, n'avait pas été explicitement relié à leur rencontre. Mais, bientôt, ses yeux se baissèrent légèrement, pour échapper à ceux d'Ulrich et d'une voix plus basse, peut-être un peu plus incertaine, Orme reprit :

— Et ce n'est pas parce que tu quittes l'Ordre que tu ne peux pas continuer à voir les gens que tu... euh... apprécient. Et qui t'apprécient. Et euh...

Ses mains remontèrent légèrement le long de la taille d'Ulrich, comme pour y chercher du réconfort, de l'inspiration, un peu de courage.

— Je suis une Sentinelle, je ne suis pas un Inquisiteur. Que tu sois ou non un Jedi, j'm'en fiche. Depuis tout à l'heure, on a un peu parlé de l'Ordre, mais à part ça, on n'a pas spécialement fait des trucs de Jedis. C'pas pour ça que j'te trouve...

Orme rosit légèrement et conclut évasivement :

— Chouette.
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C'est sur un seconde étreinte qu'avaient abouti mes paroles. Prisonnier de ses bras, il avait placé ma main contre son torse. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas laissé parler mes sentiments. Alors que je craignais sa réaction, Orme avait une fois de plus su tempérer mes émotions. Comme un enfant, je me laissais bercer par cette union. Blotti contre lui, mes paupières se refermèrent. Une fois de plus, mon visage se nicha tendrement au creux de son épaule. Alors que je l'imaginais fuir, devant ma folle déclaration, ses mains m'enlaçaient. Avec ma paume, je tentais de me calmer, en me concentrant sur les battements de son cœur. C'était donc ça, de se sentir vivant... Tous ces instants passés à ses côtés, répartis dans sur toute la journée, m'avaient offert un nouveau souffle.

Quelques battements de cils, et je retrouvais la vision. Je toisais les dalles humides d'Iziz, tout en approchant ma tête des cheveux bruns d'Orme. Une nouvelle larme émergea, et glissa le long de ma joue. Elle éclata sur son épaule. Je ne me reconnaissais pas. Je me sentais tellement vulnérable, en sa compagnie... Tellement fragile. Ma main libre se glissa sous sa veste, et mes doigts se promenèrent sur le tissu qui recouvrait son dos.

-Je sais pas... T'as sûrement raison...

Mon flot de paroles avait fini par s'essouffler. Peut-être ce contact physique m'imposait-il le silence... Mais si des ailes m'avaient poussé, les plumes en tombaient déjà. Victime d'un doux rêve, je me savais rassuré sur le moment par les propos de mon compagnon. Mais j'étais conscient qu'il serait bien âpre de maintenir une quelconque relation avec lui, tout en étant considéré comme un ennemi par l'Ordre dont il faisait partie. Se revoir imposait des risques pour lui aussi...

-Je pensais que tout ce que je t'ai dit allait te faire peur.

Ma voix, toujours nouée par le chagrin, oscillait difficilement dans l'air calme, plus aigüe qu'à l'habitude. J'avais la sensation d'être blessé. D'avoir perdu une partie de moi. Et la présence d'Orme s'imposait désormais comme un besoin vital. Arrivé à cette conclusion, je resserrai mon étreinte. La situation était tellement étrange... et pourtant, mes pensées semblaient partagées. Une fois de plus, il avait fait usage de métaphores pour dompter ma perdition. Son souffle chaud avait levé mes craintes, et ses bras m'avaient redirigés dans le droit chemin. Le seul chemin... Lui.

Sans doute voyait-il juste, une nouvelle fois. Je devais suivre mes convictions. Mais je devais tout faire pour rester à ses côtés. Son compliment maladroit m'avait touché. J'étais... chouette. Un mot désuet, selon moi, qui pourtant, dans sa bouche, sonnait d'une façon si douce... C'était fait. Il avait concédé une faiblesse à mon égard. Mais comme pour rompre cet instant parfait, mon ventre, collé au sien, gargouilla. Je ne savais plus bien depuis quand datait mon dernier repas. C'était par courtoisie, et par volonté de lui proposer une bonne soirée, que je lui avais proposé d'aller au restaurant. Mais je n'avais aucune envie de manger. Simplement, de me laisser aller dans ses bras. Profiter de ce délicieux sentiment, où nous étions unis. Parfois, les actes valent bien davantage que les mots. Cette situation s'y prêtait. Je ne voulais pas subir de remarque de sa part, indiquant qu'il était peut-être temps de profiter de notre dîner. Mais je lui avais promis, et il fallait que je m'y plie, si telle était sa volonté. La mienne était beaucoup plus vague. Je n'anticipais pas la suite de la soirée. Je voulais simplement rester dans cette symbiose de corps, de cœur et d'esprit.

"Tu dois me trouver bizarre." "Tu m'en veux ?" "Je t'ai fait pleurer." "Excuse-moi." "On est bien, là..."
Autant de phrases qui me passaient par la tête, et que j'étais incapable d'exprimer. Tout ce qui transparut de mes pensées, dans un murmure, fut le mot suivant.

-Merci...

Merci... De quoi ? J'avais du mal à me l'expliquer à moi-même. Tout cela était arrivé si vite. Il m'avait déraciné de mon mal-être. Arraché mon masque. Pourfendu mon armure. Il avait ravivé la flamme de la tendresse en moi. Un foyer, qui ne pouvait être alimenté que par notre présence commune. Je n'avais aucune idée de la façon dont j'allais appréhender les choses, une fois séparé de lui. Allais-je replonger dans mon aigreur, ma froideur, et de nouveau afficher cette affreuse condescendance ? Allais-je rester aussi vulnérable que je l'étais ce soir ? Aucune de ces options ne me plaisaient. Mais une chose était certaine, à présent. Le remède à ces deux maux, c'était lui.

Je dégageai alors mes mains, et les enlaçai autour de sa nuque. Mon front se colla au sien, et je fermai de nouveau les yeux. J'avalai ma salive avec difficulté, et mes pensées se focalisèrent uniquement sur Orme. Alors comme ça... Il était malade ? J'avais cru comprendre que ce n'était pas anodin. À présent, la pensée même qu'il puisse être brutalisé me terrifiait. J'écartai alors mon visage, et ancrai mon regard dans le sien.

-Est-ce que tu vas mieux ? Je veux dire... Quand tu as saigné du nez... Tu te sens comment maintenant...?
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Orme sentait courir le long de son dos le frisson de l'interdit. En lui se déployait la sensation d'une liberté arraché à la tyrannie et, avec la vague inquiétude d'être rattrapé par ses anciens geôliers, il embrassait d'un regard un paysage si nouveau qu'il ne le comprenait pas tout à fait ; confusément cependant, avec une sensualité naïve, il en appréciait la beauté et en supposait les promesses, et rien, en cet instant, ne lui semblait vraiment hors de portée.

Bien sûr, il n'avait jamais eu d'autre geôlier ni d'autre tyran que lui-même. Certes, il y avait eu le Code Jedi. Ne pas nouer d'attachements. Mais c'était un secret de polichinelle au sein du Temple que toutes les règles n'étaient pas très scrupuleusement respectées et des hommes, des femmes, qui voyageaient dans les quatre coins de la Galaxie, vivaient dangereusement et souvent au-dessus des lois, sans surveillance aucune, ne pouvaient toujours s'astreindre à une règle si contraire à la vie.

Les réticences qu'avait eues Orme pendant toute son adolescence avaient été bien plus solides, quoique tout à fait dépourvues de fondement rationnel. Jamais il n'avait cherché à les expliquer, ni à les combattre. Qu'un frôlement de main, avec n'importe qui, provoquât en lui une vague d'angoisse, il avait fini par l'accepter comme une fatalité et, tentant d'enterrer les instincts vitaux qui grandissaient avec lui, il avait songé que l'existence pouvait se dérouler toujours dans cette fuite de côté.

Mais sans doute son esprit avait-il amassé dans un coin les frustrations, les unes après les autres, et c'était cette force contraire qui, trouvant en Ulrich une occasion de triompher des névroses, se propulsait en avant contre les portes de sa conscience et entendait bien les faire craquer. Et, comme les choses douces se laissent aisément convaincre, comme Ulrich ne précipitait rien, Orme vivait la transition avec beaucoup plus de bien-être que d'inquiétude.

La démonstration de faiblesse de son camarade n'était certes pas étrangère à cette tranquillité. Orme, envers et contre tout, était un chevalier blanc. Il avait ses méthodes parfois toute personnelles, son mauvais caractère et ses détours, mais il était d'autant plus fort qu'il avait quelqu'un à protéger — un ange gardien en quelque sorte, aux apparences fragiles mais à la foi inébranlable.

L'une de ses mains se glissa au bas du dos d'Ulrich, pour resserrer encore l'étreinte et, avec un sourire que son compagnon ne pouvait pas voir, il murmura :

— T'inquiète, j'ai peur de rien.


Ce n'était pas tout à fait vrai, bien sûr, et ce qui était en train de se passer entre eux était précisément le genre de choses qui, quelques heures plus tôt, l'eût terrifié. Courageux au point de la témérité dans le feu de l'action, Orme n'en menait pas large dans les situations plus quotidiennes de la vie sociale, et c'était peut-être justement le caractère très exceptionnel de cette soirée qui, en appelant à ses ressources de crise, lui permettait de surmonter ses craintes.

Il n'ajouta rien de plus. Les gestes étaient beaucoup plus faciles que les mots et, selon lui, beaucoup plus efficaces. Il avait exposé à Ulrich tous ses arguments et, à moins que son compagnon n'ouvrît un nouveau domaine de la discussion, Orme n'était pas prêt à s'étendre de lui-même encore et encore sur la même matière. A bien des égards, le Padawan était un garçon typique des séries holonets, plus doué pour les actes que pour les discours.

A ceci près qu'il ne profitait guère de la situation. Certes, il avait ignoré les gargouillis du ventre d'Ulrich, soucieux de ne pas rompre cette étreinte si plaisante pour un motif si futile, mais, quoiqu'une douce chaleur se répandît en lui, ses mains ne s'aventuraient à pousser plus loin leur bonne fortune et, très sages, l'une restait sur la taille, l'autre dans le dos d'Ulrich. Ce qui n'empêchait pas Orme de se demander, bien sûr, s'il n'était pas par hasard censé faire quelque chose de plus et s'il ne passerait pas pour un idiot en ne se montrant pas plus... décidé.

Alors il eût sans doute été ravi qu'Ulrich eût pris l'initiative de relancer la conversation si cela n'avait été pour aborder un sujet si sombre. Une ombre s'ajouta à la noirceur naturelle de son regard.

— Ca va.

Il ne parlait jamais beaucoup de sa maladie. Sans doute la mentionnait-il sans détour quand les circonstances l'exigeaient, mais d'un ton si ferme et définitif qu'il fallait toujours comprendre qu'il délivrait une information dont il n'estimait pas qu'il fût nécessaire de la développer. Ses craintes, ses angoisses ou ses aspirations pour le futur, il les gardait pour lui-même, comme l'essentiel de ses sentiments. Deux ou trois mots, c'était tout ce qu'on pouvait en tirer.

— Mais... Euh...

Le regard d'Ulrich soudainement l'intimidait. Il avait pu se montrer assuré quand il s'était agi de consoler son compagnon, mais maintenant que les questions se retournaient contre lui, Orme retombait dans sa fragilité habituelle. Sans parvenir à détourner les yeux, il glissa d'une voix cependant plus hésitante :

— On devrait quand même rentrer. On pourrait... On pourrait prendre un truc à manger. A emporter. Et on irait dans ma chambre. Ou ta chambre. Au calme.


Pas une seconde, évidemment, Orme n'envisageait que sa proposition pût paraître licencieuse.
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Orme se voulait indéniablement protecteur de ma personne. Mais le paradoxe naquit quelques instants plus tard. Me déclarant n'avoir peur de rien, il était visiblement certains sujets qu'il préférait éviter. La promiscuité qui nous unissait semblait être devenue de l'ordre naturel des choses, lorsqu'il m'adressa un regard sombre, et me répondit sur son état de santé en deux mots, vifs et tranchants. Hors de ses bras, j'aurais sans doute baissé les yeux, connaissant la honte d'avoir abordé un sujet qui après tout, ne me concernait peut-être pas. Mais sainement, à sa réponse, je maintins son regard dignement. Le contour de mes iris, toujours humide, n'affectait en rien ton respectueux et compréhensif de ces derniers. Dans le silence, j'approuvai son choix de ne pas parler davantage de ce qui l’incommodait.

Me prit alors une envie dévorante. Le désir brûlant d'apposer mes lèvres contre les siennes. Son visage ne devait pas se situer à plus de vingt centimètres du mien. À cette pensée, s'accompagna une certaine appréhension. Mon rythme cardiaque s'accéléra. J'observais la cambrure de ses lèvres. La forme de son nez. Ses cheveux. Ses cils. L'expression de son regard, durci par ma question, qui l'avait indisposé. Je le conçus alors comme la seule force masculine, en mesure d'avoir une influence positive sur ma personne. Mes yeux écarquillés, tels ceux d'un enfant découvrant le vaste monde, lui signifiaient à mon insu qu'il avait tout pouvoir sur moi.

Mon compagnon avança alors une proposition surprenante. Celle de s'en retourner au Temple, pour achever la soirée dans la même chambre. Des images d'une douce sensualité m'apparurent. La bouche semi-ouverte, je me sentais désarçonné face à une si soudaine initiative de sa part. Après tout, je ne savais pas grand chose de lui. Peut-être avait-il une grande expérience, en l'art de la séduction. Mais après ces fantasmes exquis, m'apparut une réalité terrifiante. Est-ce que le garçon qui me faisait face, n'attendait en tout et pour tout qu'une nuit passée dans un lit commun ? Les frissons que déployaient en moi notre étreinte obscurcissait ma réflexion. J'entrepris alors de me ressaisir, et en un instant, je fis le point sur ce qui s'était déroulé au cours de la soirée. Non, il n'était pas ce genre de personne. Et puis... Il avait pleuré. Ses paroles semblaient sincères. Le doute s'effaça alors peu à peu, pour mieux laisser place à la raison. Je préférai donc me fier à l'idée qu'Orme ne me voyait pas comme l'instrument d'une bagatelle sans horizon. Et pour cela, il était nécessaire que je me prête au jeu, et lui porte ma confiance. Dans un murmure, toujours vacillant, je lui signifiai mon approbation.

-Ok. On va au temple et on mange là-bas.

Préférant me focaliser sur l'élément qui à mes yeux, constituait celui de la moindre importance, j'avais opté pour la fuite de toute ambiguïté. Je me déliai alors tendrement de ses bras. Mais cette fois-ci, je glissai mes doigts entre les siens. Main dans la main, nous nous dirigeâmes en direction du lieu où le speeder était en stationnement. Mon pouce caressait sa peau, moins froide que la mienne. Mon corps supportait mal les changements de chaleur, ceci dû à mon alimentation irrégulière. Mais si je tremblais légèrement, ce n'était en rien dû à la fraîcheur nocturne.

D'un revers de manche, j'essuyai le sillage des larmes qui avaient perlé au long de mes joues. Mon visage s'orienta alors en direction d'Orme, et mes lèvres s'arquèrent dans un sourire en coin.

-Tu vivais où, avant de suivre ton apprentissage ?

Je prenais pleinement conscience que s'était substitué au désir charnel, celui de connaître son existence. Son passé. Sa vie. Nos pas résonnaient dans l'opacité du vide sonore d'une ville endormie.
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Si Orme n'avait pas envisagé ne fût-ce qu'une seconde qu'Ulrich le soupçonnait, bien involontairement, d'être un grand séducteur, il se serait sans doute aussitôt répandu en excuses incompréhensibles, en dénégations de toute sorte et en regards confus. Il n'était pas même un habitué des conversations de vestiaires — et pour cause ! — et tout cela lui paraissait être un monde très lointain, dont il n'était pas sûr s'il fallait le craindre ou le désirer, mais auquel il était certain de ne jamais aborder. Une certitude peut-être bien inconsidérée.

Ce fut donc en toute innocence qu'un sourire éclaira son regard quand son compagnon accepta sa proposition. Le désir de pouvoir partager avec lui l'intimité protectrice du Temple et de leurs chambres familières, plutôt que l'exposition de la rue, du restaurant, du monde, n'entrait pas seul dans son volonté de s'en retourner. Il avait eu un peur qu'Ulrich l'entraînât dans un restaurant aussi chic que l'opéra et que la ronde des vieilles connaissances recommençât ; il n'était pas contre les découvertes, mais il préférait que son immersion dans la haute société se réduisît à des doses homéopathiques.

Ainsi, il était soulagé. Soulagé que la tristesse, sinon se dissipât, du moins se tempérât sur le visage d'Ulrich, soulagé d'aller retrouver un endroit familier et soulagé de pouvoir passer encore quelques heures avec son camarade. Son visage s'était considérablement détendu. Ulrich lui paraissait plus proche désormais. Cette confession un peu désespérée du jeune homme avait chassé chez Orme la crainte de le voir répondre sèchement à la moindre maladresse — tout était alors beaucoup plus simple.

Tout naturellement, le jeune homme referma ses doigts sur la main d'Ulrich et les deux garçons reprirent leurs marches dans les rues d'Iziz, se dirigeant à nouveau vers l'opéra. Il y avait peu d'apparence qu'ils pussent trouver, dans ces quartiers à emporter, un restaurant où l'on vendît rapidement des repas à emporter, mais ce serait l'affaire de quelques minutes, sans doute, une fois le speeder retrouvé.

Le sourire d'Orme s'agrandit à la question d'Ulrich.

— Ca ne s'entend pas ?

A son arrivée au Temple, des années auparavant, nombre de ses camarades lui avaient dit qu'il avait un accent de la capitale et, plus que l'accent, ce basic cosmopolite de la grande mégalopole planétaire, qui subissait les influences les plus variées. Mais, avec le temps, Orme avait appris à lisser ses particularités et désormais, en bonne Sentinelle, il était capable de rendre ses origines un peu plus troubles.

— J'ai passé mon enfance sur Coruscant. Enfin, on n'est jamais vraiment sur Coruscant. Plutôt dans la Ville.

Rien de semblable à Iziz, donc, c'était le moins que l'on pût dire. D'ailleurs, sous ses dehors d'éternel paisible, Orme avait eu un peu de mal à s'adapter à cette planète reculée — car, pour lui, tout ce qui n'était pas Coruscant était reculé. Bien sûr, les missions successives dans les paysages les plus improbables lui avaient appris à mettre tous ces préjugés un peu en perspective.

— Ca me manque un peu. La Ville. C'est peut-être parce que le calme d'Iziz me tape parfois sur le système que les Maîtres me jugent trop turbulent.

C'était une déclaration un peu étrange. Orme avait présenté jusque là à Ulrich le côté le plus serein et tempéré de sa personnalité. Son compagnon n'avait eu le droit ni aux décisions farfelues du jeune homme, ni à son art du combat ni à ses légendaires sautes d'humeur. En évoquant les Maîtres, Orme se rendait brutalement compte qu'Ulrich avait une image faussée de sa personnalité, et la crainte que son camarade pût ne pas apprécier ce qu'il était réellement le saisit.

Instinctivement, il resserra un peu plus ses doigts sur la main d'Ulrich, comme pour compenser par une étreinte plus étroite les dangers de tout ce qu'ils avaient à découvrir encore l'un sur l'autre.

— Et toi ? J'suis plus habitué aux tavernes de criminels qu'aux tables de négociations, du coup, j'ai un peu du mal à repérer les accents des...

Orme rougit instantanément, en se rendant compte que le terme "bourgeois" n'était peut-être pas très obligeant. D'une voix plus basse et comme une excuse, il acheva :

— Les accents distingués.

Et voilà, il commençait déjà à tout gâcher en parlant. Comme d'habitude, songeait-il, il eût mieux fait de garder le silence.
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C'était vrai. Il m'avait parlé des pluies de Coruscant d'une façon si prosaïque, qu'il paraissait alors logique que son attachement pour la capitale relève d'une partie de sa vie passée sur la Cité Monde. Si sa réponse me contenta, je la jugeai trop courte. Bien évidemment, ma question n'était pas si explicite que cela. Mais je désirais en Orme qu'il en dise plus long sur lui. Qu'il me raconte ses années passées à la préfecture universelle. Qu'il me parle de ses joies et de ses peines.

Mon esprit rationnel me rappela alors à l'ordre. Si Orme m'avait renvoyé la question aussi vite, c'était que la mienne ne nécessitait pas pour réponse un long développement. Je pris alors la décision d'observer la situation d'une toute autre manière. Pourquoi vouloir instantanément tout connaître, alors qu'il m'était possible de savourer chaque parcelle de son histoire, l'une après l'autre, jour après jour ? Espoir. Ce mot, absent du programme de mon paradigme, s'immisça alors dans ce monde intérieur ébranlé. Oui, l'espoir. Celui de revoir le garçon. De ne pas éloigner ma voie de la sienne.

-C'est vrai, tu trouves que j'ai un accent distingué ?

Une expression amusée sur mon visage, j'observais les dalles défiler au fil de nos pas. Quand j'étais petit, je croyais que... Ah non. Ça, je ne l'ai pas pensé. Je l'ai formulé. Il était vrai que la présence d'Orme avait le don de délier ma langue. Je dévoilai ainsi mes pensées naturellement, comme l'avait prouvé mon ambigüe déclaration.

-Quand j'étais petit, je croyais que les habitants de la capitale de Kuat étaient les seuls êtres de l'univers à ne pas avoir d'accent. J'en étais vraiment heureux, parce que je les trouvais tous ridicules.

À cet instant, mon regard s'engouffra dans les abîmes célestes. Faire part de mes pensées infantiles... Alors que quelques heures auparavant, j'eus analysé ce fait comme un aveu de faiblesse, je considérais à présent que dévoiler des brides de ma vie partait davantage d'une volonté de partager davantage que deux mains entrecroisées avec Orme.

-En fait, je croyais aussi que Kuat était la planète la plus importante de l'univers. Forcément, nous n'avions pas d'accent. Nous ne pouvions être que les précurseurs du langage commun.

Je me remémorai alors mon huitième printemps. Jugé par mon père apte à l'accompagner à la capitale universelle, je m'étais émerveillé face à la belle Coruscant.

-Ton monde d'origine. Je l'ai découvert à mes huit ans. Ça a été une révélation. Mes yeux d'enfant découvraient enfin le noyau de notre galaxie. Le centre de toutes les convergences. J'y suis retourné très souvent, par la suite. J'ai eu le coup de cœur. Mais à neuf ans, j'ai été repéré par l'Ordre. Ma mère avait des prédispositions avec la Force. Et comme mon père le redoutait, la génétique a voulu que j'hérite de cette différence. Mais oui. Avant ça, j'ai grandi sur Kuat. Je suis conscient d'être un privilégié. Lorsque les années se sont succédées, j'ai pu constater à quel point j'étais bien loti. Mais je crois que la réalité de cet univers m'a agrippé si brutalement que... Vraiment, tu sais, j'ai aucun dédain pour celles et ceux qui ont eu moins de chance au moi. Ça me fait du mal, quand je vois ses enfants en guenilles dans les rues. Je sais que j'ai l'air condescendant, hautain, et tout ce que tu veux. Mais je m'affiche comme ça pour ne pas me laisser bouffer. Quand tu conduisais, tout à l'heure... J'ai vu cette mamie, toute seule, sur son banc, les yeux perdus dans le vide, sans doute en train de se remémorer le temps passé, comme le font tous les vieux. Ça m'a fait souffrir. Mais il est plus facile de dénigrer la misère. Je suis fait comme ça. Je suis pas vraiment aussi fort que je le laisse paraître. Parfois, j'emprunte le chemin de la facilité.

La parole libérée, je m'ouvrais une fois de plus à mon compagnon. Reconnaître mes travers était si facile, en sa compagnie. Je ne savais pas vraiment ce qui l'avait séduit en moi, mais quelque chose me disait que ce n'était pas l'image que j'affichais. Alors, pourquoi se cacher éternellement ? Quoique souffrant de la crainte que ces confessions le déçoivent, je décidais de rester intègre avec moi-même. Orme m'avait enseigné que parler à cœur ouvert était une bonne chose. Alors avec lui, il fallait que je m'y prête sans vergogne. Si je lui en disais tant, c'était aussi pour qu'il s'ouvre davantage à moi. J'étais conscient que toute relation saine se devait de connaître son lot de réciprocité.

Perdu dans mes souvenirs, aussi bien que dans l'instant présent, ce dernier ne m'offrait pourtant que le bonheur de marcher aux côtés de mon compagnon. C'est alors que je remarquai que nous nous approchions de l'Opéra.

-Tu veux manger quoi ? Je sais pas vraiment ce qu'il y a, par ici.
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Paradoxalement, si Orme avait semblé au premier abord plus disposé à la conversation quand Ulrich, tout au contraire, avait tout fait pour la fuir, c'était désormais le second qui se révélait plus volontiers que le premier. Le Coruscantien avait toujours été un jeune homme secret, moins par dessein formé de ne rien révéler sur lui et de se protéger du monde, comme son camarade, que par tempérament laconique : homme d'actes plutôt que de mots, il trouvait simplement qu'il n'avait rien de très intéressant à dire.

En revanche, il aimait bien écouter (quand on ne lui donnait pas des ordres). Et, ce soir-là, l'écoute était d'autant plus plaisante qu'elle le confortait dans ce qui avait été dans les premiers temps une intuition confuse : que sous la carapace et l'acidité d'Ulrich se cachait une sensibilité beaucoup plus belle que le jeune homme ne voulait bien l'avouer. Encore une fois, la fragilité et, même, d'une certaine façon, l'innocence de son compagnon le toucha.

Orme hocha la tête pour confirmer à Ulrich qu'il avait un accent distingué — comparé au sien, tout du moins. En l'écoutant, Orme essayait de se représenter ses sensations. Une partie de ce qu'il lui disait résonnait en lui. Lui aussi, enfant, avait cru que son monde était le centre de l'univers — bon, en réalité, c'était certes à peu près le cas, mais il n'en avait pas moins appris à mettre ses jugements en perspective et il devait bien avouer que les voyages n'étaient pas l'aspect le plus déplaisant de la vie d'un Jedi.

Ce qu'il avait du mal à s'imaginer en revanche, c'était la sensation que l'on devait ressentir à la découverte de Coruscant. Il avait beau avoir pris la mesure, après toutes ces années, des particularités extraordinaires de son monde natal au regard des autres planètes, il ne parvenait toujours pas à adopter un regard suffisamment extérieur pour ne pas le considérer comme l'environnement le plus normal, le plus habituel et, aussi paradoxal que cela fût, le plus naturel.

Mais son imagination avait déjà un peu dérivé : il se représentait désormais Ulrich émerveillé par cette découverte. Il ne le voyait pas comme un enfant toutefois : c'était tel qu'il l'avait à ses côtés qu'il se le peignait, les yeux étonnés, brillants, dans une admiration mêlée d'appréhension, et ce tableau charmant fit aussitôt monter en lui une vague de tendresse incontrôlée. Un sourire un peu benêt s'installa sur les lèvres d'Orme, qui s'efforça de le chasser quelques secondes plus tard, pour ne pas avoir l'air trop idiot.

A la fin de son récit, il avait envie de le prendre à nouveau dans ses bras, comme pour le consoler de toute la misère du monde. De le prendre dans ses bras, et puis de faire quelque chose de plus. L'embrasser. Ce devait être agréable, d'embrasser un garçon. Mais Orme était à peu près certain de ne pas savoir comment faire. Et puis... Et puis... Ce n'était sans doute pas très approprié ! Oui. Voilà. Excellente excuse.

Le Padawan profitait qu'Ulrich s'abandonnât à ses souvenirs pour s'abandonner à ses rêveries. Après tout, ce n'était pas parce qu'il ne prendrait jamais l'initiative de faire quoi que ce fût dans ce domaine qu'il devait s'interdire de céder aux plaisirs de l'imagination. Orme se souvenait de baisers d'holonet, de séries et de films, et tentait de se sonder pour voir s'il serait capable de ce qu'il concevait pour l'heure comme une prouesse surhumaine.

Cette méditation était si prenante qu'il lui fallût quelques secondes pour s'extirper de ses pensées après la question d'Ulrich.

— Hein ? Quoi ?

Ce qui était sûr, c'était que lui n'était pas très distingué. Au moins n'était-il pas (toujours) un rustre complet. Le jeune homme papillonna des paupières comme s'il sortait d'un rêve et promena son regard autour de lui.

— J'sais pas. Peu importe, du moment qu'on...

Reste ensemble. Il rosit légèrement et désigna évasivement, d'un geste de menton, une échoppe ouverte dans une petite ruelle adjacente, qui vendait des sandwichs, non pour les clients, mais pour les employés de l'Opéra et des prestigieuses institutions alentours. Ce petit peuple invisible représentait une cible commerciale de choix.

Entraînant Ulrich vers la sandwicherie en question, Orme s'arrêta devant le stand et, sans prêter la moindre attention à la vendeuse qui observait les mains unies des deux garçons avec un attendrissement manifeste, il se mit à examiner le choix proposé. L'établissement appartenait à une chaîne de restauration galactique et en avait toutes les caractéristiques : aucune originalité, mais, au moins, l'assurance d'une qualité standard.

Orme relava finalement les yeux et croisa le regard de la vendeuse. Et, sans trop savoir pourquoi, il se sentit flatté de la voir si approbatrice. Flatté, et un peu gêné quand même.

— J'vais prendre un Vaisseau de la Jungle.

Autrement dit, un sandwich végétarien. Orme se pencha à l'oreille d'Ulrich pour souffler :

— C'est contractuel, tu crois, les noms idiots, pour les sandwichs ?
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Si mon compagnon n'avait fait écho à mes paroles, je pu distinguer furtivement un sourire se dessiner sur son visage. Le bonheur qui s'immisçait dans mon cœur, avait visiblement une seconde proie en ligne de mire. Si Orme se hâta de faire disparaître ce qui pouvait faire montre de sa béatitude, plus grande encore que je ne pu l'imaginer, j'avais noté cet éclat rayonnant dans son expression, le temps d'un instant.

Faces au stand de la sandwicherie, je dévoilai à Orme un autre aspect de ma personnalité. Ma nébuleuse faculté à être indécis à l'extrême, dans les sujets les plus futiles qu'ils soient. Alors capable d'opter pour les solutions les plus adaptées, face aux problèmes importants -quoique je n'eus jamais considéré que les choses de l'amour entraient dans ce cadre, je me voyais pris au dépourvu, face à la myriade de sandwichs proposés. Il y en avait au moins neuf. Oui, vraiment, ça commençait à faire beaucoup. Je me remémorai alors de nombreuses repas où, face à une carte disposant de dizaines de plats différents, et d'une bonne demi-douzaine de menu, le serveur du restaurant qui s'occupait de notre commande, n'osant faire montre de son impatience, repassait trois ou quatre fois, avec cette même question. "Vous avez fait votre choix ?" Généralement, je percevais une pointe d'agacement dans sa voix, qui me poussait à le fustiger du regard, pour que celle qu'il croyait être sa dernière question ne s'en retrouve être que l'avant-dernière. Mielleux, il repassait ainsi quelques minutes plus tard, et j'optai pour un choix qui me décevait toujours au final, puisque j'avais toujours le doute que mes autres choix pussent être meilleurs que ce que j'avais dans mon assiette.

Les réminiscences de ces péripéties m'avaient déconnecté à l'instant présent. Totalement perdu face à cette marée jaune de pains de toute sorte, mon regard oscillait tantôt sur l'aéronef des falaises, tantôt sur le maxi-bantha. Alors qu'Orme me faisait remarquer la stupidité des noms de ce qui ne s'avérait finalement que des sandwichs, j'étais confronté à un tout autre problème.

-Bonsoir. Alors, je voudrais...

Alors que je me disais que devais faire suivre à la formule de courtoisie, la signification que j'allais effectivement consommer, mon hésitation ne me lâcha pas.

-Vous faites des menus ?

Et voilà. Je m'étais lancé dans une aventure plus difficile encore.

-Bien sûr. Vous avez le menu enfant, le menu petit creux, le menu classique, le menu grosse faim, et le menu X.

-C'est quoi le menu X ?

-Le même que le menu grosse faim, mais avec un S swandich en plus.

-Un S sandwich ?

-Un sandwich de votre choix, mais petit.

-Ah... Et vous avez quoi comme boissons ?

-Kurlax, Vayer, Solki, Fuumo, Prisk.

-Le menu classique, c'est avec boisson ?

-... Oui.


Malheur. Le schéma se reproduisait. Je sentais enfin cette pointe d'exaspération dans la voix de mon interlocutrice. Mais en présence d'Orme, je ne pouvais me permettre d'être désagréable.

-Euh... Dans les menus, c'est des frites ?

-Oui. Frites ou salade.

-Bah je vais prendre un maxi-bantha s'il-vous-plaît.


Sans même un sourire, elle me tendit alors la récompense de cette bataille, et je lui fournis les 6 crédits qu'elle me demandait alors.

-Sur place ou à emporter ?

Après une légère hésitation de ma part, la vendeuse soupira profondément, et me toisa d'un regard excédé. Me saisissant de mon sandwich, je le brandis en sa direction.

-Mais c'est quoi, ça ? Vous êtes pas payée 1000 crédits au mois, mais comme ça, vous vous permettez d'agir comme une baronne ? C'est décidément pas la courtoisie qui vous étouffe.

Je saisis de nouveau la main d'Orme, et nous dirigeai vers le parking, non loin d'ici. Sur la route, je pris le parti de me justifier, imbus de mauvaise foi.

-Non mais avoue que c'est une autre notion du professionnalisme ! C'est qui elle, pour me regarder comme ça ? C'est incroyable.

Je tournai le visage, et croisai le regard d'Orme, qui me désarçonna. J'arrêtai alors notre route, et déposai mes yeux au sol, en signe de rédemption.

-Ok... Je dois vraiment travailler là-dessus...
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Orme, lui, hésitait rarement pour ce genre de choses. A vrai dire, il n'hésitait jamais pour rien. Mais, en l'occurrence, il se contentait en général de choisir le plat le plus végétarien possible et comme son appétit était somme toute aussi modeste que ses moyens, il ne s'encombrait pas de menus gargantuesques aux infinies variations. Ni de boisson, du reste : l'eau du Temple, fort pure, suffirait très bien.

Et certes, s'il s'était douteux que le choix constituerait pour Ulrich une étape si éprouvante, il eût commandé à sa place. Fort heureusement pour lui, le premier enseignement des Jedis était la patience, et Orme excellait la plupart du temps à l'appliquer. Le jeune homme se mit donc à observer d'un air vaguement distrait les moulures qui décoraient les étages supérieurs de l'immeuble devant lequel ils se trouvaient, tout en caressant du pouce, sans y songer, le dos de la main de son ami.

Pendant ce temps, l'attendrissement premier de la vendeuse se muait en sentiments plus hostiles à mesure qu'Ulrich entreprenait de lui faire détailler la totalité des offres de l'échoppe. Machinalement, Orme espérait que son camarade n'en viendrait pas à demander des précisions sur la garniture de chaque sandwich, sans quoi ils ne seraient jamais rentrés au Temple avant l'aube — et Orme s'endormirait sur place.

Lequel Orme commençait déjà à songer à tout autre chose — ses plans pour un sabre laser révolutionnaire — quand l'altercation entre Ulrich et la vendeuse manqua de le faire sursauter. Se tirant de ses rêveries, il posa sur l'une puis sur l'autre un regard un peu étonné, avant de se laisser entraîner, sans opposer vraiment de résistance, vers le parking de l'opéra, tandis que son cerveau analysait la situation.

Si, quelques minutes plus tôt, Orme avait trouvé les hésitations perpétuelles d'Ulrich absolument charmantes, il fallait bien avouer que cette incartade ne jouait pas à la faveur de son camarade. Sans doute le Coruscantien partageait-il son sentiment sur le peu d'aménité de la vendeuse, mais, par une sorte de solidarité de classe inconsciente, par douceur de tempérament surtout, il n'eût jamais osé lever le ton.

Ceci étant dit, il était tout à fait prêt à mettre cet incident sur le compte d'une soirée un peu mouvementée et riche en émotions, qui avait dû mettre les nerfs d'Ulrich à vive épreuve, aussi haussa-t-il d'un air dégagé les épaules quand son compagnon entreprit de se justifier. Il commenta simplement :

— Relax.

Sans doute cependant son regard trahit-il quelque involontaire réprobation, car Ulrich baissa les yeux. Orme, malgré son sens un peu défaillant de la psychologie, comprit qu'une réponse un peu plus développée de sa part était nécessaire. Il s'arrêta donc de marcher, à deux pas de leur speeder — enfin, du speeder du Temple — et se tourna vers son compagnon.

— Hé. Tu t'es énervé, t'aurais pas dû. Elle était pas sympa, elle aurait dû. C'pas très grave. Faut pas être si à cran. La prochaine fois, j'commande à ta place, et tu vas te retrouver avec de la nourriture de lapin.

Car il lui semblait tout naturel qu'il y eût une prochaine fois, et même plusieurs. C'était pas négociable. Ulrich était condamné à acheter d'autres sandwichs avec lui et à affronter d'autres serveuses patibulaires. Orme acheva avec un sourire :

— On va rentrer et on sera tranquille.


Il l'entraîna à reprendre leur marche pour franchir les quelques mètres qui les séparaient encore de leur speeder avant de s'installer à nouveau aux commandes de l'appareil, abandonnant bien malgré lui la main d'Ulrich. Bien sûr, pour être tranquille, il fallait encore à ce dernier revivre une dizaine de minutes de la conduite pour le moins... sportive d'Orme Aryssie.
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